Dans certaines contrées, pour certains extrémistes religieux, l’apparition du coronavirus serait l’expression de la colère divine, un fléau envoyé par le Créateur pour châtier les humains pécheurs…
… Et par chez nous, pour certains écologistes, cette calamité s’est donc abattue sur l’humanité pour la punir de ses dérives. Le châtiment ne provenait pas d’un quelconque dieu, mais de Mère Nature / Gaïa, lassée de nous voir impunément la polluer ! Ainsi, la nature est conçue par certains telle une divinité impitoyable devant laquelle l’humain devra s’amender, se repentir, poser un genou à terre et demander pardon pour tout le mal infligé.
Le « virus humain » VS nature bienveillante
Pendant la période de confinement, le rêve des écologistes et des décroissants devenait réalité. Le monde, quasiment à l’arrêt, avait cessé sa course effrénée vers le progrès : les voitures ne roulaient plus, les avions étaient cloués au sol, et les humains contraints de rester chez eux. Partant, aux quatre coins du monde, la nature était enfin délivrée du mal. Les vidéos montrant des animaux sauvages investir les milieux urbains étaient massivement partagées sur internet. La formule « la nature reprend ses droits » devenait un leitmotiv chez des journalistes peu inspirés (pléonasme ?).
Au-delà des images charmantes, l’idée sous-jacente consiste à opposer l’espèce humaine, malveillante par essence, à la nature, intrinsèquement bienveillante. L’homme serait un virus qui viendrait déséquilibrer l’ordre naturel des choses, un parasite qui opprimerait le reste du vivant pour son bon plaisir ou par arrogance. Les malheurs qui nous arrivent ne sont finalement que justice rendue.
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Au mois de juin, Aymeric Caron publiait un livre intitulé La revanche de la nature, comme si la nature était une entité consciente des notions de droits ou de justice. La nature ignore en réalité absolument tout des concepts moraux. Elle n’est ni bienveillante ni malveillante : seule la survie lui importe.
Bien-sûr, la symbiose peut exister, c’est-à-dire la coopération intelligente entre espèces vivantes. N’en demeure pas moins que le modèle dominant reste celui de la prédation et de la compétition, la nature est dénuée de moralité la plupart du temps, elle ne connaît ni le bien ni le mal. De notre point de vue d’humains, la nature peut même nous sembler brutale et violente. Qu’il s’agisse du monde animal ou végétal, elle est le théâtre permanent d’injustices et de cruauté. Vous seriez horrifiés d’apprendre que telle femelle de l’espèce animale gobe ses petits à peine nés, ou que des êtres viennent au monde en dévorant leur mère de l’intérieur. Le majestueux lion n’a aucun état d’âme à déchiqueter un jeune zèbre. Certaines guêpes pondent leurs œufs dans le corps de leur proie, une fois éclos, les larves la rongent de l’intérieur en prenant soin d’épargner les organes vitaux, une mort lente et atroce. C’est aussi l’œuvre de la nature. De même, si vous observez attentivement un carré de terre, vous constaterez que les plantes se livrent une lutte perpétuelle pour l’espace et l’accès à la lumière. Nous sommes résolument loin de la vision idéalisée d’une nature bienveillante et juste.
Le droit naturel des choses…
Toujours dans l’idée que la nature serait une entité consciente, quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron déclarait au sujet d’une proposition faite par le Conseil Citoyen sur le Climat : « Il est essentiel de le mettre au bon niveau, mais de ne pas mettre le droit de la nature au-dessus du droit humain. » Bien que je sois d’accord avec cette assertion, ce principe de « droit de la nature » me laisse perplexe. Comme dit précédemment, la nature est dénuée de morale, et l’idée d’une nature vengeresse me paraît foncièrement tronquée. Si nous tentons de réfléchir au sens de cette formule, nous sommes vite confrontés à ses limites : quels sont ces droits dont il est question ? Qu’en est-il de notre place au sein de ce système ? De plus en plus d’écologistes remettent en question la notion d’anthropocentrisme. Mais si la nature reprend ses droits, c’est qu’il y a forcément eu confiscation. À partir de quel moment peut-on considérer que ce processus a commencé ? Avec le nucléaire ? la machine à vapeur ? la maîtrise du feu peut-être ?
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Nous sommes incontestablement les seuls à avoir maîtrisé le feu. Sans le feu, que pèserions-nous dans le jeu de la sélection naturelle ? N’est-ce pas là une violation de l’ordre naturel des choses ?
Le Mythe de Prométhée et la maîtrise du feu
Aujourd’hui, depuis le confort de nos habitations modernes ultra-confortables, nous pouvons nous octroyer le luxe de toutes ces considérations. En revanche, je ne crois pas que la question se pose pour les pays émergents, dont l’objectif premier est d’atteindre le confort des pays industrialisés. Ou encore pour nos lointains ancêtres préhistoriques, tout occupés qu’ils étaient à survivre.
Il faut dire qu’en comparaison à d’autres espèces vivantes, les humains ne sont pas spécialement gâtés par Mère nature : nous courrons nettement moins vite qu’un léopard ou que son gibier, nos dents ne sont pas autant acérées que celles d’un chien ou d’un requin, notre peau fine nous protège mal contre les morsures du froid ou celles du Soleil. Ainsi, la domestication du feu constitue une véritable révolution, puisqu’elle a permis un rééquilibrage salutaire pour notre espèce dans la répartition initiale.
Cette idée que la maitrise du feu est la première transgression de « l’ordre naturel des choses » est fortement présente dans le mythe de Prométhée, qui est un puissant Titan châtié par Zeus pour avoir donné le feu aux Humains.
Selon ce mythe grec fondateur qui raconte la création des hommes, Prométhée, missionné par Zeus pour répartir les dons entre les espèces vivantes, avait accepté de déléguer cette charge à son frère Épiméthée.
« Et dans sa répartition, il dotait les uns de force sans vitesse et donnait la vitesse aux plus faibles ; il armait les uns et, pour ceux qu’il dotait d’une nature sans armes, il leur ménageait une autre capacité de survie. A ceux qu’il revêtait de petitesse, il donnait des ailes pour qu’ils puissent s’enfuir ou bien un repaire souterrain ; ceux dont il augmentait la taille voyaient par là même leur sauvegarde assurée ; et dans sa répartition, il compensait les autres capacités de la même façon » [tooltips content= »Platon, Protagoras »](1)[/tooltips]
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Épiméthée, dont le prénom signifie « celui qui réfléchit après coup », s’était précipité dans l’exécution de sa tâche, oubliant de distribuer des attributs de survie à l’homme, ce dernier apparaît alors « nu, sans chaussures, sans couverture, sans armes. » Prométhée, qui était d’une grande sagesse contrairement à son frère, tente de réparer cette erreur : « Face à cet embarras, ne sachant pas comment il pouvait préserver l’homme, Prométhée dérobe le savoir technique d’Héphaïstos et d’Athéna, ainsi que le feu – car, sans feu, il n’y avait pas moyen de l’acquérir ni de s’en servir -, et c’est ainsi qu’il en fait présent à l’homme. »
Le feu est la préfiguration du pouvoir transformateur de l’homme, pouvoir qui lui permettra de transcender sa condition, initialement peu enviable, mais qui le poussera vers une démesure destructrice, notion que les Grecs nomment l’hubris. Considérée comme un terrible crime, l‘hubris désigne l’orgueil qui pousse inexorablement les hommes à outrepasser la mesure, pire, à se prendre pour les égaux des habitants de l’Olympe, au risque de menacer l’harmonie de l’ordre établi… Pour avoir dérobé le feu, et défié les Dieux, Prométhée est sévèrement châtié : Zeus le fait attacher, nu, sur le mont Caucase. Chaque jour un aigle vient lui dévorer le foie, qui se régénère perpétuellement.
Zeus punit également les hommes ; par le biais de Pandore, il introduit les maux dont souffre l’humanité : les guerres, les maladies, la pénibilité du travail et de la vie, une sorte d’expulsion d’un jardin d’Éden. Selon ces mêmes croyances antiques, les mortels coupables d’hubris s’attirent le courroux de la déesse Némésis, personnification de la juste colère divine, tantôt assimilée à la vengeance, tantôt à l’équilibre des forces.
Quoi qu’il en soit, l’humanité est ce qu’elle est, à savoir une espèce complexe, qui pour sa propre survie est obligée de modifier un environnement dont elle est totalement dépendante. L’enjeu consiste donc à trouver la voie médiane, celle de la mètis, mot commun utilisé par les anciens grecs pour désigner une forme particulière d’intelligence, faite d’habileté, d’adaptation, et de ruse. Une intelligence incluant une sagesse agissante, capable d’anticiper une réalité en constante évolution, et de s’y acclimater rapidement.
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