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Procès Le Pen, Me Bosselut fait front

Affaire des assistants des eurodéputés du FN: Marine Le Pen sera-t-elle déclarée inéligible le 31 mars ?


Procès Le Pen, Me Bosselut fait front
Marine Le Pen et Me Bosselut se rendent au tribunal judiciaire de Paris dans le cadre du procès des assistants parlementaires du RN, 16 octobre 2024 © CYRIL PECQUENARD/SIPA

Marine Le Pen sera-t-elle déclarée inéligible le 31 mars, comme le demande le parquet de Paris ? Son avocat, Rodolphe Bosselut, qui est aussi celui de Causeur, a de solides arguments pour s’opposer à cette réquisition aux conséquences politiques majeures.


De l’aveu même de Franck Johannès, qui couvre l’affaire pour Le Monde, il a « fait son travail ». Ce qui, dans les colonnes d’un journal aussi hostile, est un sacré compliment… Le 27 novembre dernier, au tribunal judiciaire de Paris, Rodolphe Bosselut, l’avocat de Marine Le Pen, a clos le procès « des assistants du FN » par une plaidoirie de haut vol.

« Marine Le Pen est venue comme celles et ceux qui sont convaincus d’être innocents, c’est sa force », a lancé le Perpignanais aux juges en guise d’introduction d’un exposé de plus de trois heures, où, d’un air calme et résolu, il a plaidé la relaxe, sans haussement de ton ni effets de manche, si ce n’est pour décocher par moments quelques traits d’esprit, par exemple lorsqu’il a demandé qu’on ne « découpe pas Marine Le Pen en plusieurs morceaux, déjà que certains ne la supportent pas d’un seul tenant ! »

Jamais ce quinquagénaire au physique de deuxième ligne de rugby, ancien secrétaire de la Conférence du stage, n’avait parlé d’une seule traite si longtemps devant des magistrats de droit commun. Il faut dire que le dossier, auquel il a consacré presque tout son agenda pendant deux mois, naviguant entre le Palais et son cabinet de la porte Maillot à Paris, est d’une grande complexité. Et que la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale risque gros, très gros. Le parquet a non seulement requis cinq ans de prison dont deux ferme, 300 000 euros d’amende et une inéligibilité de cinq ans, mais en plus demandé que la peine, même en cas d’appel, soit appliquée immédiatement – ce qu’on appelle « l’exécution provisoire ».

Rodolphe Bosselut connaît Marine Le Pen depuis l’époque où elle exerçait, comme lui, la profession d’avocate à Paris dans les années 1990. « Nous nous sommes rencontrés par hasard sur les bancs de la 23e chambre correctionnelle, a-t-il confié durant sa plaidoirie. Je l’ai trouvée brillante, humaine, drôle, loin du personnage manichéen construit par ses adversaires. »

Mais au-delà de ses protestations d’amitié, et de son absence d’engagement au Rassemblement national, qui lui confère une distance politique bienvenue, cet avocat discret et respecté par ses pairs a sans doute été choisi par la députée du Pas-de-Calais pour sa redoutable efficacité, lui qui peut s’enorgueillir d’avoir brillamment gagné le précédent procès dans lequel il l’a défendue, celui des « tweets sur Daech ».

Une pratique parlementaire, somme toute, banale

L’affaire remonte à 2015. Après avoir diffusé sur le Web des photos d’exécutions de l’État islamique – évidemment dans l’intention de les dénoncer –, Marine Le Pen est alors accusée par le parquet de Nanterre, au prétexte d’un article du Code pénal hors de propos (puisque traitant de l’outrage aux bonnes mœurs !), d’avoir porté « gravement atteinte à la dignité humaine ».

En 2021, à l’issue d’une procédure ubuesque, durant laquelle les enquêteurs ont demandé l’expertise psychiatrique de l’élue, Bosselut parvient non seulement à démontrer l’innocence de sa cliente, mais également à faire reconnaître par les juges la « vocation informative » des publications incriminées, ainsi que leur « démarche de protestation politique » et leur « contribution au débat public ». Face à un tel camouflet, le ministère public ne se donne pas le ridicule de faire appel.

À lire aussi, Céline Dupuis : Marine Le Pen au procès des assistants parlementaires FN: «J’ai donné ma vie à la vie politique»

Retour trois ans plus tard, dans la grande salle Victor-Hugo du tribunal judiciaire de Paris. Près de l’entrée, les bancs affectés à la presse sont pleins à craquer. Au premier rang, Marine Le Pen, assise à côté des autres prévenus, dont Julien Odoul, Nicolas Bay et Louis Aliot, fait face aux juges. Depuis le début du procès, elle a assisté quasiment tous les jours aux audiences. Juste derrière elle, plusieurs poids lourds du parti sont venus la soutenir, notamment Steeve Briois, Edwige Diaz et Sébastien Chenu.

À la barre, Bosselut entre maintenant dans le vif du sujet. « La pratique parlementaire de ma cliente était banale, partagée par tous les partis équivalents et exempte de toute intention frauduleuse », avance-t-il.

Travail parlementaire et militantisme

Rappelons qu’il est reproché à Marine Le Pen et à sa formation (à l’époque le Front national) d’avoir employé, aux frais du contribuable et pendant plusieurs années, des assistants au Parlement européen, qui, au lieu de l’activité prévue dans leur contrat de travail, œuvraient en fait pour le parti. Seulement, aux yeux de Bosselut, ce manquement aux règles, qui n’a occasionné aucun enrichissement personnel, ne devrait donner lieu qu’à un rappel à l’ordre des contrevenants et un remboursement de l’institution lésée.

Car sur le fond, estime l’avocat, si les électeurs envoient à Strasbourg des candidats du parti de Marine Le Pen, c’est pour y faire résonner les idées dudit parti. Dès lors, le mélange des genres entre travail parlementaire et travail militant, si fautif soit-il sur le papier, ne représente pas en réalité une atteinte grave à la loi. « Il n’y a eu aucune volonté de détourner des fonds, mais celle de faire de la politique », soutient l’avocat.

Seulement, on sait déjà que la justice ne voit pas les choses ainsi. En février dernier, divers cadres du Modem ont été condamnés en correctionnelle dans une affaire très similaire. C’est d’ailleurs parce que le RN avait fait remarquer l’existence, dans le parti de François Bayrou, de comportements s’apparentant aux siens que ce procès a eu lieu. Ce qui fait dire à Bosselut que le Modem est une « victime collatérale », et le RN le « plat principal » d’une offensive judiciaire aux arrière-pensées politiques.

Durant le réquisitoire, l’une des procureures, Louise Neyton, n’a-t-elle pas lâché, au sujet du prévenu Jean-François Jalkh, cette remarque confondante : « Je ne vous demande pas la relaxe, car ça me ferait trop mal » ? Difficile, après avoir entendu cela, de croire à la parfaite impartialité du ministère public.

Difficile non plus de ne pas entendre Rodophe Bosselut quand il s’émeut de « l’incroyable sévérité » des peines demandées par l’accusation. À commencer par la peine « d’inéligibilité obligatoire ». De quoi s’agit-il ? Lors de son réquisitoire, le parquet a indiqué que, si la députée du Pas-de-Calais était reconnue coupable, elle devrait automatiquement être déclarée inéligible, en vertu de la loi Sapin 2 de 2016, qui a rendu systématique cet assortiment de peine. Problème : d’après Bosselut, ce texte ne peut être appliqué en l’espèce, car les infractions reprochées à Marine Le Pen lui sont antérieures.

Le scandale de l’exécution provisoire

Pour justifier sa lecture chronologique alternative, l’avocat affirme qu’il convient de se borner aux dates des contrats de travail litigieux. Alors que les procureurs, eux, tiennent compte d’un calendrier plus extensif, « artificiel » selon Bosselut, qui intègre notamment les régularisations administratives ultérieurement opérées par les services du Parlement européen.

Reconnaissons-le, ce débat technique est difficile à trancher quand on n’a pas un bac + 8 en droit. En attendant, on trouvera raisonnable l’argument de Bosselut qui, sans nier les écarts commis par sa cliente, réclame que ceux-ci soient sanctionnés par des peines intégralement motivées, même celle d’inéligibilité. « Cela supposerait une démarche positive de votre part, cingle-t-il. Pas simplement une attitude ponce-pilatesque. »

Autre réquisition du parquet énergiquement combattue par Bosselut : l’exécution provisoire. Pour l’avocat, elle est doublement scandaleuse. Premièrement parce qu’elle pose un problème politique évident. Imaginons que Marine Le Pen soit condamnée en première instance dans quelques semaines, mais acquittée en appel dans quelques années. Un scénario devient alors possible, celui qu’une innocente en puissance soit empêchée de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Le cas échéant, le préjudice serait irréparable – non seulement pour la principale intéressée, mais aussi pour la démocratie.

Mais Bosselut a une seconde objection, plus juridique, méritant également d’être mentionnée ici, car elle laisse envisager d’éventuels développements de l’affaire auprès de plus hautes juridictions. « Pour un élu, explique-t-il, il n’existe aucun recours contre l’exécution provisoire elle-même, aucune possibilité de suspension, d’arrêt, de relèvement, etc. C’est une violation du principe d’égalité devant la justice et également du droit d’accès au juge garanti par l’article 6 de la Cour européenne des droits de l’homme. » À l’heure où Nicolas Sarkozy, condamné à une peine infamante dans l’affaire « des écoutes », saisit la justice européenne pour « obtenir la garantie des droits que les juges français lui ont déniée », la cour strasbourgeoise pourrait paradoxalement être le dernier recours face aux abus d’une justice française parfois trop inspirée par les coupeurs de tête de l’an I et leur haine capricieuse des autres pouvoirs établis.

La décision des juges sera connue le 31 mars prochain. La procureure Neyton, à qui l’idée de ne pas punir Jean-François Jalkh « fait trop mal », sera-t-elle présente ce jour-là au tribunal judiciaire ? Curieusement, elle ne l’était pas lors de la plaidoirie de Rodolphe Bosselut, et on nous a fait savoir au palais qu’elle ne répond plus aux e-mails depuis quelques semaines. Peut-être médite-t-elle cette phrase de Chamfort: « La justice des hommes est toujours une forme de pouvoir. »

Janvier 2025 - #130

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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