L’histoire a tourné en boucle ces jours-ci : le père Arthur Hervet, 71 ans, assompsionniste lillois, a déclaré face à des journalistes : « Je prie, je vous demande pardon, pour que M. Sarkozy ait une crise cardiaque. » Quelques heures après, l’ecclésiastique se rétracte, convoque une conférence de presse et fait pénitence. La presse compatit et justifie, dans ses oeuvres, le brave vieux exténué par les combats qu’il mène en faveur des Roms. Le diocèse de Lille y va de sa petite antienne catholique : « Ses mots ont certainement dépassé ses propos. » Ite missa est ? Mon cul, oui ! On ne quitte rien du tout avant l’élévation.
Les mots du curé lillois ont certainement dépassé ses propos. Son repentir était des plus sincères. Chacun peut en être convaincu. Cependant, vouloir, dans son for intérieur, la mort d’un homme n’est déjà pas rien. Prier pour elle, nom de Dieu, est une sacrée affaire ! Prier pour cette mort et l’annoncer publiquement, lorsque l’on est prêtre de l’Eglise catholique, apostolique et romaine (et néanmoins lilloise) est une autre chose encore.
On n’est plus dans le christianisme, on est dans le gore, le film de série Z, non plus dans les canons de l’Eglise. Le christianisme est né au Golgotha. Il repose essentiellement sur la victoire de la vie sur la mort. Cela s’appelle la foi en la résurrection. « Mort, où est ta victoire ? » Voilà ce que tout chrétien, après la lettre de Paul aux Corinthiens, peut proclamer à la face du monde. La plus irrationnelle question de l’univers est la raison d’être de tout chrétien.
Prier pour qu’advienne sur un homme la mort n’est pas simplement en contradiction avec je-ne-sais quelle éthique chrétienne : c’est la négation même de la foi au Christ ressuscité. Qu’un prêtre prie pour que la mort advienne sur un homme revient à consacrer la victoire de la mort sur la vie. Il y a quelque chose de vaudou là-dedans : certes, on suppose le père Hervet gentil avec les animaux – aucun poulet n’aura été sacrifié dans son anti-exorcisme –, mais « prier pour la mort » n’a pas franchement une tronche très catholique.
Et puis, Dieu sait que tout ça n’est pas très canon. Le droit canonique – qui n’est pas une fumisterie lorsque l’on est prêtre catholique – prescrit qu’il y a des conduites incorrectes par nature et d’autres qui le deviennent selon les circonstances de temps et de lieu. Le canon 285 interdit au clerc tout ce qui ne convient pas à son état. Souhaiter la mort de quelqu’un convient-elle à un prêtre ? Conseiller de la nonciature aux Etats-Unis, Mgr Jean-François Lantheaume répond : « Il va de soi que « souhaiter la mort de quelqu’un » non seulement ne convient pas à un clerc, mais a fortiori à un chrétien même, car souhaiter que quelqu’un meurre, c’est lui souhaiter du mal, et partant, c’est un péché grave, ce n’est pas seulement une grave entorse au droit canonique mais au précept évangélique qui nous commande d’aimer nos ennemis et de prier pour eux. Le canon 287 – plus général que le canon 285 du CIC 1983 –, intime l’application au maintien entre les hommes de la paix et de la concorde fondée sur la justice. Prier pour la mort d’une personne physique relève non seulement d’une infraction à ce canon – puisqu’en l’état, on entraîne inévitablement un appel à la haine et au mépris, donc à la discorde et à l’injustice – mais aussi relève de la gravité amorale manifeste de la part du clerc qui adresse cette prière. A moins qu’on soit en présence d’un être « non compos sui », qui ne dispose ni de ses facultés mentales ni de son jugement, la question doit être traitée non plus seulement sur le plan canonique, mais aussi sur le plan moral. L’agir moral du prêtre qui appelle à prier pour la mort de quelqu’un, par haine ou mépris, est intrinsèquement mauvais moralement car, en contrevenant directement le Décalogue, il emporte ex toto genere suo une violation grave de l’ordre moral de par sa malice. Cette contravention entraîne un préjudice non seulement de la personne, mais aussi de l’ordre moral objectif et demande réparation. Il revient à l’ordinaire du lieu de prendre une juste peine pour faire cesser ce trouble public. »
Il y aurait donc, selon ce spécialiste du droit canon, matière à poursuites. Des poursuites qui pourraient aller loin, jusqu’au renvoi du père Hervet de l’état ecclésiastique. Mais le droit canon, qui s’en soucie ? Qui le prend au sérieux ?
Cependant, une question fondamentale se pose à l’évêque de Lille comme à l’ensemble des évêques de France. Peuvent-ils imaginer ce qui se serait passé si la prière du père Hervet avait été exaucée ? Quoi – rires entendus à la Conférence épiscopale –, vous croyez encore que les prières adressées au Très-Haut peuvent être exaucées ? Pères évêques, à vous de répondre maintenant : croyez-vous encore en la prière ?
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