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Procès Chirac : quelques explications


Procès Chirac : quelques explications


Jacques Chirac doit-il comparaître devant ses juges ? Assister à l’intégralité de son procès ou simplement y être présent par éclipses ? Pour la défense de l’ancien Président de la République c’est la quadrature du cercle.

Les termes de l’alternative peuvent se résumer ainsi: soit Chirac joue la chaise vide ou à moitié vide et il donnera l’impression de se défiler, soit il fait preuve d’assiduité et son image risque d’en être sérieusement affectée au moment où son éloignement des affaires pourrait clore l’époque de la critique et ouvrir celle de l’hommage à son rôle dans la geste nationale. En tout cas, Jacques Chirac sera le premier chef d’Etat français depuis Louis XVI (si l’on veut bien mettre à part le cas du maréchal Pétain) à comparaître devant la Justice. Une bien triste distinction sur un CV présidentiel.

Alors on peut ronchonner en se disant que la République est mauvaise fille en s’acharnant sur un vieux monsieur qui a servi la France. Je suis ainsi surpris par la fibre subitement compassionnelle d’Arnaud Montebourg qui durant les deux mandats de Jacques Chirac a déployé une énergie considérable pour qu’il soit traduit devant la Haute Cour de Justice et qui considère dorénavant qu’on doit lui fiche la paix. L’exigence de justice n’aurait-elle de sens qu’à l’appui d’un combat politique partisan ? La déstabilisation d’un Président en exercice serait-elle le seul intérêt d’un procès de ce type ? Les assoiffés de rénovation de la vie politique apprécieront…

On peut certes regretter la lenteur du temps judiciaire qui conduit un prévenu dans le prétoire plus de vingt ans après la « commission des faits », mais la faute à qui ? Jacques Chirac et ses conseils ont déployé autant d’énergie pour retarder le procès qu’Arnaud Montebourg pour le hâter, notamment en ayant recours au Conseil Constitutionnel qui a opportunément déduit des textes fondamentaux que le Président en exercice bénéficiait d’une immunité. Jacques Chirac ne pouvait donc être jugé qu’après avoir quitté ses fonctions. Nous y sommes.

Nous avons donc sous les yeux la preuve de la loi physique selon laquelle plus on lance loin le boomerang, plus il revient avec violence. Mise au pied du mur, la défense doit donc limiter la casse et empêcher que la statue du Commandeur que l’opinion et les médias ont commencé à bâtir se transforme en Victoire de Samothrace.

Les avocats de l’ex-Président peuvent suivre deux stratégies qui ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre : gagner du temps, d’une part, limiter le déballage de l’autre. La QPC (question de prioritaire de constitutionnalité) déposée par un co-prévenu du Président, accessoirement son ancien directeur de cabinet à la Mairie de Paris, pourrait satisfaire le premier objectif. Elle soulève avec pertinence un problème juridique de taille, la conformité constitutionnelle d’un texte du Code de procédure pénale dont l’interprétation élargie donnée par la jurisprudence permet de contourner la prescription. Autrement dit, il y aurait là une atteinte à la définition constitutionnelle de la prescription comme droit à l’oubli. Si la QPC est jugée recevable, l’affaire pourrait être renvoyée pour au moins six mois – mais le Tribunal peut passer outre.

Concernant le deuxième objectif – limiter le déballage – la tâche de la défense est plus subtile. Elle devra faire de « la belle ouvrage », comme on disait autrefois, du point de croix, de la dentelle judiciaire. Sans doute a-t-elle prévu, pour inaugurer le procès, une déclaration solennelle de Jacques Chirac sur le thème « je n’ai poursuivi aucun enrichissement personnel, n’ai commis aucune malversation même si j’ai laissé opérer un système imparfait (et peut-être illégal?), mis en place bien avant moi, visant au financement des activités politiques; j’assume ces erreurs en rappelant que le préjudice subi par la Ville de Paris, qui a supporté sur ses finances la rétribution de permanents du RPR, a été d’ores et déjà indemnisé par mes soins. » En effet, un protocole d’accord entre la municipalité et l’UMP fixe le montant de la réparation à deux millions d’euros.

Cet accord opportun permettra que l’audience se déroule avec plus de sérénité puisque la Ville de Paris, principale partie civile, sera absente des débats. Mais il signifie aussi que Jacques Chirac reconnaît sa culpabilité, ce qui pourrait paradoxalement contribuer à éviter les dommages qu’engendrerait une audience trop précise et cruelle. Le prévenu dirait en substance : « Oui j’ai fauté, oui j’ai remboursé, oui je suis âgé, serait-ce trop demander que l’on m’épargne l’humiliante et dès lors inutile litanie de mes turpitudes supposées ? ». Cela reviendrait à accélérer le rythme de l’audience après avoir tenté par mille manœuvres de le ralentir.

« Le criminel tient le civil en l’état » : cet adage signifie que les décisions rendues par les juridictions pénales s’imposent aux tribunaux civils. Le paradoxe du procès pénal à venir – ou non – est qu’il est d’ores et déjà terminé, à la suite d’un accord civil scellant une reconnaissance de culpabilité. Dorénavant, le civil tient le criminel en l’état. Circulez, il n’y a plus grand-chose à voir ! Jacques Chirac est déjà sorti de son procès et dans le fond qu’il y assiste ou pas n’a pas grand intérêt. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, laissons donc notre ancien Président de la République reprendre le cours de ses activités normales et la rédaction de ses Mémoires.



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Avocat et chroniqueur radiophonique occasionnel à Paris. Catalan d’origine, fait du <em>stand-up-paddle</em> sur l’Océan. Ne participe pas à la guerre des pro-Méditerranée contre les pro-Atlantique.

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