Freud l’a appris de ses erreurs: les récits d’abus sexuels ne sont pas toujours la reconstitution du réel, mais l’expression de fantasmes. Cet acquis de la psychanalyse devrait nous mettre en garde contre les charlatans qui encouragent les dénonciations à base de souvenirs retrouvés. Trop de psys confondent processus judiciaire, fondé sur des faits et des preuves, et psychothérapie, seul cadre où une « libération » de la parole peut avoir un sens.
L’affaire Franklin, ci-dessous brièvement rapportée, fut emblématique de l’épidémie des « souvenirs retrouvés » qui, dans l’Amérique des années 1980, conduisit à de multiples dénonciations et plaintes. Nous avons là une sorte de cas d’école indicatif, comme le fut l’affaire d’Outreau, des errements d’un univers judiciaire soumis au subjectivisme de discours sociaux extérieurs au droit. Une Justice qui dès lors, pour le pire, se met elle aussi à confondre la dimension du fait et celle du fantasme. Ce sont là deux affaires qui, dans notre conjoncture, devraient inciter à la mesure, à la prudence et pour le moins à un certain retour aux protections du droit, à la sagesse du droit. Qui n’est jamais très loin de « la sagesse du roman » (Kundera).
En 1969, « Susan Nason, âgée de huit ans disparaissait du domicile de ses parents. Trois mois plus tard, son corps était retrouvé dans des buissons en contrebas d’une route peu fréquentée. L’autopsie révéla qu’elle avait été battue à mort après avoir subi des sévices sexuels. L’enquête menée pendant plusieurs années ne permit d’identifier aucun suspect »[tooltips content= »L. Mayali et J. Samrad, « Entre l’expert et le juge : la science des souvenirs refoulés dans le droit américain », in Du pouvoir de diviser les mots et les choses (éd. Pierre Legendre), « Travaux du laboratoire européen pour l’étude de la filiation, vol. 2 », Maison des sciences de l’homme, 1998. »](1)[/tooltips]. Vingt ans plus tard, en 1989, une jeune femme de 28 ans, Eileen Franklin, retrouvant ce « souvenir refoulé » lors d’une psychanalyse combinée à de l’hypnose, accusa son père du meurtre de Susan, sa camarade d’école, auquel, dit-elle, elle avait assisté. Sur la base de ce seul témoignage, sans autres indices concordants, George Franklin fut arrêté, jugé et condamné à la prison à vie. Lors du procès, « les avocats de la défense se virent interdire par le juge de citer les journaux qui avaient donné, à l’époque du meurtre de la fillette, tous les détails dont Eileen Franklin affirmait personnellement se souvenir comme témoin direct. […] De plus, les membres du jury n’accordèrent aucune attention particulière aux inconsistances répétées et aux multiples variations de son témoignage. » La seule véracité supposée, confirmée par des experts psys, du « souvenir refoulé », justifia de la condamnation
