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Puissants et misérables


Puissants et misérables
Ancien président de la République, le "Chi" doit-il craindre d'être jugé ?
Jacques Chirac
Ancien président de la République, le "Chi" doit-il craindre d'être jugé ?

Je ne voudrais pas être dans les escarpins de Xavière Siméoni. En l’absence de pistolet fumant, même le dossier le mieux bouclé risque de fondre sous le feu des avocats de la défense. En décidant de renvoyer Jacques Chirac devant le tribunal correctionnel dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, sur une simple probabilité de conviction, la juge a mis en jeu la crédibilité du juge d’instruction et même celle de la justice française. Elle devait arbitrer entre deux passions françaises, l’égalité et l’attachement au principe monarchique relooké par le suffrage universel. En faisant prévaloir l’égalité devant la loi, elle a pris une décision juste et cohérente.

Les faits sont connus, à défaut d’être simples à qualifier. Les salaires de permanents du RPR étaient payés par la mairie de Paris. Quelques collaborateurs de Chirac de l’époque − et notamment Alain Juppé − ont déjà été condamnés dans cette affaire mais, protégé par l’immunité, Chirac est resté pendant les douze ans de son mandat présidentiel hors de portée de la justice et, malgré les efforts de certains magistrats, la question de son implication n’a pas été tranchée. Abriter l’ancien président derrière le fait que deux décennies ont passé revient à tuer ses parents avant de réclamer la miséricorde due à un orphelin.

[access capability= »lire_inedits »]Il est vrai que, d’un point de vue juridique, la question de la responsabilité de Chirac dans les emplois fictifs est tout sauf simple. Du reste, elle divise les professionnels. En avril 1999, le procureur de la République de Nanterre fait état de fortes présomptions sur la participation de Chirac à une prise illégale d’intérêt et recel d’abus de bien sociaux. Dix ans plus tard, le Parquet de Paris demande un non-lieu général. Forte de ces deux avis contradictoires, la juge Siméoni aurait pu choisir la voie facile et moins controversée du non-lieu sans risquer d’essuyer l’indignation générale. Elle en a décidé autrement. On peut, même sans la partager, admettre que cette position est légitime.

Résumons la question posée à Mme Siméoni – qui jouit d’un fort soutien dans la magistrature. Quand l’égalité et l’autorité symbolique se croisent sur un pont étroit, qui doit céder le passage à l’autre ?

La réponse n’est pas évidente. La désacralisation du pouvoir est l’un des premiers et des plus constants reproches adressés à Nicolas Sarkozy. Sa façon d’habiter la fonction de chef de l’État tranche nettement avec la majesté présidentielle du précédent locataire du « Château », quels qu’aient été par ailleurs ses penchants de « roi fainéant ». De fait, même la culture démocratique ne peut se passer d’une dimension symbolique qui a le visage d’un homme couronné par le suffrage populaire – ce qui n’est pas rien.

Ne sous-estimons pas l’apport de cette dimension monarchique, injectée dans le système en 1962 avec l’élection du président au suffrage universel direct. Elle a contribué à apaiser la société et à stabiliser le système politique. Bref, on le sait, l’ADN républicain recèle toujours des gènes monarchiques.

Oui, mais voilà, aussi lourd, aussi important soit cet héritage, il doit s’incliner devant une valeur énigmatique et fondamentale : l’amour de l’égalité.

Ce qui est en jeu dans l’affaire Chirac, c’est, de surcroît, l’égalité matricielle, celle qui conditionne ou plutôt qui remplace toutes les autres : l’égalité de tous devant la loi. L’inégalité économique est constitutive de la société – et, quoi qu’on en pense, acceptée comme légitime jusqu’à un certain point. L’égalité entre les sexes, les races et les individus est une proclamation, l’égalité des chances une politique. Le principe d’une loi pour tous, sans exception, puissants et misérables, est un mur porteur de la République.

Pour autant, Chirac n’est pas un citoyen ordinaire. La justice devra mettre dans la balance le poids du symbole incarné par l’ancien président de le République, tant en France qu’à l’étranger. Comment ne pas prendre en compte les services rendus au pays, et même l’affection bruyante et récente que le grand-père de la nation inspire aux Français − qui ne le ménageaient guère quand il occupait la place du Père ? Peut-être le tribunal devra-t-il, au vu du dossier, faire preuve d’indulgence et relaxer Chirac.

Quoi qu’il en soit, la justice ne saurait se dessaisir a priori. Le citoyen Jacques Chirac doit répondre aux accusations dont il est l’objet. Mais au moment de rendre leur décision, les juges devront se rappeler que celui qu’ils vont condamner ou relaxer est aussi l’ancien président.[/access]

Novembre 2009 · N°17

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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