La Police de sécurité du quotidien mise en place par Gérard Collomb est pleine de bonnes intentions, mais sera sans effets si rien n’est fait pour renforcer la dissuasion pénale.
Le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a officiellement lancé, le jeudi 8 février, la police de sécurité du quotidien (PSQ). Celle-ci n’est pas dénuée de mérites : elle dresse des constats lucides trop longtemps tus par les gouvernements successifs, elle tente d’arracher les forces de sécurité à l’emprise de l’événement pour redonner sa juste place au travail de fond auprès de la population, et elle accompagne avec volontarisme leur modernisation numérique.
La PSQ n’est pas une révolution…
Elle n’a cependant rien de la révolution annoncée, et on peut craindre qu’à l’usage elle s’avère surtout une labellisation de quelques bonnes idées, dont beaucoup d’ailleurs sont antérieures à la dernière élection présidentielle. En outre, son efficacité dépendra en grande partie de la future réforme de la procédure pénale, et plus encore d’une, ô combien nécessaire, réforme de la réponse pénale, qui ne pourra se limiter à la contraventionnalisation de quelques délits.
Avec une franchise inattendue mais bienvenue, le ministre de l’Intérieur a présenté les résultats d’un sondage adressé à tous les membres des forces de sécurité intérieure, auquel ont répondu un peu plus de la moitié d’entre eux. L’autre moitié était sans doute trop désabusée pour participer…
A travers cette consultation, policiers et gendarmes ont estimé ne pas avoir les moyens juridiques pour agir, être confrontés aux conséquences de décisions pénales insuffisamment dissuasives, manquer d’effectifs et de moyens, et consacrer trop de temps au formalisme et à la complexité de la procédure pénale, au détriment du fond des investigations et de la recherche de la vérité. Il n’y a là rien de surprenant pour qui connaît un peu le sujet, puisque ce sont des constats dressés par les forces de l’ordre depuis plus de 20 ans. Néanmoins, que le gouvernement ait voulu l’objectiver, et l’assume, mérite d’être souligné et salué.
Pour autant, constater ne suffit pas, il faut agir. Sur ce plan, force est de constater que, malgré ses réelles qualités, la PSQ est incomplète.
…mais elle a de bonnes intentions
Elle se veut articulée autour de cinq axes : retrouver l’ambition première des forces de sécurité – concrètement, alléger les tâches annexes voire indues, et simplifier la procédure pénale ; s’assurer que policiers et gendarmes soient respectés ; adapter les directives générales aux réalités locales, et en particulier renforcer l’action et la présence des forces de l’ordre dans 30 quartiers prioritaires de la zone police baptisés « quartiers de reconquête républicaine », et en zone gendarmerie dans 20 départements, ciblés notamment en raison de leur forte croissance démographique ; accélérer nettement la transition numérique pour les deux forces ; et enfin développer les partenariats avec d’autres acteurs possibles de la sécurité : polices municipales, entreprises de sécurité privée, élus, Education nationale, citoyens volontaires s’engageant dans la réserve…
La modernisation numérique, initiée depuis plusieurs années et principalement portée par la gendarmerie, est un très beau projet, qui pourra, s’il aboutit, permettre un gain de temps notable aussi bien pour les forces de sécurité que pour les citoyens. La prise en compte de la cyber-menace et le développement d’outils permettant d’y faire face est déjà bien engagée, on ne peut que se réjouir si la PSQ la soutient et l’amplifie.
Les partenariats évoqués existent déjà dans de nombreux endroits, souvent de manière informelle. Les étendre et les approfondir est très positif, à condition qu’ils ne se limitent pas à des poignées de mains médiatiques et des comités Théodule.
L’accent mis sur le contact avec la population est bienvenu, reste à espérer que policiers et gendarmes auront réellement les moyens – notamment humains – de participer à la réparation en profondeur du lien social et de l’Etat de droit, au lieu d’être accaparés par les interventions urgentes, les priorités du moment et les lourdeurs administratives et procédurales. Renforcer la présence des forces de l’ordre dans les quartiers difficiles et les zones rurales sous tension (on pense évidemment aux alentours des ZAD, aux secteurs les plus fortement soumis à la pression migratoire, ou aux abords des grandes agglomérations) est une mesure de bon sens, surtout si elle parvient enfin à articuler efficacement d’une part le contact et l’écoute pour restaurer la confiance, et d’autre part la fermeté pour faire respecter les lois républicaines.
Les bonnes formules n’arrêtent pas les délinquants…
Le « recentrage sur le cœur de métier » en revanche est un vieux serpent de mer, intellectuellement assez malhonnête puisque lorsqu’un policier ou un gendarme chargé de tâches administratives est remplacé dans cette tâche par un fonctionnaire « classique », il n’y a pas un policier ou un gendarme de plus sur le terrain ! Dans ce processus dit de « transformations de postes », les personnels administratifs ne s’ajoutent pas aux agents des forces de sécurité, ils se substituent à eux, nombre pour nombre.
Enfin, l’amélioration de la coordination entre police nationale et gendarmerie reste handicapée par certains déséquilibres, qui indépendamment de la qualité personnelle des fonctionnaires et des militaires sont perçus comme des injustices et nécessiteront tôt ou tard des clarifications.
Reste l’essentiel. Parler de « reconquête républicaine » plutôt que de « territoires perdus de la République » est très bien trouvé, mais une formule volontariste ne fait pas tout. Écouter les citoyens pour connaître et comprendre leurs difficultés, et les associer à leur sécurité est indispensable. Interpeller les auteurs d’infractions et rassembler contre eux les preuves nécessaires est fondamental. Mais si ces auteurs ne sont pas sanctionnés, ou si les sanctions ne les dissuadent pas de récidiver et ne dissuadent pas les autres de les imiter, tout le reste n’aura qu’une efficacité très relative.
…la justice non plus
Or, c’est là l’un des principaux points faibles de la sécurité en France, si ce n’est le principal. La sanction doit être effective, rapide, et tout en prenant en compte les circonstances particulières de chaque cas, elle doit aussi être dissuasive, faute de quoi la justice ne remplit pas sa mission sociétale. Et il faut bien admettre qu’aujourd’hui, cette mission n’est pas remplie : les délinquants et surtout les délinquants d’habitude – ceux qui ont fait de la délinquance leur mode de vie – ne se sentent absolument pas menacés par les sanctions, et de ce fait les autres citoyens ne se sentent évidemment pas correctement protégés, et ne le sont pas.
Un exemple récent et tragique l’illustre bien. Il y a quelques jours, à Salles en Gironde, un jeune homme a blessé mortellement un gendarme en fonçant délibérément sur lui avec son scooter. Pourtant, le juge d’instruction en charge du dossier a choisi de ne relever à son encontre que « l’homicide involontaire » et de le laisser en liberté, c’est-à-dire ce qui se décide généralement après un accident mortel. Or, et j’insiste sur ce point, l’agresseur en scooter a agi de manière parfaitement délibérée. Peut-être n’avait-il pas l’intention de tuer, seulement de blesser, mais alors il s’agit au minimum de « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », ce qui correspond bien à une agression et non à un accident.
Fort heureusement, le Parquet a aussitôt fait appel de cette qualification, ce qui prouve qu’il y a tout de même des magistrats qui soutiennent les forces de l’ordre lorsqu’elles le méritent. Mais ne nous y trompons pas. La décision initiale du juge d’instruction, alors même que les circonstances des faits sont sans ambiguïté, doit être comprise pour ce qu’elle est : un camouflet dédaigneux pour ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie pour protéger leurs concitoyens, un signe de plus du mépris de certains magistrats envers les forces de l’ordre, voire plus généralement les victimes (n’oublions pas le très révélateur « mur des cons »). Et ni des effectifs supplémentaires ni des tablettes numériques NéoGend n’y changeront rien, malgré leur indéniable utilité par ailleurs.
C’est donc bien la future réforme de la procédure et surtout de la sanction pénale qui déterminera la véritable nature de la PSQ. Un acronyme de plus pour habiller une modernisation bienvenue mais superficielle, ou bien la réforme de fond qu’on nous promet et dont notre pays a un réel et urgent besoin.
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