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Une certaine tyrannie qui me rappelle « la Plage »

Notre société devient progressivement l'allégorie du film


Une certaine tyrannie qui me rappelle « la Plage »
Leonardo DiCaprio dans "La plage" 51401004_000007, RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA

Comme dans le film La plage (Danny Boyle, 2000), les fantasmes d’égalitarisme et de progressisme déshumanisent petit à petit notre société au nom du « Bien ». Toutes les décisions prises en commun tournent au calvaire. Prends garde, Léonardo! 


Nous vivons sur une plage. Sable blanc, eaux turquoises, soleil éternel. L’avenir est
rutilant des promesses de jours heureux. Nous avons la liberté pour astre. Elle rayonne à l’horizon de nos vies. Les dernières limites semblent vouloir tomber. On abat aujourd’hui les dernières frontières qui nous empêchent, individus uniques comme des flocons de neige, d’exister pour rien ni personne d’autre que nous-mêmes. L’enthousiasme est à son comble. Les instagrammeurs abondent, projetant l’expression illimitée de leurs individualités dans des décors exotiques, tout en lançant sans cesse des appels à la politique du cœur. Serions-nous à l’orée d’un nouveau jardin d’Éden?

Le film La plage

Sorti en 2000, le film La plage a fait rêver, à l’époque, plus d’un voyageur. Le scénario avait tout pour plaire. On proposait au spectateur de suivre un trio de routards beaux et jeunes dans une aventure périlleuse sur une île thaïlandaise dont le secret de l’existence leur avait été révélé par un individu étrange, retrouvé mort dans sa chambre le lendemain. L’île avait tout pour enthousiasmer de jeunes hippies modernes : promesse de champs infinis de marijuana et d’une plage paradisiaque.

Le trio, séduit par cette possibilité d’un tourisme hors balises, prend donc la mer et débarque non pas sur une île déserte, mais au beau milieu d’une commune autogérée, anarcho-libertaire, peuplée de voyageurs identiques – hippies modernes, attirés par le tourisme exotique et la marijuana – vivant une vie idyllique loin de l’oppressante et impure civilisation et de ses inacceptables contraintes.

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Au-delà du premier degré de son scénario, La plage constitue une critique acerbe des dangers que courent ceux qui acceptent de s’abandonner pieds et poings liés aux vertueux rêves d’illimitation et de bonheur éternel promis par les tenants du crédo progressiste. Ce film extrêmement lucide montre à qui veut le voir la tyrannie qui se terre derrière le plus engageant des crédos progressistes.

Le « soft power » au détriment du « hard power »

D’abord en montrant l’impossibilité de l’abolition des hiérarchies et de la verticalité sociale. Dans la commune de « la plage », il est spécifié que toutes les décisions se prennent en commun, dans une perspective parfaitement égalitaire. On découvre cependant rapidement que ces prétentions ne sont qu’un voile dissimulant un régime autoritaire. À la tête de la communauté se trouve une femme, idéal-type de l’activiste d’extrême-gauche, polyamoureuse, ayant réussi à vassaliser par diverses manœuvres et
manipulations psychologiques ses congénères. Derrière les prétentions radicalement égalitaristes de la communauté, c’est le despotisme qui affûte ses crocs. C’est le soft power qui inlassablement s’exerce.

On aimera nous faire croire, dans le monde actuel, que ce « pouvoir doux » s’est positivement et heureusement substitué à l’horreur guerrière que constitue l’exercice du hard power. Mais à la violence militaire s’est substituée une pléthore d’autres formes de violences.

Violence envers la pensée libre, celle qui ose remettre en question l’ordre politique établi. Preuve en est, dans l’allégorie que nous offre La plage, le sort réservé au fuyard qui, à l’hôtel, transgressant la règle numéro un de la communauté quant à la préservation du secret de son existence, est retrouvé mort le lendemain. Pour ce rebelle, que la despote de la commune, lorsqu’on lui en parle, n’hésite pas à psychiatriser de la même manière que n’hésitent pas à le faire des progressistes lorsqu’ils sont confrontés à des conservateurs ou des réactionnaires, le fait de refuser l’utopie anarcho-progressiste aura signifié la mort.

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Mort physique dans le film. Mort symbolique dans le monde d’aujourd’hui, où le dissident qui portera un coup de trop à l’édifice progressiste se verra réduit à
l’impuissance soit par une élite en position coercitive, ou encore par l’effondrement psychologique qui résultera du rejet total de l’expression de ses idées et de son être
dans le monde.

Nulle dissidence ne sera tolérée au royaume! Toute violence sera acceptable pour soutenir la Cause.

Nulle dissidence ne sera tolérée au royaume « gauchiste »

La déshumanisation qui résulte de la mise en place de ces régimes basés sur le Bien peut sembler paradoxale. En effet, nous sommes aujourd’hui conditionnés à croire que toute apparence de hiérarchie, de verticalité et de limites empêche l’individu de réaliser son plein potentiel et constitue, de ce fait, la mère de toutes les violences. Le film fait s’évanouir toutes ces illusions. Un des membres de la commune se blesse et en vient à
tomber gravement malade. Sa souffrance dérangeant le bon fonctionnement de la communauté, conjuguée à l’inacceptable idée de le transporter sur le continent pour le faire soigner, pousse la despote à suggérer fortement qu’on l’abandonne dans la jungle, à l’écart, de manière à ce qu’il agonise seul et loin des regards.

Voilà l’illustration parfaite de ce qu’engendrent les fantasmes politiques hyper égalitaires d’extrême-gauche : un retour forcé à cet état de nature pré-civilisationnel dont parlait Thomas Hobbes dans son Léviathan, où l’homme est, finalement, un loup
pour l’homme, où la survie des plus forts et des plus influents est la seule véritable morale qui tienne. Les habitants de la commune verront cette vérité se révéler crûment à eux, le récit se terminant de manière franchement apothéotique.

Une tyrannie au service du « Bien »

Avant de partir à l’aventure, un des voyageurs avait pris soin d’esquisser une copie de la carte révélant l’emplacement de l’île à d’autres jeunes touristes épris d’exotisme.
L’envie prit naturellement à ceux-ci de partir à leur tour en quête du paradis terrestre.
Les plantations de cannabis promises ne se trouvaient cependant pas là par hasard. Elles sont, apprend-t-on, la propriété de trafiquants indigènes lourdement armés, ces derniers ayant passé un pacte avec les fondateurs de la commune : leur présence sera tolérée si l’existence de l’île reste secrète. L’arrivée des nouveaux voyageurs constitue donc, pour la communauté, une catastrophe compromettant sa survie.

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Dans une tentative désespérée de garder vivante son utopie, se voyant offrir par les indigènes la possibilité de rester sur l’île à condition d’accepter de tuer le responsable de la violation de son secret à coup de pistolet, la despote, sous les yeux horrifiés de ses
condisciples, appuie sur la gâchette de l’arme que lui ont remis les contrebandiers. Une arme chargée à blanc révèle aux yeux de tous ce qu’elle et le système politique qu’elle a institué sont : une impitoyable tyrannie drapée du voile séduisant de l’indiscutable Bien.

Pour peu qu’on soit capable d’y voir autre chose qu’un simple divertissement, le film La plage constitue un avertissement contre le mirage égalitaire et progressiste. Il n’y a en effet rien de pire, en politique, que de laisser une pureté idéologique se réclamant du Bien prendre la place de la défense pure et simple des préférences exprimées par les citoyens. C’est à la plus terrible des tyrannies que nous mènerons les
prescripteurs progressistes d’aujourd’hui.

La Plage

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Jenny Langevin est étudiante et chroniqueuse culturelle et sociopolitique. Elle contribue à divers médias québécois, dont L'Action Nationale, la revue Argument, La Presse et le Huffington Post Québec. Elle s'intéresse particulièrement aux rapports entre l'évolution de la littérature et de la culture populaire en lien avec les enjeux sociaux contemporains.

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