Le prix du roman de l’Académie française est allé cette année au joli roman-vaudeville de François-Henri Désérable, Mon maître et mon vainqueur. Causeur était à la cérémonie de remise des prix.
Jeudi 28 octobre à 16h30, sortant de leur réunion plénière, les Immortels rassemblés sur l’escalier qui monte à la chambre proclament le vainqueur du prix du roman de l’Académie française : il s’agit de François-Henri Désérable pour Mon maître et mon vainqueur, préféré à La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr et Le dernier tribun de Gilles Martin-Chauffier. Désérable, jeune beau gosse devant l’Éternel, prend la pose avec les académiciens et confie être très heureux de recevoir un prix qui a été attribué en 1968 à Belle du Seigneur, le roman qui lui a donné envie d’écrire.
Joueur et inventif
Mon maître et mon vainqueur est un très joli roman-vaudeville. Notre contributeur François Kasbi en a donné en septembre un compte-rendu enthousiaste. L’histoire que Désérable tisse a tout du théâtre : un adultère qui s’épanouit dans des circonstances burlesques – grivoiseries dans la réserve des livres rares de la BNF, enchères sans provision chez Christie’s, charge sur un âne lors d’un mariage – entre deux personnages ridicules et assez attachants. Cela raconté par un ami du couple curieusement omniscient à un juge cherchant à éclairer le contexte d’un crime dont on ne découvre qu’à la fin en quoi il consiste. Le livre est aussi ponctué de poèmes, qui se prennent plus ou moins au sérieux. Le roman est joueur, inventif ; Désérable s’amuse des genres (introduisant même deux ou trois photos illustratives assez drôles), de ses personnages, donne une dédicace en forme de devinette, « Bien à toi », dont on comprend par la suite qu’il doit s’agir d’une forme de règlement de comptes. On en ressort le cœur léger et le sourire aux lèvres.
Sarr mérite tout autant d’être récompensé !
Le roman de Sarr reste en lice pour d’autres prix littéraires, dont le Goncourt, et il mérite certainement d’en avoir un : le récit en forme de quête littéraire et personnelle d’un auteur du nom de T.C. Elimane est brillant et profond, traversé de visions et de personnages flamboyants. Naviguant entre le Sénégal et la France, sa méditation sur le destin des écrivains africains francophones touche très juste.
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Ces deux romans sont donc le fruit d’une jeune génération littéraire ; et on décèle dans les livres de Sarr et Désérable, 31 et 34 ans, un point commun important : une narration multiple et parfois enchevêtrée, dont l’élément clé est un personnage qui se confond avec l’auteur – les narrateurs sont justement de jeunes écrivains, qui évoquent leur amour pour la littérature, le milieu littéraire, leurs références, leurs difficultés à écrire. Ils s’opposaient assez radicalement au troisième roman finaliste : un excellent roman historique, sans doute plus traditionnel et avec moins de prétentions, traçant un captivant tableau de la fin de la République romaine. Deux romans de jeunes écrivains donc très personnels, d’autant plus pour Sarr qui choisit moins la légèreté que la profondeur. On sent encore par touches qu’ils ont quelque chose à prouver : leur amour des livres sans doute, célébrés, cités, ou des écrivains, Désérable jouant avec des figures insignes de notre panthéon (Verlaine, Rimbaud, Voltaire) et Sarr racontant pour l’essentiel une histoire d’écrivains qui rencontrent et cherchent d’autres écrivains. Leurs conceptions de ce que c’est que la « vraie littérature », aussi. Reste qu’ils ont excellé.
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