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L’hypocrisie d’une société sans (re)pères

Le monde politico-médiatique n’en finit plus de tirer des conclusions sociétales du procès Pelicot


L’hypocrisie d’une société sans (re)pères
Procès Pelicot, Avignon, 14 décembre 2024 © Aurelien Morissard/AP/SIPA

Certains ont voulu en faire le procès de tous les hommes. D’autres ont estimé qu’il illustrait la nécessité de légiférer sur le « consentement ». Mais, le procès des viols de Mazan demeure le procès particulier d’hommes pervers particuliers, dans une société particulière – la nôtre.


Le 19 décembre 2024, la cour criminelle du Vaucluse a rendu son verdict dans l’affaire des viols de Mazan, un dossier glaçant impliquant Dominique Pelicot et cinquante coaccusés. Dominique Pelicot, principal accusé, a été condamné à la peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle pour viols aggravés sur son épouse, Gisèle. Pendant une décennie, il l’a droguée et livrée à des dizaines d’hommes. Sa condamnation, assortie de deux tiers de peine de sûreté, garantit qu’il purgera au moins 13 ans avant tout aménagement de peine. Les cinquante autres accusés ont également été reconnus coupables, écopant de peines allant de trois à 15 ans de prison, en fonction de leur degré d’implication.

Tous coupables ou tous malades ?

Ce procès a mis en lumière une réalité de plus en plus évoquée : la banalité du mal. Parmi les accusés, des hommes ordinaires, des « monsieur-tout-le-monde », occupant des fonctions respectées : commerçants, cadres, retraités. Comme si cette révélation devait encore surprendre. Mais que révèle-t-elle au juste ? Combien d’artistes exposent des photographies de femmes nues et endormies ? Combien de sites pornographiques, accessibles à tous, y compris aux enfants, glorifient la soumission des femmes, parfois violées dans leur sommeil ? Et ce qu’il est interdit de dire : combien de femmes ont des fantasmes de viol ?

À Joigny, petite ville de Bourgogne, un stand de marché propose des bandes dessinées illustrant des supplices inimaginables : femmes violées, éventrées, les entrailles à l’air, parfois décapitées. Ces ouvrages, imprimés en Italie, trouvent leur public. « Elles se vendent comme des petits pains », me confie le vendeur. « Les gens viennent les acheter, les emprunter, toujours à la recherche de nouvelles séries. » À Joigny, paisible bourgade provinciale…

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Les malades mentaux visibles, enfermés dans des institutions psychiatriques, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Une multitude de fous, bien habillés et en apparence fonctionnels, déambulent librement. Pervers narcissiques, sociopathes, paranoïaques, dépressifs chroniques : ils sont parmi nous. Leur langage commun ? La violence, qu’elle prenne la forme de maltraitances, d’humiliations, d’abandons ou de culpabilisations.

Indignations

Mais reconnaissons-le : cette folie n’est pas un mal extérieur. Elle vit en chacun de nous, prête à surgir, attisée par nos peurs ou nos frustrations face aux défis de l’existence. Nous portons tous des cicatrices, issues de notre enfance ou de nos interactions sociales. Certains réussissent à s’en relever, progressant maladroitement mais avec résilience. D’autres, hélas, s’enferment dans un cercle vicieux de haine et de ressentiment, infligeant à leur entourage les blessures qu’ils n’ont pu guérir. Ils brutalisent leurs enfants, les manipulent, les abandonnent. Ces enfants, à leur tour, perpétuent ce cycle de violence, oscillant entre soumission et agressivité, entre manque d’amour-propre et narcissisme maladif.

Il serait naïf de croire que la réussite sociale ou matérielle protège de cette aliénation. Bien au contraire, les postes de pouvoir, en politique ou dans l’entreprise, attirent souvent des individus au profil psychopathe. Ces séducteurs narcissiques fascinent des foules en quête de figures à idolâtrer, projetant sur eux leurs propres rêves inassouvis. Ainsi se déploie l’irrationalité des dynamiques sociales, où se mêlent intimidation et soumission, égoïsme brutal et philanthropie feinte, violence gratuite et adhésion aveugle aux idéologies les plus insensées.

L’indignation suscitée par les violeurs de Gisèle Pelicot est légitime, mais elle masque une réalité plus vaste. Ces hommes ne sont que les symptômes d’une société profondément malade. Une société déréglée, où les limites s’effacent, où les fantasmes et les pulsions individuelles trouvent libre cours, alimentés par les réseaux sociaux et l’absence de repères.

Ce n’est pas le patriarcat qui est ici à l’œuvre. Bien au contraire, l’affaire Pelicot illustre l’avènement d’une société sans pères, une société qui, selon Alexandre Mitscherlich dans Vers une société sans pères (1963), se prive des cadres structurants qu’incarnait autrefois l’autorité paternelle. Or, sans ces figures d’autorité capables d’imposer des limites, les individus se retrouvent livrés à eux-mêmes, pris au piège de leurs pulsions et de leurs fragilités.

Il est nécessaire que la justice sanctionne des coupables mais cette affaire nous force à interroger notre responsabilité collective. Elle révèle une culture permissive qui, sous prétexte de libération, abandonne tout effort pour canaliser les instincts destructeurs de l’être humain.

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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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