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Procès des assistants parlementaires du FN: un réquisitoire très politique

Une procureure a même avoué au sujet d’un prévenu: « Je n'ai aucun élément, mais je ne vous demande pas la relaxe car ça me ferait trop mal »


Procès des assistants parlementaires du FN: un réquisitoire très politique
Marine Le Pen à Paris, hier © CYRIL PECQUENARD/SIPA

Dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, le parquet a requis hier cinq ans de prison, dont deux ferme, ainsi que cinq ans d’inéligibilité contre Marine Le Pen, et demandé que la peine soit exécutée immédiatement, même si l’intéressée faisait appel. Une position pour le moins politique, aussi bien dans ses causes que dans ses conséquences.


Hier au tribunal judiciaire de Paris, comme souvent depuis le début du procès, Marine Le Pen est arrivée la première à l’audience. Puis des élus du Rassemblement national sont venus en nombre la rejoindre sur place, afin de lui témoigner leur soutien. Parmi eux, Laure Lavalette, Thomas Ménagé, Jean-Philippe Tanguy, Alexandre Loubet et Franck Allisio se sont assis aux côtés de Julien Odoul, Louis Aliot et d’autres prévenus.

Les procureurs, Louise Neyton et Nicolas Barret se sont relayés toute la journée pour prononcer leur réquisitoire. D’emblée, Louise Neyton a dénoncé « l’ampleur, la durée et le caractère organisé, systémique et systématique de l’organisation ». Selon elle, « ces faits et ce comportement ont porté une atteinte grave et durable au jeu démocratique européen mais aussi français. »

Nicolas Barret a quant à lui émis des doutes quant à la réalité même du travail effectué par les assistants parlementaires poursuivis. D’après lui, le parquet ne peut pas se satisfaire « d’une présomption de confiance, de bonne foi, d’honnêteté (…) S’ils n’arrivent pas à produire ces justificatifs, c’est qu’ils n’existent pas », a-t-il lancé.

Certains prévenus ont pourtant présenté des éléments à la justice. En particulier Bruno Gollnisch, qui était eurodéputé au moment des faits, et qui a apporté au tribunal des boîtes d’archives remplies de documents rédigés en leur temps dans le cadre de ses échanges avec ses deux assistants parlementaires mis en cause. À la barre, l’ancien vice-président du FN avait même invité les juges à venir visiter sa grange, où il a amassé le fruit de décennies d’activités politiques. Comme quoi, certains peuvent garder des traces… Mais dans ce cas, et malgré la présentation d’éléments factuels (DVD, journaux et blog), les enquêteurs n’ont pas estimé ces pièces « assez probantes ».

Bruno Gollnisch arrive au tribunal, Paris, 30 septembre 2024 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

On notera que, si les prévenus ont eu des difficultés, après tant d’années (les faits visés remontent à la période 2012-2017), à retrouver des documents attestant de leur travail, l’accusation n’a pas davantage présenté a contrario la preuve qu’ils travaillaient en réalité pour le parti (et pas pour le parlement) à la même époque.

Autre point majeur de l’accusation: pour les Dupond et Dupont du parquet, il n’y a pas de liberté totale quant aux tâches exercées par un assistant parlementaire. « La liberté absolue du député, c’est la liberté de parole, de pensée, et d’expression, absolument pas celle d’utiliser les fonds publics», a indiqué Nicolas Barret avant de préciser que « l’assistant parlementaire est au service d’une assistance directement liée au mandat (…) Il faut un lien direct entre l’activité et le mandat. La liberté n’est pas totale. » On se souvient que, durant le procès, l’ancienne eurodéputée Marie-Christine Arnautu avait cinglé le procureur qui estimait qu’en tant que « producteur de normes », elle se devait de connaître cette règle. Marie-Christine Arnautu avait répliqué : « La norme, je la combats ! On ne peut pas avoir la même norme de la Scandinavie à la Méditerranée ! »

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Après le passage en revue de tous les prévenus, Louise Neyton a attaqué frontalement Marine Le Pen, qui, au premier rang, est restée stoïque : « Ce système va se renforcer et prendre une nouvelle dimension avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti », a-t-elle affirmé. Dans sa fougue accusatoire, la magistrate du ministère public a même lâché, au sujet du prévenu Jean-François Jalkh : « Je n’ai aucun élément, mais je ne vous demande pas la relaxe car ça me ferait trop mal. » Sur le banc des prévenus, Marine Le Pen a aussitôt réagi: « Ah, ah, l’aveu ! » Par ces quelques mots prononcés dans un prétoire, Louise Neyton a sans aucun doute affiché une orientation politique et fait fi des obligations déontologiques des magistrats sur l’impartialité qui stipulent que « les magistrats du siège ne peuvent, ni dans leur propos ni dans leur comportement, manifester publiquement une conviction jusqu’au prononcé de la décision. »

La procureure de la République a ensuite pointé la responsabilité de Marine Le Pen en évoquant la fameuse réunion de juin 2014 au cours de laquelle celle-ci aurait signifié aux eurodéputés nouvellement élus la ventilation des assistants. « C’est dans ce cadre que Marine Le Pen annoncera aux députés qu’ils peuvent choisir un assistant effectif mais que les autres seront choisis par le parti et pour travailler à son bénéfice », récapitule-t-elle.

Marine Le Pen avait pourtant démontré lors des audiences que seuls quatre salariés, dont un à mi-temps, étaient devenus des assistants parlementaires. Seulement, le parquet a préféré se fier aux « déclarations concordantes de Schaffhauser, Montel, Chauprade ». Pour rappel, Aymeric Chauprade a chargé le FN et Marine Le Pen lors de ses premières auditions. Mais il est ensuite revenu sur ses déclarations dans un communiqué de presse publié sur Twitter.

Alors que la nuit tombait sur le tribunal correctionnel, le parquet en est venu aux peines requises. Outre des amendes, il a demandé des peines d’inéligibilité pour tous les prévenus allant d’un à cinq ans. Ces peines sont assorties d’une exécution provisoire, c’est-à-dire applicables malgré les appels.

Face au risque d’une peine d’inéligibilité qui impacterait tant sa réélection à l’Assemblée nationale que sa candidature à l’élection présidentielle de 2027, Marine Le Pen a déclaré plus tard dans la soirée : « Ils pourront se débarrasser de moi, mais ils ne pourront pas se débarrasser de Jordan. »

Dans ses réquisitions, Louise Neyton a clairement suggéré sa volonté d’assécher les finances du parti. En effet, la peine qu’elle a demandée à l’encontre du Rassemblement national correspond exactement à l’excédent des comptes 2023 du premier parti de France : 4,3 millions d’euros.

Marine Le Pen risque quant à elle, en plus des cinq ans d’inéligibilité requis, 300 000 euros d’amendes et cinq ans d’emprisonnement dont trois ans avec sursis. Le choix du parquet de demander des peines d’inéligibilité exécutoire témoigne d’une volonté politique d’abattre la candidate nationaliste qui est donnée en tête de toutes les enquêtes d’opinions.

Gérald Darmanin lui-même a tweeté sur le réseau social X qu’«il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français. Combattre Madame Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs. Si le tribunal juge qu’elle doit être condamnée, elle ne peut l’être électoralement, sans l’expression du Peuple. N’ayons pas peur de la démocratie et évitons de creuser, encore plus, la différence entre les “élites” et l’immense majorité de nos concitoyens.»

Face au risque démocratique, l’électorat de Marine Le Pen se mobilise. Le hashtag #JeSoutiensMarine est partagé sur le Web tant par les élus nationaux que par les électeurs et sympathisants. Au vu de toutes ces réactions, si le but du parquet est d’empêcher Marine Le Pen d’être réélue député et d’être candidate à l’élection présidentielle de 2027, on peut se demander si ses efforts ne sont pas contre-productifs. Les électeurs n’apprécient guère qu’on leur dicte pour qui ils doivent voter. La semaine prochaine, la parole sera à la défense.



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