Nicole Belloubet cherche désespérément à désengorger les prisons pour contenir les risques de contagion. Comme la crise sanitaire s’installe en France et que la situation carcérale est explosive, Stéphane Jacquot fait une ambitieuse proposition.
Stéphane Jacquot, est juriste et essayiste. Il a été secrétaire national Les Républicains en charge de la justice, puis conseiller d’Alain Juppé lorsqu’il était candidat à la primaire de la droite et du centre. En février 2017, Stéphane Jacquot a rejoint Emmanuel Macron et lui a fait plusieurs propositions pour les prisons, dont la création d’une agence pour développer le travail d’intérêt général. Il est l’auteur de Pardonner l’irréparable aux Éditions Salvator et Les réhabilité(e)s, ouvrage collectif qu’il a dirigé aux Éditions du Cerf.
Denise Cabelli. Auditionnée jeudi 9 avril par la commission des lois du Sénat, la garde des Sceaux persiste et signe, en confirmant la libération de détenus en fin de peine pour désengorger les prisons. Est-ce suffisant pour calmer l’agitation que l’on voit poindre dans certains établissements pénitentiaires ?
Stéphane Jacquot. C’est une bonne mesure. Mais cette décision prise sous la pression de l’urgence sanitaire, sans dispositions d’accompagnement à la sortie, risque d’être contre-productive et mal acceptée par l’opinion publique très sensibilisée aux enjeux sécuritaires. Nicole Belloubet est restée floue concernant l’encadrement de ces sorties. Or un suivi dès la sortie de prison est indispensable si l’on veut éviter tout risque de récidive. À ma connaissance rien n’a été mis en place à ce jour. Le suivi des personnes sous bracelet électronique est censé « faire l’objet de contrôles des forces de police en charge de vérifier celui du confinement » a-t-elle annoncé. C’est un vœu pieux et un signe inquiétant. Ces personnes libérées par anticipation vont perdre le contact avec la Justice à un moment charnière de leur parcours.
Par ailleurs, les mesures compensatoires sont insuffisantes au regard des restrictions apportées aux conditions de détention : parloirs suspendus, activités sportives, enseignements, travail, accès aux cultes, etc. La seule soupape a été de rendre la télévision gratuite. Un geste a été fait pour diminuer le coût de l’abonnement téléphonique porté à 40 euros au lieu de 70 euros par mois. Je suggérais d’ailleurs à la ministre la gratuité des appels téléphoniques le temps de la suspension des parloirs afin de maintenir les liens familiaux. C’est oublier la difficulté d’accès au téléphone, sans parler des possibles embouteillages et donc de la promiscuité induite !
Selon vous, il aurait été plus pertinent, voire prioritaire, de libérer les personnes détenues pour de courtes peines. Pour l’opinion publique, la nuance entre « fin de peine » et « courte peine » est difficile à apprécier. Finalement, les détracteurs ne verront que le chiffre de 6000 relâchés dans la nature. Que leur répondez-vous ?
Certaines associations tel l’Institut pour la Justice font volontairement l’amalgame en surfant sur les peurs dans le but de manipuler l’opinion. Rappelons que seuls 17% des détenus représentent une dangerosité pour la société.
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En 2009, une loi pénitentiaire a été adoptée, prévoyant notamment l’encellulement individuel et une alternative à la détention par la généralisation du travail d’intérêt général (TIG). Elle est loin d’être appliquée ! Actuellement, on trouve encore des détenus entassés à 2, voire 3, dans des cellules de 9 m2, essentiellement dans les maisons d’arrêt dédiées aux courtes peines, lesquelles représentent 25% de la population pénale soit 17 750 personnes. Ces conditions indignes vont à l’encontre de l’objectif de l’incarcération, à savoir la réinsertion. « Il faut donner du sens à la peine », c’est ce que préconisait le président de la République, Emmanuel Macron, dans son discours du 6 mars 2018 devant les élèves de L’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP).
Dans son programme, le candidat Emmanuel Macron avait promis 15 000 places de prison supplémentaires. Le projet a semble-t-il été enterré mais cet abandon n’est pas franchement assumé.
« Davantage de places de prison » a pour corollaire « davantage de détenus». Est-ce que c’est ce que nous voulons ? Ces places de prison supplémentaires signeraient l’échec de l’alternative que constitue l’aménagement des peines et les alternatives à l’enfermement. 62 000 places opérationnelles, c’est bien suffisant à condition de venir renforcer les moyens de réinsertion et de probation de sorte qu’il n’y ait pas plus de détenus que de places disponibles et que le principe de l’encellulement individuel prévu par la loi soit respecté. Je propose d’ailleurs un numerus clausus pour se sortir de la surpopulation carcérale. La préparation à la sortie doit être mieux coordonnée en amont avec la mise en place d’un tutorat « hors les murs » pour accompagner les détenus à leur sortie en partenariat avec le ministère de la Justice, les visiteurs de prison, etc.
Je crois aussi en l’efficacité du travail d’intérêt général (TIG). Dès 2011, j’ai porté un projet qui a vu le jour en 2018 d’une agence nationale du travail des personnes placées sous main de justice, destinée à lever les obstacles au travail d’intérêt général et assurer son encadrement. En plus de désengorger les prisons, ce serait plus efficace pour donner du sens à la peine, pour la rendre à la fois plus intelligible et plus intelligente.
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La société civile est-elle prête à entendre vos arguments ?
À la faveur de cette crise sanitaire sans précédent, le regard de nos concitoyens sur la privation de libertés va, je l’espère changer. Il suffit d’entendre les témoignages sur le confinement qui nous est imposé. Une opportunité se présente pour que soit développé un autre regard sur la détention. Il reste encore 6000 personnes condamnées à de courtes en peines en détention. Pour que notre pays ne souffre plus de la surpopulation carcérale, il suffirait de libérer ces détenus. Ils seraient plus utiles en renforçant la réserve civique mise en place par le gouvernement dans le cadre du Covid-19 pour aider les soignants, mais aussi dans des secteurs comme l’agriculture en panne de main d’œuvre, avant de rendre cette mesure pérenne.
La prison doit rester l’ultime recours.
Que répondez-vous aux victimes qui s’offusquent face à vos propositions ?
À titre personnel, j’ai été durement touché par un assassinat commis sur un proche. J’étais donc tout désigné pour m’inscrire dans le principe d’une réponse sécuritaire. Ce serait stérile et vain. Certaines personnes en détention n’y ont pas leur place. Elles seraient plus utiles au service de la société.
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