David Desgouilles. Dans l’entretien publié le 30 mai dans nos colonnes, Kévin Boucaud-Victoire évoque le Printemps Républicain dans des termes que vous n’approuvez pas. Pourquoi ?
Denis Maillard. J’ai lu l’entretien avec un mélange de contentement, d’amusement et d’agacement. Les mêmes sentiments que j’ai eu en parcourant les pages que l’auteur consacre au Printemps républicain et à la Gauche populaire dans son ouvrage. C’est toujours amusant de voir racontée une histoire à laquelle vous avez participé. Il n’y a pas tellement d’erreurs mais beaucoup de raccourcis. Des personnages et des pensées sont rapprochés pour les besoins de la démonstration ; on prend appui sur tel fait ou tel texte parce que ça arrange. Par exemple, la Gauche populaire était plus composite que ce qui en est dit dans le livre et Christophe Guilluy n’en a jamais fait partie, même s’il a écrit un texte dans un ouvrage qui porte le nom de « Plaidoyer pour une gauche populaire », rédigé bien avant que le mouvement ne naisse réellement. Bref, tout ceci n’est pas une enquête, plus une convergence de signes censés servir l’analyse de l’auteur. De là un peu d’agacement. Notamment sur deux points de l’entretien : conclure que le Printemps républicain était mort-né à partir du moment où deux personnes choisissaient de s’en éloigner. Là encore que sait-il de la réalité de cet épisode ? Et tout faire tourner autour de l’un des animateurs du mouvement, en l’occurrence Laurent Bouvet, au détriment de tous les autres membres qui ont également pu s’exprimer. Au point d’ailleurs de conclure à l’inanité du mouvement par son écartèlement entre la France insoumise d’un côté et En Marche ! de l’autre ; au prix d’ailleurs d’une contrevérité lorsqu’il affirme que Laurent Bouvet a soutenu Macron. Mais passons… Je préfère m’en tenir au sérieux de l’analyse qui pour une fois, et ce n’est pas coutume s’agissant de l’objet Printemps républicain, prend au sérieux ce que nous tentons de faire. Nos analyses vont inévitablement diverger. Mais au moins la discussion a lieu.
Justement, accordez-vous de la pertinence à cette distinction entre trois gauches, libérale, jacobine et socialiste ? Partant de là, Kévin Boucaud-Victoire touche-t-il juste en voyant dans le Printemps républicain une émanation contemporaine de la gauche jacobine ?
Dans son livre sur Les gauches françaises, Jacques Julliard distingue quatre familles : la gauche libérale, à cheval sur la frontière droite-gauche, la gauche libertaire tentée par l’anarchisme et jalouse de l’indépendance syndicale, la gauche jacobine empreinte de la toute puissance de l’Etat, et la gauche collectiviste née de la rencontre du marxisme et du mouvement ouvrier. A partir de 1971, le parti socialiste a réussi à rassembler tout ou partie de ces quatre courants. Pourtant, on ne retient généralement que la division proposée par Michel Rocard au congrès de Nantes en 1977 entre deux gauches seulement : l’une idéologique, centralisatrice et jacobine contre une autre décentralisatrice, régionaliste, autogestionnaire, faisant la part belle à la société civile et au réalisme économique. La première contre la « deuxième gauche » ; le vieux monde ouvriériste industriel contre les nouveaux mouvements sociaux mâtinés de valeurs post-matérialistes ; Jacobins contre Girondins ; athées marxisants contre catholiques sociaux ; la gauche du collectif contre celle des individus ; le monde de l’égalité contre celui de la liberté… Cette fois-ci, notre auteur nous en propose trois. Pourquoi pas ? Si je vois bien comment il fait rentrer le Printemps républicain sous l’appelation « gauche jacobine », j’ai tout de même un peu de mal à m’y retrouver. Comme si ces trois gauches naissaient à un moment donné de l’histoire et se poursuivaient sous diverses formes mais avec un ADN pur. Je crois que le Printemps républicain est précisément une tentative de repenser ce que peut être une gauche républicaine après la mort de la première gauche et l’épuisement de la deuxième gauche qui, elle, a paradoxalement essaimé entre Benoît Hamon, Manuel Valls et Emmanuel Macron.
La gauche républicaine telle que vous la décrivez – ou la gauche jacobine décrite par Kévin Boucaud -Victoire – n’est-elle pas la grande perdante de cette séquence électorale ? Et qu’en est-il de la santé du Printemps républicain que l’auteur de La Guerre des gauches annonce chancelante ?
Chancelante non – nous avons près de 500 adhérents et plus de 12 000 personnes dans le réseau alentours -, mais difficilement audible durant la séquence électorale qui a commencé en septembre dernier et qui se poursuivra jusqu’aux législatives. Pour deux raisons simples : le Printemps républicain a choisi explicitement de ne pas prendre position durant la campagne présidentielle, sauf entre les deux tours pour appeler à voter Emmanuel Macron et non pas seulement empêcher Marine Le Pen d’accéder au pouvoir. Il nous semblait que le premier permettait, même si nous n’étions pas d’accord avec lui, de poursuivre une dispute démocratique et républicaine, ce que la victoire de la seconde risquait de rendre impossible. D’où ce choix clair. Notre mouvement était de fait un peu « en sommeil » durant cette période puisqu’il n’avait pas vocation à y être présent, laissant à ses membres toute liberté pour y participer derrière le candidat de leur choix. La seconde raison est à la fois plus inquiétante conjoncturellement et en même temps porteuse d’avenir : il n’y avait dans cette campagne aucun candidat portant nos idées et dans lequel nous aurions pu nous reconnaître. La gauche républicaine telle que nous l’imaginons n’est représentée nulle part aujourd’hui. C’est donc à nous de structurer notre propre offre politique comme nous avons commencé à le faire avant la campagne présidentielle.
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