A la veille de la fin du procès des assistants parlementaires européens du FN, les avocats ont dénoncé un harcèlement judiciaire disproportionné du Parlement européen à l’égard du parti de droite nationale, et un « procès politique, qui [serait] même un procès en sorcellerie »… Me Bosselut devait finalement plaider pour Mme Le Pen, ce mercredi.
Lundi, le public et les journalistes ont déserté les bancs de la salle Victor-Hugo du Tribunal correctionnel de Paris. Même Louise Neyton et Nicolas Barret, les deux procureurs acharnés, sont absents pour écouter les plaidoiries de la défense. Dont acte. Il n’y a plus d’huissier non plus. L’assistance s’autogère et l’ambiance se prête parfois à la détente quand Bénédicte de Perthuis, la magistrate qui préside le tribunal, propose des interruptions de séance. Me Wagner, toujours malicieux, l’œil vif, répond à la volée, non sans charme : « Mais nous sommes tous venus pour cela ! » Les rires parcourent alors la salle d’audience indistinctement liant le temps d’un instant toutes les parties dans un même élan fraternel. Il faut dire que ce procès entre dans sa neuvième et dernière semaine et que chacun commence à trouver le temps long.
Durant trois jours, les avocats de la défense vont se relayer à la barre pour contrer ces réquisitions, disproportionnées et infondées aux dires même de nombreuses personnalités politiques éloignées du Rassemblement national. Ainsi, la veille, François Bayrou – lui-même relaxé dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem – a rappelé dans l’émission C’est pas tous les jours dimanche présentée par Benjamin Duhamel qu’il n’y avait «aucun détournement de fonds publics» dans l’affaire des assistants parlementaires du RN. Et c’est ce que vont de nouveau démontrer, avec talent et justesse, les avocats de la défense.
«Une prévention irrégulièrement étendue »
Me Maxime Delagarde, le conseil de Timothée Houssin qui encourt 10 000 € d’amende, 10 mois de prison avec sursis, 1 an d’inéligibilité avec exécution provisoire pour son contrat d’assistant parlementaire signé avec l’eurodéputé Nicolas Bay du 01/07/2014 au 31/03/2015, rappelle que l’exploitation des « métadonnées démontre qu’il a travaillé même depuis son ordinateur personnel pour Nicolas Bay ». Il y a plus d’un millier d’occurrences en rapport avec le Parlement européen qui apparaissent dans des dizaines de fichiers différents. Ainsi, « Bruxelles apparaît 37 fois dans 15 fichiers différents ; Europarl, 40 fois dans 16 fichiers différents ; Parlement apparaît 291 fois dans 49 fichiers différents, la commission dont fait partie Nicolas Bay apparaît 411 fois dans 9 fichiers différents », etc. À cela s’ajoutent près d’une centaine de communications et SMS qui ont activé les cellules de bornage téléphonique se trouvant à Strasbourg.
Me Delagarde souligne l’irrégularité même de la saisine « aux contours particulièrement mouvants ». En effet, les annexes de l’ordonnance de renvoi (ORTC) présentent de multiples erreurs dont celle sur le montant du salaire de l’assistant qui était alors rémunéré 2300 € net par mois et non 2950 € comme il est écrit dans l’ORTC. L’avocat conteste par ailleurs « la période de prévention irrégulièrement étendue alors que Timothée Houssin n’était pas salarié de Nicolas Bay ». Fort de tous ces arguments, Me Delagarde demande la relaxe de Timothée Houssin, qui, en tant que salarié, ne pouvait avoir connaissance de la réglementation européenne, et ne peut au regard du droit être tenu responsable d’une éventuelle erreur de son employeur.
«Vous n’avez rien. Et rien multiplié par rien, ça fait rien »
Me Tristan Simon, l’avocat de Julien Odoul, enchaîne sur «le cas le plus christique, i. e. symptomatique, selon le Parquet» qui a requis à l’encontre du député de l’Yonne, dix mois de prison avec sursis, 20 000 € d’amende et un an d’inéligibilité avec exécution provisoire. Me Simon conteste la lecture partiale du Parquet qui dit que le dossier ne comporte «pas un document, pas une page, pas un post-it, pas le début du commencement d’une preuve » du travail d’assistant de Julien Odoul. On constate que le Parquet est obsédé par les post-it, que chacun devrait donc conserver, quand la nature même d’un post-it est d’être éphémère ! De son côté, la défense liste les preuves de travail de l’assistant Julien Odoul : la rédaction du journal parlementaire de l’eurodéputé, de communiqués de presse, de notes d’actualité comme par exemple sur l’attentat à Charlie Hebdo, la gestion des réseaux sociaux et du site internet de l’eurodéputé, ou encore des recherches en lien avec la commission “Marché intérieur” dont était membre Mylène Troszczynski. Des SMS échangés entre les deux prévenus appuient également leur travail en commun. Julien Odoul écrit à son eurodéputé : «Pourrais-tu me redonner tes codes Twitter?» ou encore «Peux-tu m’ajouter comme administrateur de ta page Facebook?». Mylène Troszczynski lui envoie entre autres messages : «Peux-tu me prendre une clé USB?» ou encore «je suis en plénière, on se voit à 16H30.»
À l’accusation d’un travail de Julien Odoul pour le parti comme “conseiller spécial” à cette même époque, le Parquet n’a rien démontré, selon Me Simon. «Vous n’avez rien. Et rien multiplié par rien, ça fait rien.» Au siège du parti, Julien Odoul travaillait «dans un bureau où il y avait écrit assistant parlementaire avec un logo du Parlement européen» sur sa porte, rappelle l’avocat. Il y a aussi des badges d’accès à son nom, comme au salon Euromaritime, qui témoignent bien de son activité d’assistant parlementaire européen. C’est la raison pour laquelle, souligne l’avocat, «le Parquet a dit que c’était de l’abus de langage de parler d’emploi fictif mais que c’est l’imputation (du travail) qui pose problème.» Mais il s’avère que le Parquet a toujours tendance à mettre l’accent sur le travail partisan, à partir de seulement un ou deux échanges montés en épingle, même quand il est fait à titre bénévole, et jamais sur le travail parlementaire effectué…
«Quand on est à la tête d’un parti sulfureux, il y a une marge énorme entre l’officiel et l’officieux»
Me Solange Doumic, l’avocate de l’imposant Thierry Légier venu s’asseoir sur un strapontin au plus près du tribunal, déroule une chronologie des faits implacable. De la première embauche de Thierry Légier en tant qu’officier de sécurité sous statut de fonctionnaire du Parlement européen en 1992 au dernier contrat de régularisation, contrat qui est un faux contrat réalisé par le Parlement européen lui-même pour régulariser des erreurs de dotation, chaque époque témoigne du fait qu’au contraire des dires du Parquet, le Parlement européen savait pertinemment les doubles fonctions de Thierry Légier incluant celle d’officier de sécurité, auprès de Jean-Marie Le Pen, puis de Marine Le Pen.
Ancien parachutiste d’un corps d’élite, militaire décoré, Thierry Légier a toujours été l’homme de l’ombre. Plus qu’un simple garde du corps, c’est par lui qu’on passe quand on veut échanger en toute discrétion avec les membres du FN. En effet, «quand on est à la tête d’un parti sulfureux, il y a une marge énorme entre l’officiel et l’officieux», alors les rencontres avec Bernard Tapie, des ambassadeurs, des directeurs de services, des membres d’autres partis, ou même du gouvernement, se font en toute discrétion, et via Thierry Légier, véritable et discrète «courroi de transmission ». Outre que son salaire de 4000 € par mois illustre le fait qu’il était plus qu’un simple garde du corps, de nombreux témoignages attestent de son activité d’assistant au sein même du Parlement européen. De fait, Thierry Légier a toujours exercé ses fonctions d’agent de sécurité en toute transparence. Comment aurait-il pu en être autrement alors qu’il déposait son arme à l’entrée du Parlement ? Sous la férule de la peine demandée par le Parquet de 18 mois de prison avec sursis, l’agent de protection rapprochée armé perdrait immédiatement le droit de travailler. En effet, pour exercer cette fonction, le casier judiciaire doit être vierge. Cette inscription serait donc «sa mort professionnelle immédiate». Quant à la peine de deux ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, elle vient encore une fois rappeler la foire de gros pratiquée par des réquisitions non individualisées, sachant que Thierry Légier n’a aucune ambition politique. Comme le résume clairement Me Solange Doumic, dans ce dossier, «on est sorti du raisonnable.»
«Si on charge Van Houtte, on les charge tous »
Me Laguay pointe lui aussi les conséquences irréparables de ces réquisitions. « Pour M. Van Houtte, c’est sa vie. Vous avez sa vie entre vos mains » argue l’avocat belge de Charles Van Houtte. En effet, l’ancien assistant parlementaire belge est le seul qui risque de faire réellement un an de prison au vu de l’application des peines en Belgique, et cela «en raison d’une décision d’un tribunal français alors qu’il était assistant parlementaire accrédité belge au Parlement européen situé en Belgique». Celui que le Parquet a qualifié d’«interface» ou «Monsieur vases communicants» en raison «d’une quinzaine de mails analysés, disséqués» sur des milliers d’autres, travaillait pourtant en parfaite collaboration avec les fonctionnaires du Parlement européen, comme en témoignent de multiples courriels échangés. Le chef de service chargé de la délégation française au Parlement européen, M. Antoine-Poirel, évoque ainsi les réunions communes et remercie à plusieurs reprises Charles Van Houtte, ainsi que le tiers-payant, pour leur collaboration efficace dans l’enregistrement des contrats des assistants parlementaires et la gestion des dotations afférentes. Au reste, Me Laguay a démontré lui aussi le manque de rigueur de la prévention, élargie au doigt mouillé à des périodes où Charles Van Houtte n’avait pas la gestion administrative desdits contrats. «Mon sentiment, c’est qu’il faut charger Van Houtte, car si on charge Van Houtte, on les charge tous.»
Un «procès politique, qui est même un procès en sorcellerie»
Me Dassa-Deist, avocat du RN et de son trésorier Wallerand de Saint-Just, dénonce à ce titre la partialité du réquisitoire : «J’ai assisté à un manifeste politique». En effet, quoique produise la défense, «c’est suspect.» Un document présenté comme rédigé par un assistant mais SANS sa signature, «c’est suspect». Un autre document rédigé par un assistant AVEC sa signature, «c’est suspect». Un témoignage présenté en faveur du travail d’un assistant, «c’est suspect». Un courriel échangé entre un assistant et son député, «c’est suspect». Un constat d’huissier constatant la communauté de travail entre un député et son assistant, «c’est suspect». Un badge au nom d’un assistant à un salon européen, «c’est suspect». Quoique présente la défense comme preuves de travail, «c’est suspect» ! Tout est suspect peut-être tout simplement parce que pour l’accusation, être nationaliste et s’opposer à la dérive fédérale de l’Union européenne, «c’est suspect ».
Ainsi «ce procès politique, [serait] même un procès en sorcellerie». Tous au goulag ? De fait, même les opposants à Marine Le Pen sont bien obligés d’en convenir. Le dernier en date, Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre socialiste, en témoigne lui-même dans Le Figaro daté du 25 novembre : « Marine Le Pen subit un harcèlement judiciaire disproportionné ».
Malgré cet acharnement, force est de constater, que plus les européistes veulent bâillonner les élus nationalistes, plus les électeurs leur accordent leur confiance. En démocratie, l’électeur reste in fine le juge suprême.