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Prison : Opération portes ouvertes


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Pour François Hollande, il n’y a aucune ambiguïté : le « seul » objectif de la réforme pénale, a-t-il déclaré, est « la sécurité de nos concitoyens ». Tout indique pourtant que le véritable but du projet de Christiane Taubira est de « désengorger les prisons ». Dès lors, on voit mal comment il pourrait ne pas encourager la criminalité.

Précisons-le d’emblée,  la nouvelle peine de « probation » n’est pas en cause, malgré l’effervescence médiatique qu’elle a suscitée. Tous les pays occidentaux possèdent une sanction de cette nature  au sein de leur arsenal répressif. Son principe est simple et de bon sens : il s’agit d’imposer au petit délinquant une série d’obligations censées éviter la récidive, et s’assurer qu’il se tient à carreau via des mesures de suivi et de surveillance. Au toxicomane qui a volé pour se procurer de la drogue, on imposera un traitement contre son addiction. À l’homme qui a menacé et harcelé son ex-femme, on interdira de s’approcher de sa victime, et on l’obligera à l’indemniser. Tout cela sous le contrôle d’un agent de probation qui doit jouer un rôle de flic et d’éducateur.[access capability= »lire_inedits »]

Il y aurait donc plutôt motif de se réjouir de la création de cette sanction, adaptée aux primo-délinquants ayant commis un délit de faible gravité… si elle n’existait  pas déjà ! Et pas depuis peu : elle est inscrite dans notre droit depuis 1958 sous le nom de « sursis avec mise à l’épreuve ». Chaque année, environ 50 000 délinquants condamnés en bénéficient.  Le seul effet concret de cette pseudo-innovation, inscrite dans le projet Taubira sous le nom de « contrainte pénale », aura été d’envoyer un message de laxisme. Qui a été reçu cinq sur cinq par une partie de l’opinion.

Il y avait pourtant matière à innover, car la France manque cruellement d’alternatives crédibles à l’emprisonnement.  Encore qu’une utilisation plus avisée de celles qui existent – dans la sélection des condamnés concernés et dans la mise en œuvre – serait déjà une amélioration notable. Résumons : chaque année, 1,2 million d’auteurs de crimes et délits sont présentés à la Justice. Environ 120 000, soit 10 % d’entre eux, sont condamnés à de la prison ferme. Ce qui laisse environ 1 million de délinquants qui, pour la plupart, s’en tirent avec des sanctions purement symboliques : rappels à la loi, réclusion avec sursis et amendes dérisoires. Aujourd’hui, après la privation de liberté, la sanction la plus contraignante est (déjà) la probation, le fameux « sursis avec mise à l’épreuve ». Le problème est que, loin de viser des primo-délinquants peu dangereux, il s’applique en général à des multirécidivistes déjà condamnés et bien connus des services de police. Pour donner un ordre d’idée, il s’adresse aux 15 % des délinquants les plus sérieux (10 % sont condamnés à de la prison ferme, 5 % au sursis avec mise à l’épreuve).

Prenez le braqueur et tueur présumé de l’héroïque retraité Jacques Blondel à Marignane. Malgré 12 condamnations au compteur à seulement 18 ans, il avait toujours été laissé en liberté. Son placement sous probation ne l’avait nullement empêché de se lancer dans une attaque à main armée. En effet, l’autre problème de la probation à la française est qu’elle est particulièrement mal appliquée : le suivi et la surveillance de ceux qui y sont soumis sont quasi inexistants, et les violations des obligations rarement sanctionnées. La faute au manque de moyens ? En partie. Mais la faute aussi à la culture soixante-huitarde des agents de probation, qui se voient comme 100% éducateurs, là où ils devraient être moitié flics. Les délinquants ne se sentent donc pas « cadrés », et encore moins « contraints » par la probation. Récemment, à un procès d’assises pour meurtre, le juge a demandé à l’un des prévenus, déjà condamné plus de 10 fois, pourquoi il n’avait pas, lorsqu’il était en liberté, respecté les obligations que la Justice lui avait imposées. « Cela ne m’intéressait pas », a-t-il répondu, illustrant parfaitement l’état d’esprit des délinquants habitués à la magnanimité de notre système judiciaire.

Si le projet de loi Taubira se résumait à sa peine de « probation », on en serait quitte pour la poudre aux yeux. Malheureusement, le texte s’apprête également à rendre encore plus dérisoires des peines qui l’étaient déjà aux yeux des condamnés. Prenez la « prison avec sursis », prononcée contre des délinquants situés entre les 15 et 25 % les plus sérieux. Loin de considérer cette sanction comme une « épée de Damoclès », la plupart des intéressés la perçoivent comme une relaxe pure et simple. Et ils ont raison : il leur suffit d’observer le parcours de leurs « collègues » pour savoir que le sursis ne « tombe » pas en cas de nouvelle condamnation. Aussi surprenant que cela puisse paraître, notre droit permet d’empiler plusieurs sursis sans jamais être envoyé en prison. Or Christiane Taubira prévoit d’aller encore plus loin dans ce sens : la révocation d’un sursis qui, déjà, n’était pas automatique, devra l’être encore moins !

On touche là à l’ambition réelle, bien qu’inavouée, de la loi Taubira : désengorger les prisons quoi qu’il en coûte, sans se préoccuper des conséquences sur la crédibilité de la sanction pénale. Cette stratégie n’a malheureusement rien de nouveau : des remises de peine automatiques (instaurées en 1972) à l’aménagement systématique des peines de moins de deux ans prévu par la loi Dati de 2009, la plupart des lois pénales votées depuis quarante ans poursuivent le même objectif, l’idéologie et les contraintes financières convergeant en l’occurrence. Les gouvernements successifs auraient pu (et dû) adapter les capacités pénitentiaires aux réalités criminelles, c’est-à-dire à l’accroissement continu de la violence. Ils ont préféré adapter la politique pénale au nombre de places de prison disponibles (ou indisponibles). De sorte que, si on excepte les grands criminels, l’effectivité de la peine dépend non pas de la gravité des faits ou du comportement du condamné, mais du « taux de remplissage » carcéral.

Christiane Taubira relance donc une politique qui s’est toujours conclue en fiasco, tant pour notre système pénitentiaire – la France compte aujourd’hui 68 000 détenus pour 57 000 places de prison – que pour la crédibilité, donc le caractère dissuasif de la Justice – plus de 100 000 peines de prison sont en attente d’exécution, faute de places disponibles. Quand on sait, de surcroît, que la France dispose de presque moitié moins de prisons que la moyenne des pays de l’Union européenne, on comprend qu’il y avait une seule solution crédible et durable pour exécuter convenablement les peines et accueillir les détenus avec dignité : construire en urgence les 30 000 places de détention qui manquent. C’était d’ailleurs ce qu’avait fini par décider le président Sarkozy, dans un éclair tardif de lucidité, à la toute fin de son quinquennat.

Christiane Taubira refusant avec énergie d’augmenter vraiment le nombre de places de prison – sa première mesure a été d’annuler ce programme ambitieux –, il lui faut impérativement réduire le nombre de détenus. En cherchant tous les moyens pour en libérer le plus possible. C’est bien le sens de la plus dangereuse des mesures qu’elle propose, pourtant passée inaperçue : la « libération sous contrainte ». Il s’agit d’obliger les juges d’application des peines à examiner le dossier de tous les détenus parvenus à la moitié de leur peine, en vue de les remettre en liberté (je dis bien à la moitié de leur peine, et non aux deux tiers comme le prétend le gouvernement, car c’est ce qui se produira en pratique compte tenu des remises de peine automatiques).

Cette mesure est d’autant plus dangereuse que la possibilité d’obtenir une libération à mi-peine existe déjà. Sauf que pour l’instant, il est tout de même demandé aux postulants de fournir un effort : il leur faut préparer un « projet de sortie » à peu près cohérent, trouver et s’engager à suivre une formation, voire obtenir une promesse d’embauche. Dans la majorité des cas, les délinquants ne sont pas prêts à déployer autant d’énergie pour grappiller quelques semaines ou quelques mois de liberté.  Le projet Taubira prépare donc la libération, potentiellement massive, d’individus si peu motivés pour se « réinsérer » qu’ils n’ont même pas pris la peine de préparer un dossier de libération conditionnelle.

Cette « libération sous contrainte » aura-t-elle au moins le mérite d’éviter que les détenus quittent la prison sans surveillance ni suivi ? Nullement, car les profils les plus inquiétants continueront tout de même à être privés de libération anticipée, donc de suivi à leur sortie. Si on avait vraiment voulu éviter les « sorties sèches », il aurait été plus efficace de rendre obligatoires les peines « mixtes », mi-prison, mi-probation. Aujourd’hui déjà, les juges peuvent imposer une peine d’un an de prison ferme suivie d’un an de mise à l’épreuve. Que la systématisation de cette pratique n’ait pas été retenue prouve bien que l’objectif de la réforme est de vider les prisons.

C’est également le sens de la suppression des peines-planchers visant les récidivistes. Elles n’avaient rien de très sévère (deux ans pour dix ans encourus), ni d’ailleurs d’automatique (elles étaient écartées par les juges dans 64 % des cas, malgré l’obligation qui leur était faite de motiver ce choix, bruyamment dénoncée comme une insupportable atteinte à leur indépendance). Elles avaient la vertu d’inscrire dans notre Code pénal la nécessité de mettre à l’écart la petite minorité de délinquants multirécidivistes qui pourrissent la vie des citoyens. Car toutes les études criminologiques le démontrent : plus de 50 % des crimes et délits sont commis par une toute petite minorité (5 %) d’individus suractifs et dangereux. Lorsque ce noyau dur est derrière les barreaux, la société est mieux protégée. Que tout ne soit pas mis en œuvre pour réaliser cet objectif somme toute modeste est intolérable pour le public.

C’est ce que persistent à ne pas comprendre certains juges, qui n’hésitent pas à infliger des sursis, des mises à l’épreuve ou des peines dérisoires à des individus déjà multicondamnés. Le braqueur tué par le bijoutier de Nice ? On l’a vu, condamné 14 fois à 18 ans, et toujours libre comme l’air. Le violeur de Colombes soupçonné qui a envoyé, à mains nues, une jeune femme dans le coma ? Un multirécidiviste, déjà condamné pour agression sexuelle, qui était en « aménagement de peine » au moment de son crime.  On pourrait poursuivre cette litanie des heures durant, tant la réalité est têtue : la Justice manque singulièrement de fermeté vis-à-vis des récidivistes. Les peines-planchers, aussi imparfaites soient-elles, représentent une petite digue contre des jugements encore plus laxistes et déconnectés des attentes des citoyens. C’est encore trop pour Christiane Taubira qui trouve visiblement plus urgent de donner des gages à l’extrême gauche judiciaire que d’œuvrer, conformément à l’ambition présidentielle affichée, à la sécurité des Français. Il est vrai que les justiciables et les victimes, contrairement au Syndicat de la magistrature, ne sont d’aucune utilité politique à la ministre chargée de les défendre.

La prison école du crime ? Le contre-exemple américain

Le modèle pénal américain n’a pas bonne réputation, et c’est en partie justifié.  Car les États-Unis incarcèrent littéralement à tour de bras : si la France avait le même taux de détention, elle aurait 400 000 détenus (et non 68 000). C’est trop. Toutefois, on méconnaît trop souvent les effets de cette politique sur la criminalité américaine. De 1993 à aujourd’hui, les homicides, les violences aux personnes et les atteintes aux biens ont été divisés par 2. À tel point que, si l’on met de côté les homicides, la criminalité aux États-Unis est désormais inférieure à celle de la France ! Il faut dire que les violences en France, elles, ont été multipliées par 2 depuis vingt ans, d’après les statistiques de la police et de la gendarmerie. L’exemple américain devrait donc démystifier le catéchisme souvent rabâché de la « prison école du crime ». Car si cette « théorie » était vraie, le tout-carcéral inouï engagé à partir des années 1980 en Amérique devrait avoir entraîné une explosion du crime (700 000 détenus sortent chaque année des geôles américaines). Or c’est bien l’inverse qui s’est produit : lorsque l’État est dur avec le crime, celui-ci recule. Et inversement…[/access]

*Photo : MAGNIEN/20 MINUTES/SIPA.00650362_000014.

Octobre 2013 #6

Article extrait du Magazine Causeur



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est secrétaire général de l'Institut pour la Justice. Il a récemment publié "Quand la justice crée l'insécurité" (Fayard,2013).

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