Accueil Édition Abonné Avril 2019 Profanation de la cathédrale de Lavaur: l’Église pardonne, moi pas!

Profanation de la cathédrale de Lavaur: l’Église pardonne, moi pas!

Le maire Bernard Carayon s'indigne du silence médiatique et de la mansuétude de l'Église


Profanation de la cathédrale de Lavaur: l’Église pardonne, moi pas!
Cathédrale Saint-Alain de Lavaur. ©REMY GABALDA / AFP

Le 5 février, deux lycéens ont mis le feu et saccagé la cathédrale Saint-Alain de la ville de Lavaur (Tarn). Son maire Bernard Carayon s’indigne du silence médiatique et de la mansuétude de l’Église face à ces attaques de plus en plus fréquentes. 


Le timide soleil qui a succédé à la pluie ne s’est pas encore couché, ce 5 février, sur Lavaur, vieille cité tarnaise en Lauragais, teintée par la brique et la pierre dorée. Comme chaque jour, une paroissienne vient fermer la cathédrale pour la nuit, lorsqu’elle découvre qu’une épaisse fumée noire a envahi la nef.

Depuis cinq ans, la municipalité a entrepris de restaurer ce chef-d’œuvre architectural gothique méridional, édifié à la fin du XIIIe siècle, sur une terre marquée par l’hérésie cathare. Large, mais élégante, elle a été intelligemment conçue, comme celle de Pamiers, en Ariège, pour accueillir les foules à convertir, là où s’est dressé le plus important bûcher des Croisades.

L’identité d’une ville

Ici, nous cultivons avec piété le souvenir de Guiraude de Laurac[tooltips content= »Voir mon livre, Écrits et Paroles d’un homme libre, Privat, 2016, p. 45. »]1[/tooltips], seigneur « parfaite » de Lavaur, massacrée le 3 mai 1211 par les hommes de Simon de Montfort. Figure sans visage, aïeule sans tombe, elle incarne en Languedoc la noblesse de l’âme qui s’ajoute à celle de la souche : la femme, chef de guerre – comme seul l’Occident en produit –, qui ouvre sa citadelle aux cathares, échappés des brasiers de Termes et de Minerve.

Grande sœur de sainte Cécile d’Albi, la cathédrale Saint-Alain signe ainsi l’identité de notre ville, née de la tragédie, mais fécondée durant des siècles par les six ou sept congrégations qui y firent le bien.

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Précédé, sur un terroir radical et socialiste, par des maires qui ne s’y rendaient que pour les obsèques de leurs concitoyens, j’avais décidé sa restauration, convaincu que personne d’autre ne le ferait. Murs asséchés, peintures et trompe-l’œil restaurés, pierres parfois remplacées, mise en lumière soulignant lignes intérieures et sculptures extérieures : seuls le narthex et l’armorial des évêques doivent encore retrouver leur état d’origine. Michel Guipouy, mon adjoint à la Culture, y a consacré tant d’énergie et d’amour, qu’il en est devenu le chapelain laïc ! Nous avons été aidés par des artisans-artistes et, outre l’État sollicité alors que Frédéric Mitterrand était ministre de la Culture, les collectivités départementale et régionale ont apporté leur précieuse obole, de même que de généreux mécènes.

Pour l’Église, il n’y a pas eu de « profanation »

Un feu a été allumé, embrasant la table d’autel d’une des chapelles et une crèche, restée là, après Noël. Un crucifix a été retourné, un autre jeté, apprendra-t-on plus tard, dans la rivière voisine, l’Agout. Un troisième Christ, au bras tordu pour lui faire prendre une pose grotesque, orne tristement le confessionnal. Les auteurs de la profanation sont identifiés grâce à la vidéosurveillance, avant qu’ils se dénoncent à la gendarmerie. Ce sont deux lycéens. On ne tarde point chez les bonnes âmes à qualifier leurs actes de « bêtises de jeunesse », selon l’expression prêtée à des paroissiens par France Culture. Des « ados perturbés », selon la Dépêche du Midi. Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques, originaire de Lavaur, jugera sans appel dans la feuille paroissiale qu’il n’y a pas eu de « profanation ».

L'autel incendié d'une des chapelles de la cathédrale Saint-Alain de Lavaur (Tarn), 5 février 2019. ©Bernard Carayon
L’autel incendié d’une des chapelles de la cathédrale Saint-Alain de Lavaur (Tarn), 5 février 2019. ©Bernard Carayon

Notre curé est un saint homme. Bon, joyeux, intelligent. Mais il cherche l’apaisement, d’autant plus que Laurent Wauquiez est venu sur place, partager mon constat d’un acte christianophobe. Il titre son article : « Deux lycéens visitent Saint-Alain… » ; il souligne qu’il a invité l’un d’entre eux à « allumer un cierge et le mettre devant l’autel de la Vierge Marie ». Et il a prié pour lui. Acte symbolique et profond d’une religion d’amour qui pardonne au pêcheur. C’est sa grandeur, et sa singularité historique.

Pas l’acte d’un « déséquilibré »

Les faits, cependant, ne sont pas réductibles à leur charitable traduction : ils ne peuvent être relativisés. Ce ne sont pas les vespasiennes, jouxtant le lycée, comme c’est le cas d’habitude, qui font l’objet d’inscriptions insanes : c’est une cathédrale dont on saccage des objets de culte. Quelle haine faut-il avoir dans le cœur, quel vide intellectuel et moral, pour être insensible à l’œuvre de beauté construite avec force et talent par les ouvriers et architectes du Moyen Âge ? Ce n’est pas dans un état d’ébriété, mais d’un pas sûr que l’auteur de l’incendie a traversé la place pour entrer dans Saint-Alain et commettre son forfait. Il a pris son temps, puis est ressorti partager ses impressions avec ses camarades. Il est revenu, sans doute pour s’assurer du résultat.

En 2018, près de 1 000 profanations d’édifices religieux ont été commises en France, 90 % d’entre eux ont visé des églises et des tombes catholiques. Dans l’indifférence des médias, le silence de la plupart des évêques, soucieux, sans doute, de ne pas souffler sur les braises ?

Silence, on brûle

Récemment, un incendie s’est déclaré à Saint-Sulpice de Paris. Il a fallu vingt-quatre heures pour que les premiers médias s’en fassent l’écho, certains évoquant alors une dispute de SDF. Aurait-on traité de la même façon les mêmes faits, commis dans une mosquée ou une synagogue ?

L’irénisme de l’Église – et ce n’est pas la première fois que je l’observe – fait peine au croyant que je suis, plus catholique, je l’avoue, que chrétien. Je n’ai pas le souvenir que beaucoup de prêtres aient dénoncé, avant Jean-Paul II, les crimes du communisme et embrassé la cause des dissidents. Je me souviens en revanche de la réponse qu’avait faite, en 1973, l’amiral Marc de Joybert à l’évêque d’Orléans, Mgr Guy-Marie Riobé, qui s’était prononcé contre les essais nucléaires de la France. « Mêlez-vous de vos oignons. […] Votre métier est d’enseigner la foi et répandre la charité. »

Je me souviens aussi de l’archevêque de Toulouse, Mgr Le Gall qui, en 2010, avait assimilé le sort des « Roms » à celui des juifs sous l’Occupation. Je l’avais invité, dans une lettre ouverte[tooltips content= »Op. cit., p. 83. »]2[/tooltips], à parler plutôt « des chrétiens d’Orient et d’Asie que l’on massacre dans le silence des bonnes âmes » : « Le courage, écrivais-je, serait de dénoncer les gouvernements qui, au nom de l’islam, rasent les cimetières chrétiens et jusqu’au souvenir de leurs pauvres âmes, le courage serait aussi de condamner les gouvernements qui maltraitent les femmes et ignorent systématiquement les droits de l’homme. »

J’ai mal à mon Église

J’ai mal à mon Église qui conteste les droits des États et des peuples souverains à endiguer une immigration qui prive de leur jeunesse les pays d’origine et suscite, chez nous, désordres, discordes et haines, conflits ethniques, religieux et culturels. « Défiez-vous, disait déjà Jean-Jacques Rousseau dans l’Émile, de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. »

J’ai mal à mon Église qui n’est pas assez fière de ses héros et de ses saints pour s’insurger quand l’Union européenne refuse d’inscrire dans ses traités la référence à ses racines judéo-chrétiennes.

J’ai mal à mon Église qui ne sait pas appeler une profanation par son nom, parce que cela signifie qu’elle a renoncé à combattre ceux qui veulent la détruire. Et qu’elle ait ignoré – ou feint d’ignorer – tant de turpitudes en son sein – dont elle n’a pas le monopole tragique – ne justifie pas ce manque de tempérament et de mémoire.

Peut-être n’est-ce qu’une affaire de génération. C’est aux laïcs et aux Français qui ne croient pas au ciel, ou à ce ciel-là, de prendre le relais. Nous, nous ne baisserons pas la garde.

Dieu pardonnera aux iconoclastes de Lavaur, pas moi.

Avril 2019 – Causeur #67

Article extrait du Magazine Causeur




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est maire de Lavaur et ancien député LR.

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