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PRISM : Liberté et sécurité, l’arbitrage impossible


PRISM : Liberté et sécurité, l’arbitrage impossible

obama prism internet

En 1929, le secrétaire d’Etat américain Henri Stimson a ordonné la fermeture du service de décryptage de son ministère. « Gentlemen don’t read each other’s mail » (des gentlemen ne lisent pas les courriers d’autres gentlemen), disait-il. Depuis, à Washington comme ailleurs, les gentlemen sont devenus une espèce rare. Preuve en est, le récent scandale autour du projet américain PRISM, un système capable de scanner et d’analyser les mails et messages envoyés sur les réseaux sociaux.
Comme l’a expliqué Barack Obama, « personne n’écoute vos appels téléphoniques. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit avec ce programme ». Si les contenus des mails proprement dits échappent aux services de renseignement, ceux-ci n’en examinent pas moins « les numéros de téléphone et la durée des appels. Ils ne regardent pas le nom des gens. Et ils n’examinent pas le contenu. Mais en analysant ces données, ils peuvent identifier des pistes sur des gens qui pourraient avoir recours au terrorisme », précise le président américain. Un système de fadettes intelligentes, en somme.
Malgré tous ces garde-fous, on comprend la colère des internautes. Il est désagréable de se sentir fliqué par les services de sécurité. Mais, face aux « loups » plus ou moins solitaires qui se multiplient de Toulouse à Boston en passant par Londres, Utoya et La Défense (sans parler des tueurs de masse apolitiques qui sévissent si souvent aux Etats-Unis), nous exigeons – à juste titre – un niveau toujours croissant de sécurité. L’hypocrisie atteint des sommets lorsque nous consentons à recevoir des offres commerciales basées sur la récurrence de certains mots-clés dans nos conversations virtuelles mais que nous nous offusquons que ces mêmes méthodes soient employées à des fins non mercantiles, pour notre propre sécurité. Ainsi, il y a quelques années, Jack Lang s’indignait de la création du fichier policier EDVIGE sur le plateau du « Grand Journal », arguant que cet outil statistique attente à nos libertés en fichant les individus ayant eu maille à partir avec la justice. Quelques instants plus tard, dans la même émission, l’ancien ministre de la Culture accueillait le jeune fondateur de Facebook avec un concert d’éloges, comme un chantre de l’innovation et de la liberté sur Internet. La différence de nature entre EDVIGE et l’intrusif Facebook, c’est que le premier devait aider l’Etat à préserver la sécurité de nos concitoyens, là où le second vend des publicités et des applications à partir de nos conversations et données privées.
C’est dire si nous avons parfois du mal à mesurer les vrais enjeux des arbitrages entre liberté et sécurité. Or, les nouveaux terroristes ne nous attendent pas. À l’instar des avions furtifs, ils échappent souvent aux radars et laissent peu d’indices avant de passer à l’acte. Ces individus isolés se compromettent peu avec des réseaux bien identifiés. Ils limitent au strict minimum les contacts avec des individus susceptibles d’être surveillés. Leurs seules traces visibles se retrouvent sur le web, un monde réticulaire et difficilement contrôlable. Face à ces nouvelles menaces, le travail classique des agents secrets – filature, écoutes… – ne suffit plus.
Dans ces conditions, les services de renseignements ont recours aux derniers moyens efficaces pour traquer les terroristes : lancer des algorithmes, analyser d’énormes bases de données, croiser les indices. Ce n’est qu’après avoir repéré un individu suspect qu’on peut le confondre au moyen des méthodes policières traditionnelles.
Comme d’ordinaire, l’indignation est mauvaise conseillère. La question n’est pas tant le bien-fondé de la surveillance que les conditions de son application. Impliquer les élus, garantir le contrôle judiciaire de ces nouveaux outils : voilà les nouveaux défis à relever dans l’encadrement de la lutte antiterroriste.

*Photo : watchingfrogsboil.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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