Causeur. Comment avez-vous débuté ?
Emmanuelle. J’avais 23 ans quand mon mari est décédé. J’ai dû trouver un emploi. Mais je n’étais pas trop mal faite et, très vite, j’ai été victime de harcèlement. J’ai dit « Stop ! » et je suis partie. J’avais 400 francs pour survivre.
J’habitais le 9e arrondissement de Paris et je passais régulièrement devant un hôtel dont j’avais appris qu’il recevait des jeunes femmes. J’y suis entrée, j’ai fait la connaissance de Rosette, une femme adorable qui m’a beaucoup aidée, appris à ne pas être idiote. Puis les hôtels ont fermé et, comme mes copines, j’ai trouvé un studio. J’avais des horaires de bureau, je vivais comme tout le monde. Je n’étais pas malheureuse et je n’ai jamais connu ni le proxénétisme, ni les camions, ni le bois. J’ai rencontré un client qui m’a sortie de là au bon moment : je m’étais juré qu’à 40 ans, j’arrêterais. Avec ou sans proxénète, la femme qui veut s’en sortir le peut si elle en a la volonté et le courage.
La proposition de loi visant à sanctionner les clients de prostituées, déposée par deux députées PS, est examinée en ce moment par les députés. Qu’en pensez-vous ?
Cette loi va contre le bon sens ![access capability= »lire_inedits »] Pénaliser les clients, c’est déplacer le problème. Très vite sera trouvé un système qui contournera les nouvelles contraintes, et les prostituées n’y gagneront pas au change : le travail sera davantage clandestin. Derrière la pénalisation du client se cache surtout l’intention de supprimer la prostitution.
Et vous pensez qu’elle est un mal nécessaire, voire nécessaire tout court ?
Je ne sais pas, mais on peut lutter contre certains abus. Ce n’est pas ce qu’on a fait en obligeant les hôtels de passe à fermer. Les prostituées qui en avaient les moyens ont acheté des studios, devenant proxénètes à leur tour en les louant à des consœurs contre de forts loyers. Puis on a fermé les studios : elles exercent aujourd’hui dans des camions, dans des conditions épouvantables. Malgré tout, elles tentent de rester dignes : croyez-moi, leur hygiène est impeccable et elles sont très bien organisées.
Selon le gouvernement, 80 % à 90 % des prostituées en France sont victimes des proxénètes et des réseaux…
C’est faux ! Il y en a, mais ce n’est pas la majorité. Mme Vallaud-Belkacem croit-elle les sortir de la prostitution en leur assurant le RSA ? Elles prendront leur RSA et continueront de se prostituer. Une grande partie des « officielles » ont entre 45 et 65 ans. Après avoir passé le plus gros de leur vie professionnelle à se prostituer, elles n’ont ni l’envie ni les moyens de se réorienter et de gagner 900 euros par mois. La seule manière d’éradiquer la prostitution forcée, c’est d’augmenter le nombre de policiers sur le terrain pour protéger les personnes les plus fragiles contre les proxénètes. Cependant, la plus grande partie des prostituées travaille librement, paye des impôts, et n’est pas une charge pour l’État.
Certains partisans de cette loi affirment que la prostitution est contrainte par définition : quand il y a échange d’argent, il ne peut y avoir consentement.
Je ne suis pas d’accord. Le client paie pour un service rendu, comme chez un médecin ou un dentiste. Il s’agit de deux personnes consentantes. C’est un contrat comme un autre. Ce n’est pas en faisant de grands discours qu’on arrangera les problèmes.
Comment alors?
Par exemple, quand on a demandé aux prostituées du bois de Vincennes de respecter des jours et des heures de travail précis, elles ont accepté ! Après une discussion directe, elles se sont pliées aux règles.
Quelle est votre expérience personnelle vis-à-vis des clients ?
Le client typique est un Français lambda qui a des besoins sexuels, envie de passer un moment avec une femme. Ce n’est pas l’image qu’on s’en fait en écoutant les médias. Et maintenant, on va s’attaquer essentiellement aux clients les plus pauvres. Les PDG, les politiques, les émirs qui iront dans les palaces, croyez-vous qu’on va les pénaliser ?[/access]
*Photo : SERGE POUZET/SIPA. 00671086_000013.
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