Il y a erreur sur l’erreur ! Ou comment voir du racisme là où il n’y en a pas

On voit du racisme partout


Il y a erreur sur l’erreur ! Ou comment voir du racisme là où il n’y en a pas
Pierre Webo avant le match PSG-Istanbul BB, Parc des Princes (Paris), 9 décembre 2020. © Francois Mori/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22520599_000009

La faute du 4e arbitre n’est pas celle que l’on croit…


Commençons par les faits : mardi 8 décembre avait lieu un match de football dans le cadre de la Ligue des champions entre le Paris-Saint-Germain et l’Istanbul Basaksehir. Ce match était arbitré par quatre arbitres roumains : un arbitre central, deux arbitres de touche et un quatrième arbitre sur le bord du terrain. Les contacts entre les joueurs en début de rencontre étaient rudes. L’arbitre central siffla plusieurs fautes. Le staff technique de l’équipe turque s’agaça alors de la sévérité de l’arbitre à l’égard de leurs joueurs.

Jugeant l’entraîneur adjoint de l’équipe turque trop véhément, le quatrième arbitre appela l’arbitre de champ à intervenir. Jusqu’ici, rien de plus classique pour un match de football. L’arbitre central est habilité à adresser des avertissements verbaux aux joueurs et au personnel technique sur le bord du terrain, il peut même leur adresser un carton jaune, voire les exclure d’un carton rouge.

Quiproquo autour du mot « negru »

L’objet de la polémique se situe donc uniquement dans les termes employés par le quatrième arbitre pour inciter l’arbitre de champ à intervenir : « C’est le Noir [negru, en roumain] ici. Va voir et identifie-le. Ce gars, le Noir », d’après la traduction de l’Agence France-Presse (AFP).

Des membres de l’équipe technique turque entendirent « negro » au lieu de « negru » et crièrent au racisme. Une enquête est en cours pour déterminer exactement les faits. D’après les rapports de divers journalistes présents sur place, l’arbitre incriminé aurait expliqué qu’il avait dit « negru » en roumain et non pas « negro ». Il aurait alors refusé de s’excuser.

Un genou à terre et le poing levé, les joueurs des deux équipes ont voulu marquer le coup avant le début de la rencontre, au Parc des Princes, le 9 décembre 2020. © Xavier Laine/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22520599_000042
Un genou à terre et le poing levé, les joueurs des deux équipes ont voulu marquer le coup avant le début de la rencontre reprogrammée le lendemain de l’affaire des propos présumés racistes du 4e arbitre, Parc des Princes, le 9 décembre 2020. © Xavier Laine/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22520599_000042

Les joueurs et dirigeants des deux équipes ont été divisés sur la démarche à tenir : reprendre le match avec un autre quatrième arbitre, revenir sur le terrain en se tenant la main en signe de lutte contre le racisme, arrêter définitivement le match… Finalement, c’est cette dernière option qui a prévalu. Depuis, de nombreuses personnalités, proches ou éloignées du monde du football, se félicitent de cet acte fondateur pour la lutte contre le racisme dans le football.

Il se trouve qu’en plus d’être sociologue, je suis fan de football, aussi bien en tant que joueur que spectateur. C’est un monde qui m’est familier. C’est important de le préciser car les commentateurs d’une sphère qui leur est inconnue ont tendance à faire des projections et à ne pas contextualiser ce qu’ils commentent.

L’erreur du quatrième arbitre est une faute professionnelle. Si le quatrième arbitre dit à l’arbitre central « identifie-le », c’est précisément qu’il n’a pas identifié l’entraîneur adjoint de l’équipe turque. Or il ne s’agit pas ici d’une rencontre amateur entre deux équipes de village, mais d’une rencontre professionnelle de premier plan, confiée à des arbitres triés sur le volet : ils sont censés être parmi les meilleurs de leur profession. Par professionnalisme, le quatrième arbitre aurait dû préparer le match (à l’aide d’un trombinoscope par exemple) pour être capable d’identifier tous les acteurs, aussi bien les joueurs titulaires que les remplaçants et les membres de l’encadrement.

Comment désigner quelqu’un dans le feu de l’action ? On peut le pointer du doigt, ce qui n’est pas poli mais efficace. On peut aussi le décrire à partir d’un trait caractéristique visible pour que son interlocuteur l’identifie facilement

A défaut d’identification, le quatrième arbitre désigna l’entraîneur adjoint par sa couleur de peau. Il se trouve que cet adjoint est camerounais et noir. Comment désigner quelqu’un dans le feu de l’action ? On peut le pointer du doigt, ce qui n’est pas poli mais efficace. On peut aussi le décrire à partir d’un trait caractéristique visible pour que son interlocuteur l’identifie facilement. Il faut donc citer un trait caractéristique distinctif par rapport aux autres personnes présentes autour. On peut trouver cela maladroit et regrettable que le quatrième arbitre ait désigné l’entraîneur adjoint en utilisant sa couleur de peau, mais, objectivement, la couleur de peau d’une personne est l’une des premières choses qui saute aux yeux. C’est donc un trait utile pour une communication efficace dans ce type de contexte.

Certains persistent à y voir du racisme

J’ai beau écouter et lire les propos de toutes les personnes qui s’érigent sur leurs grands chevaux depuis ce fameux incident, je ne vois pas où il y aurait du racisme là-dedans. En revanche, la colère sur le coup des personnes dans le stade qui ont cru entendre « negro » est compréhensible. L’immense majorité d’entre elles ignoraient vraisemblablement comment on disait noir en roumain. Mais ils auraient pu se calmer une fois le malentendu linguistique dissipé.

Leur argument pour persister à voir du racisme dans cette affaire est d’affirmer que le quatrième arbitre n’aurait jamais mis en avant la couleur de peau de l’entraîneur adjoint si celui-ci avait été blanc. Tout est une question de distinction. Si l’équipe en question n’était pas turque, mais camerounaise par exemple et que presque tous les membres de l’équipe sur le bord du terrain avaient été noirs, le quatrième arbitre aurait pu désigner l’adjoint comme « blanc » pour que l’arbitre central le repère facilement. De même, qu’il aurait pu dire « le grand », « le roux », « celui aux cheveux longs », etc.

Ce n’est pas forcément agréable d’être désigné et réduit à un seul trait, mais les arbitres parlaient entre eux. Ils ne s’adressaient pas directement à l’entraîneur adjoint. En outre, ce qui aurait réellement pu être offensant, c’eût été d’employer un terme péjoratif : « le nègre », « le crétin », « la tarlouze », etc.

L’essentialisation omniprésente dans le football

S’il y a un domaine où l’essentialisation règne en maître, c’est bien le football. Quand je jouais en club à Boulogne-Billancourt (92), dans les années 1990, mes coéquipiers m’appelaient parfois « le blanc » ou « le Français », voire pour l’un d’entre eux « le riche » car il m’avait demandé la profession de mes parents et en avait déduit que les miens étaient plus riches que les siens. Il était vrai que j’étais quasi le seul blanc de l’équipe. En revanche, je crois que 99 % de mes co-équipiers étaient eux aussi Français.

Quand j’ai joué au foot au Pérou, on m’appelait « le maigrichon » (El Flaquito). D’autres étaient surnommés « le gros » et chacun y voyait des surnoms ; personne ne portait alors plainte pour grossophobie. Le surnom d’un ancien joueur du PSG, Javier Pastore, était « El flaco », ce qui signifie le maigre. Les journalistes français le désignaient parfois ainsi et personne à ma connaissance n’a porté plainte contre ces journalistes pour racisme anti-maigres.

À lire aussi, Franck Crudo : PSG – Istanbul Basaksehir, un match engagé

Il est donc cocasse que ce soit le milieu du football qui s’offusque aujourd’hui qu’une personne en ait désigné une autre par sa couleur de peau dans un contexte très précis. D’autant que dans le monde du football, comme plus généralement dans la culture populaire, ce sont souvent les non-blancs qui désignent les non-blancs par leur couleur de peau ou bien leurs origines. Personnellement, je n’ai jamais appelé un de mes coéquipiers « le renoi » ou « l’arabe » mais eux le faisaient souvent entre eux. De plus, ce qui pourrait passer pour des insultes vu de l’extérieur prenait un tour amical et affectueux. Certains coéquipiers d’origine maghrébine ou d’Afrique noire se lançaient entre eux des « sale arabe ! » pour rigoler ou bien parce que les insultes servaient de ponctuation.

Du racisme dans le foot ?

Mon fils, alors âgé de 5 ans, avait assisté dans les années 2010 à un match amateur auquel je participais. Il avait commencé à compter le nombre d’insultes proférés entre joueurs mais n’avait vite plus eu assez de doigts pour compter. J’avais dû lui expliquer que « fils de p… » était bien évidemment une insulte, mais que, paradoxalement, dans certains contextes et milieux, c’était plus une interjection qu’autre chose : tout dépendait du ton et du degré amical de la relation des gens qui s’envoyaient ces mots doux à la figure.

Il y a du racisme dans le football. Mais sans doute moins que dans la plupart des milieux professionnels qui s’offusquent du racisme dans le football. D’ailleurs, le racisme dans le sport se situe peu sur le terrain, essentiellement dans les tribunes. S’il y avait des matchs à arrêter, ce serait précisément quand des spectateurs jettent des bananes sur le terrain ou poussent des cris de singe. Cela me semble bien plus grave que de désigner une personne non identifiée par sa couleur de peau.

Il me semble qu’il y a suffisamment de racisme dans le monde pour ne pas avoir besoin d’en voir là où il y a une « simple » faute professionnelle. Comment disait Camus déjà ? « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »

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