Etonnant ces candidats Les Républicains : au moment où le gouvernement rencontre les pires difficultés à faire passer la loi El Khomri qui réforme le code du travail a minima, les participants à la primaire de droite se livrent à une surenchère libérale annonçant une révolution qu’ils veulent sans précédent : retour aux 39 heures, retraite à 65 ans, fin des régimes spéciaux, refonte en profondeur du code du travail, réduction drastique des effectifs de fonctionnaires, 100 milliards d’économies budgétaires et hausse de la TVA (donc baisse des salaires réels !), mesures accompagnées d’autres qui ne toucheront pas au niveau de vie des classes populaires, telle la suppression de l’ISF, mais ne feront pas nécessairement plaisir à l’immense majorité qui ne le paye pas : un Fouquet’s programmatique en quelque sorte.
Beaucoup de ces réformes à prétention libérale ont un air de déjà-vu : sélection à l’entrée des universités (qui avait, bien inutilement, mis le feu au pays en 1986), nouvelles refontes territoriales (dont il ne semble pas que les candidats mesurent la lassitude et le désarroi qu’elles suscitent chez les Français), etc.
Dans cette surenchère, Juppé semble aujourd’hui en pointe mais Sarkozy et Fillon et ne sont pas en reste. La tonalité des campagnes de Le Maire ou Copé n’est pas différente.
Nous ne ferons pas aux uns et aux autres l’injure de penser qu’il ne s’agit là que de poses pour séduire dans la perspective de la primaire un électorat de droite largement conditionné par des prescripteurs à qui cette rhétorique libérale plaît : patronat petit et grand, think tanks libéraux de tout poil, sans oublier nos partenaires européens. Non, les candidats y croient vraiment. Mais il est une question à laquelle ils ne répondent pas : comment feront-ils pour faire passer de telles réformes alors que la gauche elle-même n’y arrive pas ?
Fillon compte sur l’« état de grâce » qui lui permettra, pense-t-il, de faire adopter certaines par référendum. La règle d’or par exemple. Juppé veut commencer son quinquennat par un « choc ».
Quelle légitimité ?
Tout cela est bien joli. Mais quelle légitimité auront-ils ? Les politologues l’observent : le fameux « état de grâce » est de plus en plus court. Il est plus que probable que le candidat de la droite classique sera élu au second tour contre un candidat du Front national avec un écart assez faible, témoignant à lui seul d’un profond mécontentement du pays. Il le sera avec des voix de gauche. Cela devrait, en théorie, lui permettre de s’appuyer sur tout l’« arc républicain » pour entreprendre des réformes vigoureuses, mais l’expérience du passé montre que c’est le contraire qui se passe. Jacques Chirac, élu en 2002 avec 80 % des voix, ne se crut pas pour autant autorisé à faire des reformes en profondeur car il ne voulait pas contrarier la gauche dont il avait recueilli les voix. Les présidents de région élus récemment dans des conditions analogues se sont sentis tenus, à tort ou à raison, de faire tout de suite des concessions à la gauche pour lui marquer leur reconnaissance.
La gauche, malgré sa faiblesse actuelle, dispose dans le pays réel, de relais qui lui permettent de contrôler en partie au moins les remous sociaux occasionnés par ses tentatives de réformes. On la soupçonne même de se servir de ces relais extrémistes, antifas et autres, pour discréditer, en entretenant des violences, l’opposition syndicale. Qu’importe ! Si la droite, au temps de Pasqua, eut autrefois de tels relais, elle n’en a plus aucun aujourd’hui.
Il fut un temps où la grande presse se partageait, certes inégalement, entre la droite et la gauche. Aujourd’hui, elle semble presque entièrement acquise à la gauche. Cela ne la conduit certes pas à faire preuve d’indulgence pour un Hollande au bout du rouleau, mais ne nous leurrons pas : très vite, elle en aurait encore moins pour un gouvernement affiché à droite.
Reagan et Thatcher purent faire des réformes libérales profondes mais ils n’étaient pas que libéraux, ils jouaient aussi sur la fibre nationale, voire nationaliste. Nulle orientation de ce genre chez les candidats LR dont aucun (sauf Myard et Poisson qui ne font pas la course en tête) ne remet en cause la dépendance actuelle à l’égard des contraintes euro-atlantiques. En définitive qu’offrent-ils en échange d’une remise en cause de ce que beaucoup tiennent encore pour des acquis sociaux : un peu plus de sécurité publique, un meilleur contrôle de l’immigration : avec quelle crédibilité ? Une réforme en profondeur de l’école ? Même pas. Une remise en cause des dérives sociétales : surtout pas, politiquement correct oblige. D’ailleurs, la plupart des réformes promises par la droite sont-elles autre chose que la transposition de directives de Bruxelles ? Tout comme les rares propositions qui émanent d’un Macron.
Des « princes esclaves »
Or c’est là que le bât blesse. Pour exiger des gens des sacrifices courageux, il faut soi-même donné le sentiment de faire preuve de courage. Quoiqu’ ils n’en soient pas toujours conscients, les Français sentent bien que les réformes libérales, même si certaines sont nécessaires, visent à satisfaire des donneurs d’ordres étrangers (Bruxelles, Berlin ou d’autres), que ces ordres sont répercutés par des « princes esclaves » selon l’expression de Gaston Fessard. Piètre posture pour exiger « du sang et des larmes ».
Ajoutons que les réformes libérales sont plus faciles à faire en période de croissance : il est plus aisé par exemple de rétablir l’équilibre budgétaire quand les rentrées fiscales augmentent, de supprimer des postes de fonctionnaires quand le secteur privé recrute, d’augmenter le temps de travail quand on peut en même temps augmenter les salaires. Rien de tel ne se profile à l’horizon 2017. L’assouplissement du code du travail a lui-même peu de chances de se traduire par des recrutements massifs si les conditions macroéconomiques d’une reprise ne sont pas au rendez-vous.
La convergence des propositions des candidats Les Républicains ne tient pas seulement au conformisme technocratique : ne remettant évidement pas en cause l’euro, ils n’envisagent pas non plus des solutions alternatives comme un vigoureux transfert des charges sociales sur la TVA dite « TVA sociale » (assortie d’une hausse des salaires à due proportion, sinon la mesure apparaîtra elle aussi pénitentielle). A l’intérieur des contraintes dans lesquelles ils inscrivent leur projet, la seule solution qu’ils voient pour relancer la croissance est la politique dite de l’offre : faciliter l’initiative des chefs d’entreprise en améliorant leur situation financière et réglementaire vis-à-vis du reste de la population. Une telle politique serait sans doute acceptée par les Français s’ils étaient sûrs de son efficacité, ce qui n’est évidemment pas le cas, non sans raisons. Sans compter le risque qu’une compression brutale des dépenses publiques et privées n’enfonce davantage encore le pays dans la récession.
Le plus probable à ce jour est que le prochain président soit issu des rangs des Républicains. La règle à suivre par ceux qui conseillent les candidats à la primaire de ce parti ne devrait pas être seulement « plus libéral que moi tu meurs », mais : « Comment éviter que la nouvelle majorité ne soit carbonisée en trois mois ? » Autrement dit, comment ne pas réitérer les mésaventures de 1986 et 1995 : toute la population dans la rue aux premières réformes ? Mais qui s’en souvient ? C’est alors en effet qu’aurait lieu l’explosion que tout le monde attend depuis des mois, voire des années. Les réformes en seraient définitivement discréditées et la gauche, malgré son épuisement idéologique, se trouverait une fois de plus, remise en selle.
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