Quand la planète foot joue à l’antiracisme, s’agit-il enfin d’éthique ou, comme d’habitude, de business ?
L’arrêt total du match opposant le Paris-Saint-Germain au club d’İstanbul Başakşehir mardi dernier a été salué par beaucoup comme un pas en avant remarquable dans la lutte contre le racisme.
De l’événement au non-événement
Les ingrédients du non-événement étaient pourtant réunis pour ce match : un rendez-vous aux abords du périphérique parisien, dans un stade froid et vide, pour un enjeu sportif très limité – le club parisien étant déjà qualifié et le club stambouliote éliminé. C’était sans compter sur le quatrième arbitre qui, en début de rencontre, a désigné un membre du staff turc en le qualifiant de Noir (negru, dans sa langue roumaine). Protestation, invectives, mêlée, confusion. Après une longue période de flottement, les joueurs des deux équipes ont décidé de ne pas reprendre le match de la soirée en raison de ce comportement jugé inacceptable.
Le match a pu se tenir le lendemain. Avant le coup d’envoi, tous les joueurs ont mis un genou à terre, certains ont levé le poing. L’Equipe titrait « Ensemble », Le Parisien soulignait « La révolte des joueurs », et CNN saluait cette démonstration puissante de solidarité (« a powerful show of solidarity »). Un seul mot d’ordre circule dans les rangs serrés de la diversité : le racisme n’a sa place « ni sur le terrain, ni en dehors ». L’UEFA, qui organise la compétition de la Ligue de champions, a depuis longtemps une formule digne d’une candidate Miss Univers : « No To Racism ». Bref, le racisme, c’est mal, et il faut le mitrailler d’hashtags.
Le problème est qu’à force de vouloir faire feu de tout bois, l’antiracisme s’autoconsume. En l’espèce, le caractère raciste des propos tenus n’est pas démontré à cette heure. Une enquête est en cours. Mais celle-ci doit apparaître superflue au brésilien Giuliano (jouant pour le club turc) qui a déclaré : « il est temps que les gens comprennent qu’il n’y a pas de couleur, nous sommes tous pareils. »
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La couleur est devenue raciste. Désigner quelqu’un par sa couleur de peau pouvait manquer de tact ? C’est devenu systématiquement raciste.
La tolérance par l’indifférenciation est évidemment un non-sens, mais c’est pourtant la nouvelle norme flottante de cet antiracisme qui soutient qu’il n’y a pas de couleur – contre toute évidence – mais va recourir à des races customisées lorsqu’il s’agit de défendre les « racisés » contre les Blancs. L’ensemble de la démarche insulte la raison et la science, mais c’est pour l’empire du bien, donc ça passe crème. A propos de crème, attention l’été prochain à ne pas parler de « bronzage » ou de « prendre des couleurs ». Les antiracistes vous repousseront derrière leur écran totalitaire et finiront de vous griller sur Twitter.
Un incident riche en enseignements
Quelles autres leçons tirer de cette affaire ? J’en vois trois.
La première est le point commun entre Hollywood et le monde du foot, à savoir : les rites de purification morale et collective s’y font avec d’autant plus de zèle que leur milieu est corrompu. Le ballon rond est enflé de malversations en tout genre, d’évasion fiscale, d’agents marchands de bestiaux, de dopage, de corruption en tous sens et à tout niveau, de flux financiers douteux, de scandales d’arbitrage et de guerres d’image. Alors, quand le quatrième arbitre d’une rencontre anodine a donné l’occasion d’une scène de lynchage digne de René Girard (le philosophe, pas l’entraîneur), les joueurs de foot et autres acteurs du marché ne s’en sont pas privés. La star française Kylian Mbappé a déclaré « on ne peut pas jouer avec ce gars », tandis que Demba Ba a pu apparaître en héros – lui qui avait moins de scrupules moraux quand il s’agissait de jouer en Chine pour plus de 14 millions annuels.
Dans le foot comme ailleurs, le filon antiraciste est lucratif et valorisant. Les retraités Lilian Thuram ou Éric Cantona l’ont bien compris. Pour les joueurs en activité, il peut servir à jeter l’opprobre sur un sélectionneur dont on ne respecte pas les choix – comme l’a fait Karim Benzema avec Didier Deschamps. Le délit de racisme, qu’il soit réel ou supposé, est érigé en crime suprême par les nouveaux juges. La tournure volontairement fanatique de cette purge morale permet d’éviter toute contradiction tout en légitimant les sanctions les plus absurdes.
Récemment, l’international uruguayen Edison Cavani a remercié un ami sur un réseau social d’un « gracias negrito ». Or, cette expression « negrito » a une portée affectueuse dans sa langue, et n’a naturellement pas offensé son ami. Mais le joueur risque tout de même d’être sanctionné par la fédération anglaise qui s’est saisie du dossier. Son club de Manchester United va plaider le « contexte culturel ». De façon générale, des matchs ont déjà été interrompus pour des propos racistes, qu’ils soient avérés ou supposés, punissant tout le public présent. On peut noter, en revanche, que si un joueur casse la jambe d’un autre avec un tacle, les deux quittent la pelouse (l’un étant exclu, l’autre évacué sur une civière) et le match peut reprendre. Pareil pour une bagarre en tribunes. Ou pire. En avril 2017, un attentat contre le bus des joueurs de Dortmund, traumatisant l’équipe et faisant deux blessés, n’avait retardé le match que d’une journée.
Le foot business ne s’arrête que pour des causes qui peuvent servir le business. L’antiracisme est un étendard marketing pour les fédérations internationales et nationales de football.
Un deuxième aspect est l’exploitation politique des événements sportifs qui, grâce à la magie de l’antiracisme, atteint de nouveaux sommets. Le match PSG – İstanbul Başakşehir a donné lieu à une dénonciation particulièrement cocasse, celle du président turc. RT Erdoğan a en effet vu, dans cette affaire, une preuve supplémentaire du racisme terrible qui sévirait en France aujourd’hui. Outre l’aspect dérisoire de l’accrochage, rappelons qu’il tient aux déclarations supposées racistes du quatrième arbitre – Sebastian Coltescu, un pauvre diable de nationalité roumaine – à l’encontre d’un membre du staff turc – Pierre Webo, lui-même camerounais.
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Mais comme ça s’est passé à Paris, le nouvel ami d’Emmanuel Macron y a vu opportunément du racisme national. Le président français a dû apprécier cette semaine footballistique : son club de cœur, l’Olympique de Marseille, s’est pris une énième gifle dans la compétition européenne et termine dernière de son groupe. Tandis que le match du rival parisien a offert à Erdogan l’occasion d’un nouvel affront.
La troisième leçon est peut-être la plus troublante. Il s’agirait plutôt d’une énigme, celle du club parisien. Le Paris-Saint-Germain est résolument un club à part, traversant les compétitions comme un bizut. Ce club a souvent essuyé les plâtres sur la scène nationale, que ce soit en matière de discipline (décision inouïe de suspendre a posteriori un joueur pour simulation en 2003, initiée par un éphémère conseil national d’éthique), ou en matière d’arbitrage (penalties en cascade pour des tirages de maillot en 2006 – cette politique d’arbitrage fut sans suite).
A l’international, il a été un des premiers clubs condamnés au titre du fair-play financier. Il a aussi amèrement regretté l’absence d’assistance vidéo à l’arbitrage quand il a affronté Barcelone en 2017, lors d’une élimination historique. Deux ans plus tard, cette assistance fut introduite dans la compétition, et Paris en fit immédiatement les frais (élimination à la dernière minute contre Manchester). Mardi dernier, alors qu’aucun débordement venant des tribunes n’était à craindre, puisqu’elles étaient désertes, c’est sur le terrain du PSG et non ailleurs que l’UEFA envoya ce quatuor arbitral, dont Sebastian Coltescu qui officiait pour la dernière fois en Ligue des champions. Avec le PSG, le désastre arrive toujours in extremis.
Suite à cette affaire, les menaces de mort que cet homme a reçues doivent le perturber, sachant qu’il a déjà tenté plusieurs fois de se suicider dans le passé. Certains soirs, la magie du Paris-Saint-Germain qu’aiment à chanter ses supporters paraît bien noire. Ce 8 décembre, elle a rencontré la magie de l’antiracisme, pour aboutir à une illusion qui convaincra seulement ceux qui voulaient qu’elle soit. Pour les autres, le truc est trop gros.
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