Samedi soir, j’étais résolu à descendre à la sous-préfecture la plus proche de mon domicile, localité assignée par le comité d’organisation des « primaires citoyennes de la gauche » aux électeurs de mon village désireux d’y participer.
Cette tentation était d’autant plus grande que se déroulait dans cette même ville le comice agricole, un événement décennal haut en couleur. On peut y admirer les plus beaux spécimens de l’élevage local, veaux, vaches, cochons et couvées, et déguster un choix de spécialités solides et liquides du meilleur aloi. La dimension politique du comice agricole fait hélas partie de ce passé qui, hélas, ne reviendra plus, tout comme les discours amphigouriques des notables dont l’élite intellectuelle parisienne ne manquait pas de se moquer[1. Je viens de lire Michéa…].
La nuit, dit-on, porte conseil. Certes, mais avant que ce conseil éclairé s’impose à vous, vous vous payez une sacrée insomnie dont les traces seront sensibles pendant une bonne journée, sinon plus.
La question qui éloignait de moi le marchand de sable était aussi simple qu’insoluble : à quel titre irais-je m’immiscer dans ce scrutin destiné à permettre aux électeurs de la gauche de choisir leur champion(ne) pour la présidentielle de mai prochain ?
Ayant déserté ce camp, qui fut longtemps le mien, lors de l’élection de 2007, et n’étant pas du tout certain de revenir au bercail en 2012, je devrais être totalement indifférent à cette primaire.
Et pourtant, je me sentais fortement tenté de mettre mon grain de sel dans ce nouveau plat de la vie politique, car l’hypothèse d’une victoire de la gauche en mai et juin est loin d’être absurde. Non que j’attende une quelconque prébende du parti des vainqueurs : à mon âge, cela serait aussi ridicule que présomptueux.
Mais l’électeur de droite que je suis devenu a bien, lui aussi, le droit de choisir contre qui il va voter, et cela d’autant plus que ce dernier a de bonnes chances de l’emporter. Dans cette configuration, le choix du candidat à la primaire s’impose : il s’agit de celui ou celle qui vous donnera le plus envie de vous mobiliser pour lui barrer le chemin de l’Elysée. Mais la simple idée de glisser dans une enveloppe et dans l’urne un bulletin portant le nom de Ségolène Royal ajoutait l’horreur du cauchemar aux affres de l’insomnie.
Mais dans la perspective d’une probable victoire de la gauche, un raisonnement inverse me poussait à favoriser le candidat le moins éloigné de mes convictions, autrement dit le plus à droite des postulants. Celui qui ne nous bassine pas avec le care, le dolorisme universel et nous garantit un quota suffisant d’énergie à bon marché grâce au nucléaire : Manuel Valls. Mais comme il n’a aucune chance de passer le premier tour, l’incitation à l’effort de se lever, se laver, descendre dans la vallée par un temps maussade invitant au farniente et à la sieste est de faible intensité.
Pendant que toutes ces pensées se bousculaient dans ma tête, mon épouse, électrice de gauche sans états d’âme depuis un nombre de décennies qu’il serait discourtois de préciser, dormait comme un ange. Le lendemain matin, elle se leva sans bruit pour aller voter, me laissant récupérer de ma calamiteuse nuit.
J’espère très fort qu’il n’y aura pas de second tour.
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