C’est curieux, personne, même pas la ministre chargée de défendre en dernière lecture à l’Assemblée nationale le texte pénalisant les clients de la prostitution, n’a jugé utile d’accoler son nom à cette loi. Nous n’aurons donc pas de « loi Rossignol », dont le patronyme champêtre risque fort, donc de tomber dans les oubliettes de l’histoire politique et parlementaire de la France.
On en restera donc à Marthe Richard pour incarner le mouvement abolitionniste du commerce sexuel dans notre pays, avec sa loi de 1947 ordonnant la fermeture des maisons closes, lupanars et autres bordels. Madame Rossignol entonna pourtant le 6 avril 2016 un mélodieux chant de victoire, n’hésitant pas à qualifier la nouvelle législation d’événement à la hauteur de la loi Veil de 1975 libéralisant l’avortement.
Mirage suédois
Le lendemain, au micro de France inter, elle balayait d’un revers de la main toutes les timides objections que l’animateur de la matinale, Patrick Cohen, s’efforçait de lui présenter, avec les précautions d’usages dans la sphère bobo : peut-être cela aura un effet sur la prostitution des rues, mais quid d’Internet ? Les policiers renâclent à dépenser de l’énergie pour verbaliser les clients alors qu’ils sont déjà débordés par d’autres tâches plus urgentes… Les « travailleuses (et travailleurs) du sexe » organisés s’inquiètent d’être maintenant contraints de se retirer loin des lieux publics, donc offrant un minimum de protection contre les violents et les cinglés pour exercer leur activité…
Tous ces arguments de bon sens ne valent pas tripette pour Lolo Rossignol qui semble tombée sous la coupe d’un gourou femelle, la procureure générale du royaume de Suède qui lui assure que, dans son pays, les mâles en recherche de rapports sexuels contractuels de brève durée sont pourchassés dans l’espace total, réel et virtuel avec la même ardeur que les terroristes ou les prédateurs pédophiles, et que ça marche. Les flics et fliquettes de France devront s’y faire, la loi c’est la loi et ils verbaliseront les michetons comme les fadas du champignon sur les routes : en planquant des radars dans des endroits choisis et aléatoires. La start-up qui inventera la machine à coincer les clients des prostituées a un avenir radieux devant elle !
Les chaisières du PS ont gagné
Cette victoire du néoféminisme[1. À lire d’urgence sur ce thème : Des putes & des hommes de Pierre-André Taguieff (Ring, 2016).], celui de celles qui sont insensiblement passée de la défense de la cause des femmes à l’essentialisation des hommes comme acteurs éternels et immuables de la domination et de l’oppression, est pourtant – et heureusement – totalement illusoire. Les chaisières du PS ont gagné, à l’usure et en intimidant leurs petits camarades de bancs au Palais-Bourbon, comme les harpies des ligues de tempérance des Etats-Unis étaient parvenues à imposer la prohibition totale de l’alcool sur tout le territoire de l’Union. On leur doit une série de romans, de films et autres trésors culturels relatant les exploits d’Al Capone et de ceux chargés de combattre la mafia de l’alcool de contrebande. Le mieux qui puisse nous arriver, c’est que cette stupide loi d’ordre moral suscite, dans notre littérature, une créativité de cet acabit. Pour le reste, je suis prêt à parier le prix d’une passe de luxe que cette loi aura autant d’effets réels sur l’éradication du rapport prostitutionnel qu’un jet d’urine destiné à faire sortir un fa d’un Stradivarius. Chante, Rossignol chante, toi qui as le cœur gai, tu as le cœur à rire, moi je l’ai à pleurer…
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