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Juges partout, justice nulle part

Nicolas Sarkozy risque 7 ans de prison, Marine Le Pen une peine d’inéligibilité


Juges partout, justice nulle part

Les juges seraient-ils paradoxalement plus sévères avec les puissants ? En tout cas, qu’ils puissent décider qui peut gouverner ou pas est problématique, observe Elisabeth Lévy.


À la lumière de notre actualité judiciaire, on peut se demander s’il faut avoir peur de la Justice. Pas de suspense : la réponse est oui. Surtout si vous êtes un élu ou un people. Si vous êtes un mineur multirécidiviste, vous avez en revanche plus de chances de passer au travers.

Des juges et des ambitieux

Revenons sur le réquisitoire Sarkozy. Il n’est pas seulement problématique à cause des peines très lourdes demandées (sept ans ferme, privation des droits civiques et parentaux qui traduisent une volonté d’humilier), mais parce que quels que soient les indices dont on nous parle concernant un financement libyen présumé, il n’y a pas de preuves. Si de l’argent a circulé, on n’en retrouve pas trace dans la campagne. Le rôle de l’ancien président Sarkozy comme grand orchestrateur n’est pas non plus démontré.
L’un des procureurs a parlé de la « soif de pouvoir », de la «cupidité», de « l’ambition dévorante » de l’ex-président. Et alors, c’est illégal ? Les juges se prononcent-ils désormais sur notre moralité ? On ne voit pas bien le rapport. Il est difficile de ne pas voir quelque chose d’un peu personnel, de ne pas penser que c’est alors la haine de Nicolas Sarkozy qui parle.

Proportions

Ce matin, le Tribunal de Paris décidera si Marine Le Pen peut se présenter à la prochaine élection présidentielle. Le Conseil constitutionnel vient de fournir au tribunal l’argumentaire opposé à l’exécution provisoire : il revient au juge « d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la liberté de l’électeur ». Il est donc très peu probable que le tribunal prenne cette responsabilité.

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Premièrement, on pourra toujours se demander si cette décision n’est pas un renvoi d’ascenseur (après la nomination de Richard Ferrand, qui ne serait pas à sa place sans le RN). Deuxièmement, que des juges puissent ainsi décider qui peut se présenter, et donc qui peut gouverner, est évidement problématique.

Est-ce à dire que les politiques devraient être au-dessus des lois ?

Non, mais ils doivent demeurer des justiciables comme les autres, pas être jugés plus sévèrement que les autres !
Problème : dans l’équilibre des pouvoirs, les juges sont-ils au-dessus du suffrage universel ? Peuvent-ils décerner des brevets de fréquentabilité ou de moralité politique, alors qu’eux-mêmes sont souvent très politisés ? (Rappelons qu’un tiers des magistrats sont au Syndicat de la Magistrature, connu pour son fameux « Mur des cons »). Plus que des options politiques, certains magistrats se prennent pour des justiciers qui se pensent en mission de purification de la démocratie avec l’aide de Mediapart. (Rappelons-nous que lors du réquisitoire de l’affaire des attachés parlementaires européens du RN, un des procureurs avait osé dire « j’aurais du mal à demander la relaxe, cela me ferait mal »). En clair, ils savent ce qui est bon pour les électeurs. Mais après le malaise des ZFE, la France périphérique n’a peut-être pas envie qu’on lui dise qu’elle n’a pas le droit de voter pour Marine Le Pen…

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Reste que, même s’ils l’interprètent, les juges appliquent la loi. C’est le Parlement qui a voté ces scandaleuses peines d’inéligibilité automatique. C’est le Parlement qui a voté toutes ces âneries pour démontrer à quel point notre vie politique était super et transparente. Plus généralement, ce sont les élus qui ont abdiqué de leurs prérogatives en acceptant l’extension du contrôle de constitutionnalité et le pouvoir croissant des juridictions internationales.
Bref, les politiques ont donné le pouvoir aux juges. Et il est maintenant trop tard pour s’indigner parce qu’ils s’en servent.


Cette chronique a été d’abord diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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