Ce jeudi est discuté à l’Assemblée nationale le projet de loi « donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie ». S’inscrivant dans une prétendue volonté d’améliorer la loi Leonetti-Claeys de 2016, ce projet de loi veut établir le droit à l’euthanasie visant à donner la mort. Un texte de Laurence Trochu, présidente du Mouvement Conservateur
Fidèle à la doxa individualiste de notre époque, ce projet de loi traduit notre incapacité collective à penser la mort ; il constitue une rupture anthropologique et médicale majeure. L’élévation de l’euthanasie au rang de droit entrainera nécessairement un accaparement des ressources pour en garantir l’accès. Cela se fera indubitablement au détriment des soins palliatifs qui constituent pourtant une alternative efficace pour accompagner les patients en fin de vie. Il ne peut y avoir de « en même temps » : soit la France s’engage de toutes ses forces dans la culture des soins palliatifs, soit elle liquide le sujet de la fin de vie en validant l’euthanasie.
Une loi du renoncement
Ce projet de loi favorable à l’euthanasie s’inscrit parfaitement dans la zeitgeist du moment : la primauté de la liberté individuelle. Il souffre donc des mêmes travers et des mêmes limites que toute autre loi dite « progressiste » : l’impossibilité de penser le débat hors de l’autonomie de l’individu. C’est donc un projet de loi de renoncement : renoncement à penser « la vie bonne », l’éthique, la morale ou la mort en dehors du prisme de l’individualisme ; il sanctionne l’abandon de toute recherche éthique en la réduisant au critère du choix individuel. Or, la mort doit se penser sur un plan politique et éthique plus large, car ses implications vont au-delà du simple respect de l’autonomie de l’individu et du libre choix de définir sa propre mort.
L’impensé de la mort
L’euthanasie est une volonté d’évacuer la mort et le caractère profondément mystérieux qu’elle implique. Contrôler sa mort, c’est chercher à esquiver le tragique et l’inconnu qu’elle implique. Cette approche est caractéristique de nos sociétés modernes où la mort ne doit plus faire partie du réel ; elle doit être cachée, évacuée et pour cela maîtrisée et décidée. Choisir le moment de sa mort, c’est accorder la préséance à la peur qu’elle nous inspire plutôt que d’embrasser et assumer l’incertitude qui l’entoure.
Or, l’être humain est le seul animal qui doive vivre avec la conscience de sa propre mort. Accepter pleinement son incertitude, la fin naturelle de la vie, est donc un gage de notre humanité. Y renoncer en programmant sa mort revient à renier une part de ce qui nous caractérise comme humain. C’est ce qu’explique le philosophe Louis-André Richard : « L’être humain n’est jamais aussi humain que lorsqu’il assume ce questionnement sur sa condition de mortel (…) à commencer par l’acceptation de l’impossibilité qui nous est faite de savoir quand nous allons mourir. Or, l’euthanasie, en tant qu’acte qui porte le risque d’une posture égocentrée, occulte en partie ce qui fait la condition humaine (…) et atténue par la même occasion toute possibilité de réflexion sur le sens de la vie. »
Une négation de notre anthropologie
Une société se fonde sur des interdits. La nôtre repose, entre autres, sur l’interdit de donner la mort. L’euthanasie nie notre rapport à cette limite qui nous caractérise comme civilisation. Il devient donc urgent de repenser notre société au regard des fondements sur lesquels elle s’est édifiée. A la lumière de cet héritage, c’est aujourd’hui le rôle de la médecine qui doit être contemplé. Il n’a jamais été de donner la mort, mais de soigner dans le cadre de ce que le philosophe Jacques Ricot nomme « le pacte de soin ». Le soignant fait la promesse d’apporter un soin à la mesure de ses compétences, et le patient s’engage à suivre le traitement. Le soignant n’est pas souverain dans son choix et doit obtenir l’approbation du patient ; ce dernier conserve son autonomie sans toutefois la faire valoir de manière absolue puisqu’il s’en remet à son médecin. Ainsi, le devoir de respecter l’autonomie du patient se trouve tempéré par l’obligation de lui procurer un bienfait par un soin. Or, contrairement à ce que la tyrannie des bons sentiments veut nous faire croire, l’euthanasie n’est pas un soin : « Faire mourir délibérément une personne n’est pas la même chose qu’en prendre soin jusqu’à son terme ».
Cette précieuse distinction, qui a inspiré les précédentes lois sur la fin de vie, est aujourd’hui balayée par le nouveau texte en discussion. Sous couvert de respect de la dignité humaine, il vient armer de la faux la main du médecin. L’expérience des pays ayant travesti le rôle de la médecine est éloquente. En Belgique, le nombre d’euthanasies a décuplé en quinze ans, il a quintuplé au Canada en seulement trois ans, et triplé aux Pays-Bas depuis 2002.
Progressisme contre progrès
Le progressisme de l’euthanasie n’est en rien synonyme de progrès. Les défenseurs du texte tiennent sur ce point un raisonnement fallacieux : s’opposer à l’euthanasie est contraire à la dignité humaine, car c’est condamner les patients à un acharnement thérapeutique qui les plonge dans d’atroces souffrances. Nous lui opposons le formidable progrès des soins palliatifs : la médecine n’a jamais été aussi performante pour contrôler et soulager la douleur physique. Reste la terrible détresse psychologique de se savoir et de se voir diminué et dépendant. C’est précisément là que l’humanité se révèle. L’humanité mise à nu du patient affaibli appelle un surcroît d’humanité des soignants et des proches en bonne santé. C’est dans leurs regards et la douceur de leurs gestes que le malade perçoit sa propre dignité et la valeur inconditionnelle de sa vie. Dans cette rencontre, l’un et les autres se découvrent plus hommes que jamais.
Assumés et affrontés, les questionnements qui rôdent autour de la mort sont paradoxalement sources d’une paix profonde. Lorsqu’on a aimé jusqu’à l’impensé, on a tout donné. Et tout reçu. Ce sont ces dernières étapes de la vie que les soins palliatifs permettent de vivre pour que la mort ne nous soit pas volée.
Les dangers d’une euthanasie érigée en droit
En revanche, un système de santé où coexisteraient une offre de soins palliatifs et l’euthanasie comme droit est la certitude de voir toutes les ressources financières et matérielles orientées vers l’euthanasie au détriment des soins palliatifs. Puisque seul un droit doit voir son accès garanti, point de « en même temps » possible ici. Cette analyse est d’autant plus vraie dans un contexte où les finances publiques sont limitées et que les soins palliatifs ont un coût. Quel vrai choix aurait alors un patient en fin de vie quand les soins palliatifs deviennent inéluctablement parents pauvres du système de santé ? Comment être certains que des pressions ne s’exerceront pas sur lui afin qu’il choisisse une euthanasie rentable? Les lieux où se pratique la médecine palliative deviendront plus que jamais des lieux de résistance politique.
Le regard libre d’Élisabeth Lévy
« L’euthanasie : panoplie progressiste, refus de la condition humaine »
Retrouvez la chronique radio d’Elisabeth Lévy tous les jours à 8h15, dans la matinale de Sud Radio
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