Depuis l’arrivée du Qatar à la tête du club, le PSG a perdu ses valeurs et son identité, sacrifiées sur l’autel de la « marque » qu’ont voulu en faire ses nouveaux propriétaires. Ces derniers devraient y voir la première raison de leurs récents échecs.
C’était le temps de l’adolescence, la découverte de l’indépendance quand ma mère me laissa enfin aller seul au Parc des Princes, en métro depuis la Croix de Chavaux à Montreuil. J’achetais une merguez à la Porte de Saint-Cloud, un billet demi-tarif au guichet pour dix francs et à la fin des matchs j’enjambais le fossé séparant les tribunes de la pelouse pour aller féliciter les joueurs, comme lors de la finale de la Coupe de France contre Saint-Etienne en 1982, notre premier titre. Nous n’avions pas de tifo estampillé du logo d’un fournisseur, mais des rouleaux de papier toilettes qu’on balançait du haut de la tribune Boulogne à l’entrée des équipes. Un vendredi sur deux, j’en faisais une razzia dans ma pension de Seine-et-Marne, en vue du match du week-end ; un jour, je me suis fait piquer avec un sac plein de PQ avant de prendre le car pour Paris, j’ai eu du mal à donner une explication crédible.
Maillot noir et superstars
Plus tard, j’ai pris une loge au Parc pour la boîte dont j’étais DG et j’ai été invité quelques fois au Carré VIP du temps où Colony Capital détenait le club. Cela m’a permis d’apprécier le chemin parcouru et de me dire que j’avais quand même pas mal réussi dans la vie. Il y avait moins de célébrités qu’aujourd’hui en tribune présidentielle et pas encore de conciergerie à l’accueil des loges, comme dans les grands hôtels, pour réserver un voyage ou louer une voiture… A l’époque, on venait juste au stade pour voir du foot et encourager les mecs qui portaient nos couleurs.
J’ai vu jouer le PSG des centaines de fois au Parc et j’ai commencé à ressentir le malaise dès le début de l’ère qatarie. La première année, à la mi-temps des matchs, ils passaient une pub surréaliste en anglais pour la banque QNB, personne ne pigeait rien au message et les clients potentiels ne devaient pas être foule parmi les spectateurs. La posture de nouveau riche ignare devint embarrassante le jour où David Beckham, l’idole de Manchester, fut accueilli au Parc sur l’air de Hey Jude des Beatles, le groupe de la ville rivale de Liverpool. Beckham dont la fin de carrière fut célébrée comme s’il était un gars de chez nous, alors qu’il n’avait porté notre maillot qu’à quatorze reprises. Ce maillot qui fut ensuite maltraité chaque année un peu plus, au gré des lubies mercantiles d’experts en marketing : réduction a minima de la traditionnelle bande du milieu, disparition du berceau de Louis XIV dans le blason censé représenter l’histoire de l’institution, et jusqu’aux couleurs, le rouge et le bleu, remplacées par un noir prémonitoire le jour de la dernière humiliation en date, contre Manchester.
Je m’ennuie moins au Parc, mais…
Nos généreux actionnaires ont cherché la notoriété dans une politique d’acquisition de marques individuelles en fin de cycle (Beckham, Ibrahimovic, Alves, Buffon), négligeant de retenir les jeunes formés au club (Sakho, Rabiot), qui auraient pu incarner la pérennité de son esprit, comme le fit dans les années 80 un Luis Fernandez. On ne peut que souhaiter la fin de cette politique de recrutement à courte vue, qui prive nos espoirs locaux des places de titulaires nécessaires à leur progression (Areola, Kimpembe).
Bien sûr, il y a une part d’ambiguïté dans mon jugement. J’ai adoré voir Zlatan inventer pour nous des gestes inédits, j’ai goûté les titres accumulés au cours des dernières années et notre domination hexagonale, et je me suis moins emmerdé au Parc depuis 2011 (date du rachat par le Qatar) qu’au cours de la décennie précédente. L’ambiance y est redevenue parfois digne des grandes années, grâce au CUP, nouveau groupe d’ultras magnifiques installé tribune Auteuil. Mais si le PSG reste mon club, ce n’est pas parce qu’il a recruté Neymar, pas parce qu’il est le plus beau sur le catalogue du foot mondialisé et que je l’ai choisi après avoir fait mon shopping entre le Barça, le Bayern ou la Juve, même pas parce qu’il gagne, mais simplement parce que je suis d’ici, j’y ai grandi et passé l’essentiel de mon existence. Si j’étais né à Marseille, j’aurais supporté l’OM, bien évidemment. Les clubs peuvent changer de propriétaires, les supporters ne changent pas de club, pas dans ma vision romantique du foot en tout cas.
Rendez-nous Hechter !
Alors je sais, l’évolution de ce sport est sans doute irréversible. Et elle a du bon, je le reconnais, comme le prouve la qualité extraordinaire de certains matchs de Champions League, à l’image du récent Real-Ajax. Mais, tant pis si je passe pour un vieux con, je préférais le PSG de Hechter, avec sa double billetterie, à celui du Qatar, avec ses gazo-dollars.
Les spécialistes ont expliqué les multiples raisons du fiasco du PSG en coupe d’Europe sous la présidence de Nasser Al Khelaifi. Il me semble qu’elles se résument toutes en un péché originel : les dirigeants ont développé un business, avec un succès indéniable, mais ils ont oublié de faire grandir un club, qui est fait d’attachement à une histoire (mise en valeur des anciens, respect de l’institution) et d’adhésion collective à une identité (le blason, le maillot). Je me demande d’ailleurs si ce raisonnement ne fonctionne pas aussi en politique.
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