Je ne connais pas Georges Tron. De son dossier, sur le fond je ne connais que quelques bribes rapportées de loin en loin par la presse. Cependant, sur le plan judiciaire, cette affaire a une histoire. Que je n’ai vue rappelée nulle part dans les médias avant le début du procès d’assises.
Georges Tron, alors secrétaire d’État, a fait l’objet de deux plaintes pour viol de deux anciennes employées de la ville dont il était le maire. Sa carrière politique a immédiatement explosé en vol. Il a dû démissionner de son poste de ministre, il n’a pu accéder à la présidence du Conseil départemental qui lui était promise.
Deux juges ont procédé à une longue et minutieuse instruction ayant abouti à une ordonnance de non-lieu de 166 pages, rendue sur réquisitions conformes du parquet. Sur appel des plaignantes, l’affaire a été examinée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Malgré les réquisitions de l’avocat général de confirmation du non-lieu, la chambre de l’instruction a décidé de réformer l’ordonnance et de renvoyer Georges Tron devant les assises. C’est dans ces conditions que l’affaire a été audiencée devant la Cour de Bobigny.
Est-ce que ce monde est sérieux?
Il convient à ce stade de rappeler quelques règles de procédure qui ont leur importance. Tout d’abord, toute l’instruction a été menée par des magistrats qui ont rencontré les protagonistes, conduit des interrogatoires, des confrontations, diligenté des expertises et par conséquent accédé à une connaissance intime du dossier et de ses acteurs. Ce n’est donc pas à la légère qu’ils ont pris leur décision. Il en est de même pour les membres du parquet chargé des poursuites.
Ensuite, les magistrats de la chambre de l’instruction, pour ce qui les concerne, n’en ont eu, en dehors des plaidoiries à l’audience, qu’une connaissance écrite, figée. L’exposé de ces contradictions, logiques en matière de procédure pénale, n’est pas destiné à prendre parti pour ou contre la culpabilité de Georges Tron, mais à souligner que cette question mérite pour le moins discussion, que cette culpabilité n’est pour le moins pas évidente et que l’élaboration de la décision s’avérera particulièrement délicate s’agissant de la liberté et de l’honneur d’un homme.
L’audience de la cour d’assises est précisément destinée à cela. Il convient d’y rechercher au plus près la vérité et c’est la raison pour laquelle elle doit se dérouler dans une absolue sérénité pour que la décision rendue soit impartiale. Rappelons aussi, que devant la Cour d’assises, la procédure est orale et que chaque argument doit être discuté de façon contradictoire. Seul le président, magistrat professionnel, a lu le dossier écrit. Les jurés n’en prendront connaissance qu’à l’audience, par une instruction refaite à la barre, sous l’autorité du président qui conduit les débats. Malheureusement, la nécessaire sérénité s’est révélée dès le début totalement absente, le procès se déroulant dans une stupéfiante atmosphère de corrida, et apparaissant rapidement comme un des épisodes de la furieuse guerre des sexes déclenchée après l’affaire Weinstein.
Où est la présomption d’innocence ?
Martelons encore une fois, que l’élaboration de la vérité judiciaire n’est pas destinée à donner satisfaction à telle ou telle cause militante, à faire reconnaître un statut de victime, à permettre « de se reconstruire », de faire son deuil ou autres objectifs qui sont peut-être légitimes, mais qui ne relèvent pas de la mission de la justice pénale. Celle-ci a pour but d’appliquer la violence légitime, dont l’État est titulaire, à celui qui a commis une faute, dont la réalité doit être démontrée après une procédure contradictoire et loyale. Établie indiscutablement, cette vérité judiciaire acquiert « l’autorité de la chose jugée », et s’impose à tous.
Force est de constater que le procès de Georges Tron a commencé dans un abominable foutoir. On citera ici quelques-uns des épisodes qui rendaient impossible sa poursuite dans le respect des règles et des principes. Le procès a été précédé d’une campagne de presse complètement à charge, Georges Tron étant présenté comme un prédateur sexuel dont l’acquittement constituerait un terrible scandale. Rares sont les médias à avoir rappelé l’ordonnance de non-lieu et la position constante du parquet. Les réseaux n’ont pas été en reste, à base d’injures, d’insultes et de diffamation. Où est la présomption d’innocence ? Pour certains il est clair qu’elle n’existe pas. C’est dans ces conditions que le jury des citoyens a été constitué, composé de gens qui rentrent chez eux le soir et ont donc accès à ce déferlement.
Il faut s’arrêter aussi sur le comportement du parquet. Il existe un principe qui dit que pour les procureurs, « la plume est serve, mais la parole est libre ». C’est-à-dire qu’à l’audience le procureur n’est pas lié par les réquisitions écrites, il est libre de ses positions et de ses arguments. Dans l’affaire Tron, la magistrate tenant le rôle de l’accusation a adopté une position radicalement inverse à celle tenue par ses collègues jusque-là. Ce rappel est justifié par les positions pour le moins originales développées par le représentant du parquet.
Procès-Twitter et documentaire à charge
Comme c’est devenu un usage, éminemment critiquable, les audiences ne font plus l’objet de chroniques judiciaires a posteriori, mais en temps réel à l’aide de tweets. La presse s’en donne à cœur joie, certains n’hésitant pas à reproduire les fac-similés de ces tweets pour renforcer l’impression de « direct ». On imagine l’usage qui en est fait ensuite à base d’insultes, de mises en cause, et de hashtags vengeurs. Le président de la cour s’est ainsi fait traîner dans la boue rendant de plus en plus difficile sa mission pourtant essentielle. L’avocat général a trouvé ça formidable, considérant qu’il fallait être moderne et que ce mode d’expression était la forme nouvelle de la chronique judiciaire ! Ah oui ? Alors pourquoi la loi prévoit-elle une interdiction de diffuser ce qui se dit à l’audience ? Et qu’il apparaît d’évidence que cette utilisation des tweets est grossièrement utilisée à la contourner.
Autre séquence hallucinante, celle de la diffusion, en plein procès, par une chaîne de télévision du service public (!) d’un documentaire complètement à charge contre l’accusé, ne donnant la parole qu’aux plaignantes et à un témoin de l’accusation qui devait être entendu par la cour le lendemain !
Pour la professionnelle que je suis, cet épisode est simplement monstrueux. Comme la réponse de l’avocat général à l’avocat de la défense qui s’en plaignait : « vous n’aviez qu’à demander à participer à l’émission ». Ce qui peut se traduire par « le débat contradictoire, c’est à la télé et tant pis pour les absents. L’audience finalement, c’est pour la galerie ».
Si l’on comprend bien ce qui s’est passé ensuite dans cette ambiance irrespirable, le président a demandé aux avocats de venir dans son bureau. Il se serait alors ouvert de ses difficultés à mener sereinement l’audience et à remplir sa mission. Il a été question d’un renvoi mais quand les avocats de la défense l’ont demandé, à leur grande surprise, il leur a été refusé.
La justice victime de la « guerre des sexes »
Considérant que l’intérêt supérieur de la défense était en cause, l’avocat de Georges Tron, Éric Dupond-Moretti, a fait état de cette conversation brisant l’usage qui aurait voulu qu’elle reste confidentielle. Et a demandé à nouveau le report du procès, ce qui a été décidé par la Cour. Inutile de détailler les hurlements de rage accompagnant cette décision. Qui était pourtant celle qu’exigeait une situation incompatible avec le déroulement d’un procès régulier. Depuis, ce confrère est vilipendé, traité de « terroriste judiciaire », et autres gracieusetés épithètes. Après le procès Merah, il va commencer à en avoir l’habitude. Alors qu’il n’a fait que son devoir, celui de s’opposer à ces dévoiements. Ce qui est grave, et je parle d’expérience pour avoir traité des dossiers de cette nature par dizaines depuis 20 ans, c’est que les conditions d’exercice de la défense se sont dégradées et que les principes qui nous protègent tous s’affaiblissent de jour en jour. Je ne sais pas si Georges Tron est coupable. La réponse à cette question devra être donnée par la justice, à condition qu’elle puisse s’exercer dans un climat simplement normal. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
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La délinquance sexuelle, dont la répression remplit massivement les prisons, est délicate à traiter par les tribunaux, car souvent domaine du « parole contre parole ». Elle est aussi malheureusement l’objet d’emportements excessifs de l’opinion publique. Les affaires récentes de Pontoise et Melun le démontrent abondamment. Mais le problème s’est encore aggravé, avec l’embrasement que nous connaissons depuis les débuts de l’affaire Weinstein. Certains courants du féminisme ont lancé une véritable « guerre des sexes ». Les médias suivent et les réseaux amplifient. Et le champ de bataille principal choisi pour la mener est celui de la justice et du droit.
Les magistrats sont soumis à d’énormes pressions, même si pour l’instant, ils s’efforcent tant bien que mal d’y résister. Ce n’est pas le cas des politiques qui, de démagogie en surenchères, portent atteinte, par des propositions et des textes délirants, aux principes fondamentaux qui caractérisent un État de droit.
Aucune cause, fût-elle celle des femmes, ne mérite que l’on porte aussi gravement atteinte aux libertés.
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