Convenez qu’il en faut du courage pour parfois s’opposer. C’est d’ailleurs toujours en s’opposant qu’on obtient ses lettres de noblesse. Il n’est qu’à regarder l’attribution des prix Nobel de la Paix pour constater que l’heureux lauréat est moins « un partisan de » qu’ « un opposant à ». C’est la même chose en Libye, en Egypte, en Tunisie, et en Syrie. Il y a ceux qui sont pour les régimes d’avant et ceux qui s’opposent à ces mêmes régimes. Les premiers sont bien souvent des tortionnaires, les seconds des héros. Ainsi va la doctrine négativiste du XXIème siècle. Il faut rendre grâce à Stéphane Hessel. S’il n’a pas inventé l’opposition, il a du moins su la théoriser et l’essaimer aux quatre coins de la planète. On s’indignera tour à tour contre la pollution, les guerres, l’injustice, la finance mondialisée, ou le racisme. Mais dans le même temps on ne célèbrera pas les efforts immenses en faveur de l’écologie, de la paix, de la justice, d’une meilleure répartition des richesses et de l’accueil de la diversité. Parce que, dans ce cas, l’indignation n’aurait plus aucun sens.
A ce petit jeu là, la gauche excelle. Dans une Vème république longtemps acquise à la droite, l’opposition est devenue sa marque de fabrique. Il ne lui manquait qu’un slogan pour parachever sa fière posture, l’ambassadeur Hessel le lui a offert. De l’autre côté, la droite rumine et baisse la tête. Elle a bien du mal à s’indigner. Rien d’étonnant après tout. Lorsque l’on partage avec sa rivale l’ensemble des idées sur l’économie de marché –donc sur tout le reste-, encore faut-il préserver l’apparence d’une certaine divergence idéologique, au risque, dans le cas contraire, de ramener le PS et l’UMP à une simple équation sans variables. Mais mimétisme oblige, la droite doit trouver le pendant de l’indignation sans paraître vouloir singer la gauche.
C’est à nos confrères du Point que les ténors de l’UMP vont devoir rendre grâce. En une de son dernier numéro, l’hebdomadaire évoque la guerre de succession que la droite traverse actuellement et met en exergue un titre au moins aussi racoleur que celui des Indignés : « Les affranchis ». Ils sont neuf, ils sont beaux, ils sont jeunes et ils ont tous été ministres et composeront désormais sans Nicolas Sarkozy. Ils ont en commun d’être pro-européens, hostiles aux alliances avec le Front National et de vouloir conjuguer la réduction des déficits avec un minimum de générosité sociale. Ils sont « gaullistes, humanistes, réalistes, audacieux, à l’écoute d’électeurs déboussolés ». L’histoire ne raconte pas la suite mais gageons qu’ils pourraient être résolument républicains, attachés à la liberté, l’égalité, la fraternité ; qu’ils sont résignés à tout faire pour affranchir le monde des atrocités de la pollution, des guerres, de l’injustice, de la finance mondialisée ou du racisme. Soyons encore plus fous : pourquoi ne croiraient-ils pas fondamentalement à l’éducation, à la laïcité et à la magie du « vivre ensemble » ?
L’histoire de France aura engendré bien des ordres. Il y a eu ceux qui priaient, ceux qui combattaient et ceux qui travaillaient. Puis il y a eu les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires ; les bonapartistes, les légitimistes, les orléanistes ; les républicains et les hussards. Dans ce début de siècle hanté par le spectre d’une résurgence du Front National, la société propose désormais de s’indigner ou de s’affranchir. Un choix d’autant plus aisé que l’indignation et l’affranchissement sont les deux faces d’une même médaille moralisante. Verlaine leur aurait déclamé avec jouissance : Les Déjàs sont les Encors !/ Les Jamais sont les Toujours !/ Les Toujours sont les Jamais !/ Les Encors sont les Déjàs !
*Photo : Le Point
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