Sur l’école comme sur bien d’autres sujets, le candidat à la présidentielle Eric Zemmour ne se cache pas derrière son petit doigt. Volontiers réactionnaire, son programme devrait naturellement hérisser la majorité des profs – dont les méthodes pédagogiques ont apporté la preuve de leur inefficacité – mais pourrait plaire à bien des parents. Revue de détail.
La reprise, dans le programme d’Eric Zemmour pour l’école, de syntagmes comme “instruction publique”, “certificat d’études”, « surveillant général”, et même “blouse”! résonne comme une provocation. Qu’y a-t-il de moderne là-dedans ? triomphent les uns ; pourquoi revenir en arrière ? accusent les autres. Au moins le candidat ne se cache-t-il pas derrière son petit doigt, comme il aime lui-même à le répéter. Nul besoin de fouiner dans son programme pour débusquer l’os réactionnaire qu’on avait hâte de ronger : il est là, bien en vue, offert à tous les agacements ; presque décourageant d’évidence. Mais les enjeux n’étant pas minces, il n’est peut-être pas inutile d’examiner quelques points de ce programme en dépit des effluves d’encre et de craie.
D’abord, reconnaissons-le : revenir en arrière, lorsqu’on s’est égaré en chemin, n’est pas forcément une mauvaise idée. Puisque personne ne peut plus contester que les acquis scolaires de nos enfants laissent aujourd’hui à désirer, il n’est peut-être pas complètement idiot de chercher l’inspiration dans l’école de nos parents ou de nos grands-parents, qui après tout donnait des résultats plus probants que l’école actuelle, en termes de bagage et d’ascenseur social.
Fin de l’enseignement de l’anglais en primaire et du collège unique
Rendre des heures au français et aux mathématiques en primaire ne soulèvera sans doute guère d’opposition, fût-ce au prix des langues étrangères. Des esprits curieux pourraient s’étonner de la place accordée à la musique, ou demander des gages d’un enseignement musical digne de ce nom, mais on aurait vraiment mauvaise grâce à rechigner. En revanche, le rétablissement d’un examen d’entrée en sixième soulève davantage d’interrogations, voire d’inquiétudes. D’un côté, les parents qui tiennent à la réussite de leurs enfants tout en constatant leurs faiblesses peuvent éprouver bien des réticences à ce qu’un examen vienne abattre son couperet sur leurs espérances. De l’autre, on dira que les redoublements, qui seraient la conséquence d’un échec à l’examen, ne résoudront pas tout – et il est évident en effet qu’une telle mesure ne saurait à elle seule accomplir des miracles. Mais cet examen de passage va ici de pair avec la fin du collège unique : il vise moins, semble-t-il, à multiplier les redoublements, qu’à répartir les élèves en classes de niveaux à partir de la sixième.
Aujourd’hui, et depuis de très longues années, c’est le principe de l’hétérogénéité des classes qui prévaut au collège. Et pour accompagner ce bel élan de solidarité, on requiert des professeurs une “pédagogie différenciée” qui réponde aux écarts de niveau souvent extraordinaires au sein d’une même classe. Pour le dire autrement, on fabrique de toutes pièces un problème, l’hétérogénéité, et l’on demande au professeur de le résoudre. Dans les faits, cela entraîne bien sûr un surcroît de travail et d’inventivité pour le professeur qui dans le meilleur des cas doit jongler avec plusieurs modalités d’activité au cours d’une même séance ; mais comme le jonglage est un art difficile, le collège unique conduit le plus clair du temps au sacrifice des élèves les plus doués, qu’on ne nourrit pas à hauteur de leur appétit, ou des élèves les plus faibles, qui n’arrivent pas à suivre ; et le plus souvent au sacrifice des deux catégories à la fois. Des élèves qui ont des facilités ronronnent, s’ennuient, et se retrouvent plus tard démunis lorsqu’un effort de travail devient indispensable. Les élèves en grande difficulté souffrent, réduits à constater à chaque minute l’inadéquation entre ce qu’ils peuvent faire et ce qu’on leur demande, et à observer leur décrochage par rapport aux autres. Toute la bienveillance du monde ne saurait les duper. On comprend mieux dès lors la rancœur éprouvée aujourd’hui par de nombreux adultes à l’endroit de l’école. Tant d’heures passées sur les bancs de l’école, pour de si piètres résultats !
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Une orientation différenciée dès la quatrième
Il serait donc grand temps de changer le fusil d’épaule : des classes plus homogènes permettraient d’adapter le rythme de l’avancée dans le programme au niveau actuel des élèves, et leur donnerait la possibilité de suivre et de progresser. Il serait aussi fort souhaitable de proposer dès la quatrième des filières différentes, qui offriraient à tous les élèves de développer les capacités qui sont les leurs au lieu de leur imposer un modèle unique de formation qui ne saurait convenir à tous – en prenant soin de mettre en valeur l’intérêt et l’utilité de chaque filière, ce qui ne devrait pas être si difficile pourvu qu’on propose en effet des filières qui aient un intérêt et une utilité réels.
On pourrait sans doute orienter les élèves d’après les résultats obtenus tout au long de leur dernière année au primaire ; mais un examen d’entrée en sixième offre quelques avantages. D’abord il est plus objectif ; ensuite il offre un horizon, des buts à atteindre, susceptibles de motiver les élèves, mais susceptible aussi de motiver les professeurs. Ces derniers, toujours sincèrement attachés à la réussite de leurs élèves, sont néanmoins davantage enclins à l’objectivité (et c’est bien compréhensible) dans le choix de leurs méthodes et dans l’évaluation des résultats qu’ils obtiennent grâce à elles lorsqu’un examen vient sanctionner le travail de leurs élèves. On peut même rêver qu’alors ils entendraient mieux les solides arguments en faveur de la méthode syllabique de l’apprentissage de la lecture.
Haro sur la méthode “semi-globale”
L’introduction de la méthode globale ou semi-globale s’est en effet suivie d’une épidémie galopante de dyslexie et autres dys-quelque chose. Cette corrélation laisse à bon droit suspecter quelque relation de cause à effet, et des neurologues viennent confirmer ce que le bon sens de certains professeurs avait déjà compris. La reconnaissance globale des formes ne s’enseigne pas ; elle est naturelle. En revanche, l’analyse précise des lettres formant des syllabes, qui elles-mêmes forment des mots qui enfin forment des phrases qui ont un sens, est une démarche qui s’enseigne et se construit. Sans cette analyse, l’enfant en reste à une saisie approximative et fatigante du texte, source de toutes les erreurs. Au lieu de le former à la rigueur de l’observation, on le laisse vagabonder au gré de ses intuitions, de sa mémoire ou de son imagination, là où elles n’ont que faire ; on n’entraîne ni la capacité d’attention et ni le raisonnement, et on compromet en définitive la formation de l’esprit. L’imagerie cérébrale révèle de son côté, si l’on se fie aux travaux de Stanislas Dehaene, que l’apprentissage de la lecture consiste à mettre en relation deux aires cérébrales différentes, l’une dédiée à la reconnaissance visuelle des formes, l’autre à la parole, et que c’est l’attention fine et répétée induite par la méthode syllabique de lecture qui seule permet d’établir des liens solides entre les deux aires.
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Si trop de professeurs restent encore attachés à la méthode “semi-globale”, c’est sans doute parce qu’on leur a vanté cette méthode comme la meilleure au cours de leur formation ; il ne faut pas se lasser d’argumenter à l’inverse que la méthode syllabique est la plus indiquée. Certes, grâce aux “dictées à trous” dont ils sont favorisés au brevet, les élèves qui maîtrisent le moins la langue sont souvent ceux qui obtiennent les meilleures notes en dictée : mais qui peut se satisfaire de cette pommade ? Qui peut se réjouir d’entendre des élèves de première ânonner en substituant régulièrement un mot ou une syllabe à l’autre, massacrer la ponctuation et défigurer complètement le sens logique du texte ?
Frotter sa cervelle à celle des Anciens…
Reste que la réintroduction massive de l’étude du grec et du latin aurait là aussi un rôle à jouer. Frotter sa cervelle à celle des Anciens, c’est bien sûr s’échapper de la prison du présent pour se projeter dans l’histoire et envisager des modes de pensée et d’organisation politique et sociale qui a bien des égards étaient différents des nôtres. Bien plus que l’apprentissage de l’anglais, c’est l’école de la liberté et de l’esprit critique. Mais c’est aussi une autre façon de s’approprier notre langue : outre la fréquentation, toujours revivifiante, de l’étymologie, la pratique du thème et de la version forcent à penser et à comparer la grammaire, la syntaxe, le style. Là encore, l’abandon du grec et du latin ayant été concomitant de la baisse du niveau en français, on peut imaginer que son rétablissement à l’inverse en augmenterait la maîtrise.
Autres vieilleries ressorties fièrement des placards : l’instruction publique, la blouse – et même un baccalauréat qui prendrait la forme d’un examen national, anonyme et terminal.
S’il s’agit, en remplaçant “éducation nationale” par “instruction publique”, de signifier haut et fort le primat donné à la transmission de réels savoirs sur le bourrage de crâne idéologique, un certain nombre de parents en ressentiront sans doute un certain soulagement ; et les élèves aussi ! Certes, l’être humain aspire à se reconnaître dans le camp des gentils, et certains jeunes mordent avidement à l’hameçon de l’ignoble tradition sexiste, de la planète qu’il faut sauver en triant les papiers et les gobelets mais en achetant quand même un nouveau téléphone, des migrants du monde entier qui veulent nous donner la main, du genre fluide au point que le prénom fasse l’homme et qu’on reconnaisse une femme à ses boucles d’oreilles… Mais la soupe est un peu lassante à la fin, et on reste en droit de penser qu’un peu moins de moraline et de préjugés simplistes laisserait quelque loisir aux jeunes esprits pour étudier de vraies sciences et de vrais textes, et se faire leur propre idée du monde.
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On peut espérer, aussi, que le mot “instruction” freinerait les ardeurs des inspecteurs qui professent qu’ “apprendre, c’est bête”, ou qu’il convient de ne pas embarrasser l’élève de méthodes afin qu’il puisse s’égarer gaiement – quand tout au contraire une bonne méthode leur permet de fonder et d’enrichir leur réflexion. On se prend même à rêver d’une ouverture des programmes de lettres à certains grands écrivains que les manuels préfèrent raréfier, peut-être parce qu’ils n’étaient pas assez à gauche, ou qu’ils étaient trop catholiques, ou qu’ils ont eu le malheur de dénoncer des excès qu’on tient à ne pas trop mettre en relief ; on leur préfère tout naturellement la première médiocre autrice venue.
Quant à la blouse, on peut bien sûr espérer qu’elle ne soit pas grise quand on préfère le vert, ou qu’elle ne soit pas verte quand on préfère le rose. Moi aussi j’hésite. Mais on aurait sans doute tort de mépriser le symbole d’une abolition des inégalités sociales et économiques à l’intérieur de l’école, qui doit justement être le lieu de l’affirmation des possibles, et non des déterminismes. Si cela ne débouche pas sur une société idéalement juste, du moins cela peut-il participer à réintroduire un peu de jeu dans la reproduction sociale.
Le dynamisme intellectuel et économique de la France en jeu
Il reste bien des points à examiner de plus près, bien des dispositifs et des contenus à préciser dans le programme de l’école selon Zemmour; d’ailleurs nous avons appris à nous méfier des plus séduisantes déclarations d’intention pour juger sur pièces. Il est bien naturel aussi que la formulation ouvertement réactionnaire de ce programme irrite certains esprits. Mais elle n’est pas pour autant vide de sens, et il n’est pas certain qu’elle ne parle pas à l’oreille des parents, lassés de voir leurs rejetons patiner quand ils savent pertinemment que les vieux hussards noirs eurent au moins le mérite de donner quelques solides repères à des générations d’enfants. Ils savent aussi que ceux qui prenaient l’ascenseur social étaient alors dix fois plus nombreux qu’aujourd’hui, ce qui après tout n’est pas rien. Ils sentent bien, enfin, que c’est le dynamisme intellectuel et économique de tout leur pays qui, à la fin des fins, est en jeu. Aussi pourraient-ils avoir envie de miser sur quelques valeurs sûres, en quelque sorte, plutôt que sur une nouvelle aventure glamour ou le statu quo. Le débat et la réflexion sur l’avenir de l’école méritent mieux en tout cas que le haussement d’épaules, la posture outragée ou la caricature grossière ; et on peine à comprendre comment certaines plumes peuvent se satisfaire, sur un sujet aussi urgent, d’aboyer que Zemmour est l’ennemi de l’école de la République – excusez du peu !- ou que son programme n’est qu’un tissu d’âneries. Comme le notait George Orwell, l’attaque directe et consciente contre l’honnêteté intellectuelle est toujours le fait des intellectuels eux-mêmes.
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