Accueil Édition Abonné Avril 2017 Programmes économiques: le jeu des 5 erreurs

Programmes économiques: le jeu des 5 erreurs


Programmes économiques: le jeu des 5 erreurs
François Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Benoît Hamon lors du premier débat télévisé de la campagne présidentielle. Photo: Patrick Kovarik
François Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Benoît Hamon lors du premier débat télévisé de la campagne présidentielle. Photo: Patrick Kovarik

Il existe deux façons légitimes de traiter les programmes présidentiels des candidats qui pourraient se qualifier au second tour – Fillon, Macron, Le Pen et Mélenchon, voire Hamon si les sondeurs se trompaient massivement. La première consiste à évaluer la cohérence des propositions au regard d’un monde transformé par la crise américaine, la crise de l’euro et de l’Europe, le péril terroriste, la vague migratoire et les votes anglais et américain de 2016 : les candidats ont-ils intégré dans leurs logiciels programmatiques tous ces changements qui ne figuraient pas à l’agenda de la mondialisation heureuse ?

La seconde se propose de confronter les propositions essentielles à l’état d’une France amoindrie et désarmée par les erreurs qui ont marqué les étapes du « suicide français ». C’est celle que nous avons choisie. Après tout, ce sont encore la France et les Français, c’est encore notre Histoire que nous connaissons le moins mal. Mais cela suppose que soient d’abord traitées les deux impostures qui ont dominé notre Histoire récente : l’imposture mitterrandienne et l’imposture chiraquienne, dont Éric Zemmour a analysé les ressorts.

L’imposture mitterrandienne et l’imposture chiraquienne

L’imposture mitterrandienne, c’est le socialisme à la française, cette mixture de marxisme et de redistribution sociale inscrite dans les 110 propositions de 1981, elles-mêmes largement inspirées par le programme communiste : nationalisation des plus grandes entreprises industrielles, nationalisation intégrale des banques, augmentation massive des prestations sociales et du Smic. Toutefois, ce n’est pas l’échec du programme, reconnu en 1983 une fois pour toutes, qui révèle une mystification, mais le fait qu’il a marqué une bifurcation majeure vers la libéralisation des marchés financiers, la mise en œuvre du marché unique puis le lancement de la monnaie unique, toutes opérations orchestrées depuis Bruxelles par le mauvais génie de l’expérience, Jacques Delors, avec la bénédiction de François Mitterrand. On pourrait parler de trahison. Ce serait manquer l’essentiel : le socialisme à la française était un faux-semblant dont l’échec était programmé. Un véritable coup de bonneteau : les électeurs benêts qui avaient tiré la carte « socialisme à la française » se sont vu présenter la carte « Europe néolibérale » par les deux arnaqueurs Mitterrand et Delors. Et cette Europe a poursuivi sa course en imposant sans cesse de nouvelles contraintes, aux États au nom des équilibres comptables, et au monde du travail par un libre-échangisme sans limites à ce jour, comme le montre le vote récent du Ceta, traité de libre-échange avec le Canada[1. Le vote récent du Ceta, traité de libre-échange avec le Canada, en est la dernière manifestation.].

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L’imposture chiraquienne. Quand Jacques Chirac a rompu avec Giscard en 1976, c’était au nom d’un gaullisme trahi par ce dernier. Son nouveau parti conjuguait le retour aux valeurs gaullistes et un « travaillisme à la française » – au moment d’ailleurs où le travaillisme anglais connaissait la faillite qui devait conduire à l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher. Faut-il énumérer les zigzags de Jacques Chirac, converti au thatchérisme en 1980, puis à la social-démocratie à nouveau en 1995, avant de s’enliser dans une impuissance avouée durant son dernier mandat présidentiel ? Nous manquerions encore l’essentiel qui est que Chirac a été le liquidateur du gaullisme avec la complicité active de Balladur et de Juppé : quand il a organisé la cohabitation (1986), première brèche majeure dans la Constitution de 1958, quand il a approuvé la monnaie unique (1992), quand il a souscrit aux élargissements successifs de l’Europe, quand il a accepté le retour dans l’Otan.

Mais c’est avec sa conversion à l’Europe bureaucratique en plein essor depuis 1984, date de l’installation de Jacques Delors à la tête de la Commission, que Chirac, après son élection de 1995 qui coïncide avec la mort de celui qu’on avait surnommé Dieu, réalise la fusion des deux impostures. Ni les Jospin, Royal et Hollande, à gauche, ni les Juppé et Sarkozy, à droite, n’ont tenté de se délivrer de ce lourd héritage pour refonder une légitimité personnelle. Ne cherchons pas ailleurs la désorientation de tant de Français qui s’apprêtent à voter. Privés des repères essentiels, ils cherchent encore l’individu providentiel qui va les tirer d’affaire, comme s’il ne s’agissait que d’une question de personne.

Nous avons besoin d’un diagnostic sans faiblesse sur l’état de la France dans un monde largement hostile, et d’idées neuves. Or le programme de trois des candidats révèle plutôt la tentation du retour au passé : retour de la planification chez Mélenchon, retour du partage du temps de travail chez Hamon, retour du thatchérisme pour Fillon. À l’autre bout du spectre idéologique et politique, Macron et Le Pen incarnent les deux projets les plus antinomiques et les plus idéologiques, une France du tiers-monde subordonnée à l’Allemagne d’un côté, une France nationaliste qui échapperait au joug de l’Allemagne de l’autre.

Jean-Luc Mélenchon : le retour de la planification

L’originalité du programme de Jean-Luc Mélenchon réside dans sa réhabilitation verbale de la planification. Pourquoi pas s’agissant d’un philosophe connaisseur du Capital et d’un politique qui nourrit toujours une admiration pour l’expérience cubaine ? Attention, il s’agit d’une planification écologique. Jean-Luc Mélenchon entend sauver la planète menacée par l’homme, l’écologie doit donc prendre le pas sur l’économie qui renvoie à un monde bientôt révolu. Qu’envisage notre trotskiste converti à l’écologie ?

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Rien. Nous disons bien rien. La planification écologique relève du pur[access capability= »lire_inedits »] boniment. Alain Lipietz, député européen écolo, a rappelé que la planification exigeait un organisme dédié, des moyens et une action collective de tous les ministères concernés menée sous l’autorité du Premier ministre en liaison avec les collectivités territoriales. Mélenchon évoque des projets émanant du terrain, portés par des individus ou des groupes. Rien à voir avec une planification véritable qui serait indicative, prescriptive ou les deux ! Comme le disent ses collègues de gauche, Mélenchon aspire à battre les estrades, pas à prendre le pouvoir.

Benoît Hamon : le retour du partage du travail

Les médias de gauche, qui militent en fait pour Macron, font mine de prendre au sérieux le candidat de la « rupture » en la personne de Benoît Hamon. Ils mettent en avant son projet de revenu universel et sa volonté de faire advenir une autre Europe. N’insistons pas sur ces deux leurres. Le revenu universel, d’un coût de 400 milliards d’euros, ferait bondir le déficit public annuel de 3 à 23 % du PIB et ferait exploser par ailleurs notre déficit commercial : la première émission du Trésor public après son instauration ne trouverait pas preneur ! L’autre Europe évoquée par Hamon consisterait à organiser le subventionnement de l’Europe du Sud par l’Europe du Nord, le candidat du PS laissant entendre que la France serait alors la bénéficiaire des largesses de l’Europe du Nord : nous serions désormais dans la position de mendiant de l’Allemagne. Benoît Hamon se trompe de public. C’est de l’autre côté du Rhin qu’il devrait faire campagne afin de convaincre les travailleurs et les épargnants allemands échaudés par les sacrifices déjà consentis pour sauver les éclopés de la zone euro.

Reste la promesse d’une nouvelle réduction du temps de travail, immensément populaire chez les fonctionnaires et les gens du spectacle fidèles aux partis de gauche, aussi irréaliste soit-elle. C’est la véritable « nouvelle donne »[2. Nom du groupuscule politique de Larrouturou.] qui mobilise encore les espoirs. Si Lionel Jospin, qui a privatisé et conduit maintes réformes néolibérales avec DSK, est allé jusqu’au bout des 35 heures en dépit de ses doutes, c’est que cela répondait au vœu le plus cher de son électorat. Benoît Hamon est ainsi fidèle à une grande spécificité de la gauche française qui la distingue de toutes les autres gauches en Europe et dans le monde. L’irréalisme de son discours est en phase avec l’imaginaire de son électorat de référence. La chose est essentielle pour un candidat qui vise à hériter de la rue de Solférino. Mais n’y a-t-il pas d’autres urgences pour la France que de donner un successeur à Cambadélis ? Oublions Benoît Hamon, candidat au premier secrétariat du PS.

François Fillon : le retour du « thatchérisme »

On ne déniera pas à François Fillon qu’il représente la bourgeoisie d’argent qui forme le socle de l’électorat « républicain ». Chefs d’entreprises, cadres supérieurs, professions libérales et par-dessus tout possesseurs de richesses touchés par l’ISF. Il la représente cependant jusqu’à la caricature au risque de suggérer qu’il a, comme Giscard, un problème avec le peuple.

Son programme n’est ni plus ni moins qu’un programme « thatchérien » dans l’esprit sinon dans la lettre : sortie des 35 heures, report du départ en retraite et suppression de 500 000 fonctionnaires. Son électorat a reconnu sa bonne volonté en votant massivement en sa faveur aux élections primaires.

Reste à savoir si les réformes « courageuses »[3. Dans la littérature néolibérale, les réformes sont courageuses, sinon ce ne sont pas des réformes.] qu’il met en avant sont cohérentes et appropriées au moment historique. Sortie des 35 heures soit, mais sans contrepartie pour les personnes au travail qui vont accroître leur effort ? N’aurait-il pas été judicieux de consentir une consolidation du contrat de travail à durée indéterminée, nonobstant les exigences d’un patronat qui veut le beurre et l’argent du beurre ? Reporter l’âge du départ en retraite au risque d’ajouter des chômeurs et de reperdre en indemnisation chômage le gain comptable sur les retraites[4. À l’exception de Xavier Bertrand, toutes les augmentations de la durée de cotisation ont été proposées par des fonctionnaires : Simone Veil, François Fillon, Marisol Touraine.] ? Supprimer 500 000 fonctionnaires mais où sapristi, sachant que la masse des fonctionnaires surnuméraires se situe dans les collectivités territoriales et que l’État régalien a déjà subi des coupes claires dans l’armée, la police, la diplomatie ?

Proposition aggravante, Fillon envisage de confier aux assurances la couverture des dépenses de santé. La proposition ne tient pas debout. On ne peut réclamer des smicards ou des demi-smicards qu’ils s’assurent pour leur compte. Dès lors, ou bien il faudrait relever les rémunérations pour aider les cotisants individuels, ou bien on demandera aux classes moyennes de payer, outre leur propre assurance, l’impôt qui permettra de couvrir celle des pauvres[5. Et comment fera-t-on pour contrôler les tarifs médicaux et pharmaceutiques dans le nouveau régime ?]. François Filllon, qui a cédé aux chants des sirènes des assurances, met en danger, par un projet de réforme irréfléchi, son propre électorat. Pour l’instant, celui-ci n’y voit que du feu.

Emmanuel Macron : la collaboration réhabilitée

Causeur a présenté Macron comme l’homme qui doit permettre de prolonger l’expérience de Hollande cinq années de plus. Ce que confirme le battage quotidien en sa faveur de la part des médias qui ont soutenu le président normal jusqu’à son renoncement. C’est à désespérer.

Ce qu’on lui reproche par-dessus tout est son inféodation à la finance. François Bayrou, aujourd’hui rallié à Macron, l’a dit : « Emmanuel Macron est le candidat des forces de l’argent. » Ses premiers soutiens sont les banques anglaises et américaines installées à la City. Macron ne s’en cache pas, il ne se donnera pas le ridicule de dire : « La finance, c’est mon ennemie. » Mais ne risque-t-on pas là aussi de manquer l’essentiel ? Car Hamon et Fillon se gardent de rompre des lances avec les banques. Hamon a souscrit à la réforme bancaire qu’elles ont inspirée, et le programme de Fillon aurait pu être rédigé à l’Association française des banques.

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En réalité, Macron n’est pas le candidat de la finance, il est le candidat de Berlin. Quel dommage que les électeurs ne lisent pas le Financial Times, The Wall Street Journal ou The Economist qui font sa louange constante. Non seulement du fait de son néolibéralisme affiché. Mais aussi parce qu’il est pro-Europe et pro-Allemagne. Après le Brexit, l’élection de Trump, le surgissement des mouvements populistes un peu partout en Europe, son élection serait un soulagement pour Angela Merkel et la Bündesrepublik. Les dirigeants de Berlin qui ont pris le pouvoir à la faveur de la crise de l’euro ont compris que l’Europe était menacée d’éclatement. Ils ne veulent pas se retrouver au milieu des ruines du système. Macron, providence des médias de gauche, des médias néolibéraux, est aussi leur providence.

C’est un autre Emmanuel, Todd, qui nous a livré le fin fond de l’affaire quand il a rebaptisé Hollande « vice-chancelier d’Allemagne chargé de la province France ». Nul besoin que notre territoire soit occupé par l’armée allemande pour que nos dirigeants politiques et nos médias se mettent au service de la puissance allemande[6. À entendre ou à lire certains d’entre eux, on se prend à dire : « Radio Paris ment, Radio Paris est allemand. »]. La trahison des clercs est de retour, bien aidée par la politique xénophile de la chancelière. Angela Merkel incarne les valeurs d’ouverture du système néolibéral. Dans ce nouveau contexte, la collaboration tant honnie se trouve réhabilitée à demi-mot.

C’est le point essentiel pour qui veut comprendre ce qui peut séparer dans le fond un Fillon et un Macron. Fillon ne donne pas les mêmes assurances de subordination à l’Allemagne. Son projet de lever les sanctions économiques contre la Russie a dérangé tout en révélant qu’il ne serait pas forcément aux ordres de la chancellerie de Berlin.

Marine Le Pen : la nation fétichisée

Les médias ont fini par remplacer les vocables politiques ou idéologiques par des vocables géographiques. Fillon est le candidat du centre droit, Macron celui du centre gauche. Et Marine Le Pen la candidate de l’extrême droite – far right en anglais. Il serait plus éclairant de dire qu’elle est la candidate nationaliste. Mais elle serait alors rangée non pas dans la sphère sulfureuse du fascisme plus ou moins avoué, mais dans celle des dirigeants de la Chine, communistes nationalistes, du Premier ministre indien qui gouverne à la tête du parti nationaliste, du président russe, du nouveau président américain et, avec un peu d’audace, de la chancelière de Berlin qui défend bec et ongles les intérêts de l’Allemagne en toutes circonstances. Son incrimination deviendrait problématique.

Quant à son programme, on devrait se réjouir qu’elle ait identifié dans la fraude sociale et la gabegie territoriale les principaux gisements de dépenses parasitaires[7. Généralisation de la carte Vitale biométrique, suppression de l’aide médicale d’État et suppression des régions reconnues comme inutiles.], qu’elle envisage la sortie des 35 heures par la voie de la négociation, et par-dessus tout qu’elle ait compris les enjeux de la sortie de l’euro. Premier enjeu : le rétablissement de la compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne qui, sinon, exigerait des allègements de charges massifs qui ne sont possibles que dans l’imaginaire patronal. Second enjeu : la faculté de créer de la monnaie pour financer les investissements prioritaires de nature économique, militaire ou écologique à fort retour sur la dépense (dans la limite de 20 milliards d’euros). Et si l’on devait critiquer sa présentation, ce serait pour dire qu’elle n’a aucune chance d’obtenir un démantèlement concerté de la prison monétaire, comme elle le prétend : le geôlier allemand ne lui donnera pas le bon de sortie. Il lui faudra, si elle est sincère, sauter le pas en bravant le système.

Reste un point crucial de son projet qui heurte l’intelligence. Elle veut introduire une priorité nationale pour l’emploi, arbitraire et absurde à la fois. Certes, les employeurs français usent et abusent du recours aux sans-papiers qui sont aussi et surtout des sans-métier. L’État offre une prime à l’emploi des personnes non qualifiées par un allègement de charges sur les bas salaires qui coûte plus de 20 milliards d’euros par an. Mais on voit mal comment entraver l’embauche de personnes qualifiées et de talent dans différents secteurs. Le grand vendeur d’Airbus est américain, Airbus Helicopters emploie des ingénieurs de 47 nationalités, Linda Jackson, la patronne de Citroën, est anglaise. Et nos restaurateurs italiens emploient tant de compatriotes transalpins. Comment comprendre une telle bévue ?

Marine Le Pen fétichise la nation. Elle suit ainsi un processus intellectuel symétrique et inverse de tous ceux qui ont fétichisé l’Europe et la mondialisation. Mais prendre le contre-pied de la propagande mensongère du système ne donne pas forcément les clés de l’avenir. Sans parler de l’accusation de xénophobie qui va refleurir dans les médias et dans les propos de ses concurrents politiques. Il y a tant d’autres façons convaincantes d’incarner le changement. Espérons qu’elle se rétractera sur ce point et consacrera ses efforts à expliquer l’impératif catégorique de la sortie de l’euro et des mesures d’accompagnement de la sortie.

La France à contre-courant ?

Ne demandez pas à votre serviteur un pronostic pour le scrutin. Mais il est tenaillé par une hypothèse. En 1981, la France avait choisi un programme à demi marxiste incarné momentanément par Mitterrand, à contre-courant de l’Angleterre et des États-Unis qui avaient porté Margaret Thatcher et Ronald Reagan au pouvoir. De même, on peut craindre que la France vienne au secours du néolibéralisme ébranlé par l’arrivée au pouvoir de Theresa May et de Donald Trump. Rendez-vous après l’oracle du 7 mai prochain.[/access]

Avril 2017 - #45

Article extrait du Magazine Causeur




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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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