Les Plaisirs et les Jours, livre de jeunesse et les Souvenirs de lecture de Jeanne Proust, la mère de l’écrivain, éclairent la métamorphose d’un jeune homme à la mode en écrivain génial.
« Bonheur de Proust : d’une lecture à l’autre, on ne saute jamais les mêmes passages », écrit Roland Barthes dans Le Plaisir du texte. Cette formule lapidaire et lumineuse est le meilleur résumé qui soit du génie proustien. Proust est d’abord celui qui a bouleversé notre perception de la réalité, la preuve de la véracité de la fameuse phrase d’Oscar Wilde, « la nature imite l’art ». Il y a eu un avant et un après Proust en littérature, comme il y a un avant et un après Monet en peinture.
Cette réinvention du monde est d’abord celle d’une langue que Proust a forgée, avec cette fameuse phrase qui se déroule à l’infini en volutes où on se perd et où on se retrouve, comme on perd et on retrouve le temps qui est le cœur même de la Recherche. C’est pourquoi le texte proustien, comme l’a bien vu Barthes, est un tissu continu, une longue métaphore moirée. Inutile de chercher chez lui des « morceaux de bravoure » puisque tout le récit en est un et qu’il est impossible d’y trouver des moments-clés qui seraient des sommets d’où on pourrait contempler tout le paysage.
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Victoire sur la mort et le chagrin
Il y a toujours quelque chose de mystérieux dans le surgissement d’une œuvre majeure. Une certaine illusion rétrospective fait croire qu’elle a toujours été là, d’un bloc. On voit à chaque lecture un monde surgir d’une tasse de thé dans laquelle on a trempé une madeleine, un monde enchanté par des profils de jeunes filles à bicyclette au bord de la mer et par une sonate mystérieuse dont un simple motif musical signe une victoire éternelle sur la mort et le chagrin.
À chaque lecture, encore, le lecteur trébuche sur ce défaut d’un pavé dans la cour d’un hôtel particulier du Temps retrouvé et reçoit la révélation tant attendue : la seule immortalité est dans le livre que le narrateur s’apprête précisément à écrire, parce qu’il vient de comprendre pourquoi il doit l’écrire. À la recherche du temps perdu est avant tout cette histoire d’un livre qui raconte comment il s’écrit, cette histoire d’un cercle, semblable au serpent Ouroboros
