Mon curé chez les artistes


Mon curé chez les artistes

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L’affaire de la publicité dans le métro du concert du groupe Les Prêtres, prévu pour le 14 juin prochain à l’Olympia au profit des chrétiens d’Orient persécutés, s’est terminée, fort heureusement, par une  reculade en rase campagne de la RATP et de sa régie publicitaire Metrobus. La mention des bénéficiaires du spectacle figurera bien sur les affiches, et les adeptes de la soumission houellebecquienne œuvrant à l’étage des chefs du métro parisien devront raser les murs pendant quelque temps.

Cet épilogue, empreint de moralité, nous met à l’aise pour procéder sans états d’âme à une analyse sans concessions de ce phénomène qu’on ose appeler artistique : l’irruption du clergé dans le monde du showbizz. Pour ce qui concerne le groupe des curés haut-alpins, compose, en fait, de deux prêtres, Jean- Michel Bardet et Charles Troesch, et d’un ex-séminariste, Joseph Dinh Nguyen Nguyen, il ne faut pas prendre au pied de la lettre le récit apologétique que leur mentor, Mgr Jean-Michel Di Falco, évêque de Gap et d’Embrun, fait de leur accession à la gloire lyrique et médiatique. Ce prélat mondain et branché, ancien porte-parole de l’épiscopat français, raconte que c’est sur la suggestion de son ami le compositeur Didier Barbelivien qu’il aurait sorti ces curés de campagne de leur anonymat pastoral, seule leur modestie empêchant l’expression de leur talent… Disons plutôt qu’expédié en 2003 dans le diocèse hexagonal le plus éloigné possible de la capitale, Jean-Michel Di Falco a trouvé un bon moyen de se mettre à nouveau sous les feux de la rampe en adaptant, en France, la recette du boys band de curés chantants irlandais The Priests, qui cartonnent dans les pays anglo-saxons avec leurs concerts live et leurs DVD vendus à des centaines de milliers d’exemplaires. À la différence de leurs imitateurs français, The Priests ont un niveau vocal et un métier scénique de professionnels et sont capables de se produire en public sans l’artifice du play-back.

Ce n’est pas faire injure à nos braves curés gapençais de dire que leurs clips vidéo et leurs DVD bidouilles en studio par les fabricants de tubes bas de gamme ne révèlent pas au grand public des talents lyriques injustement ignorés[access capability= »lire_inedits »], à l’exception peut-être de Joseph Dinh Nguyen Nguyen. Ce dernier aurait pu faire une honnête carrière de crooner asiatique dans les boîtes pour touristes d’Ho Chi Minh-Ville, ex-Saïgon.

Si les gens achètent de la variétoche sirupeuse et insipide, autant alors que ce soit au bénéfice d’une bonne cause, la construction d’une église dans les Hautes-Alpes, ou le soutien matériel aux chrétiens d’Irak, de Syrie, du Pakistan, martyrisés par les djihadistes barbares… Sol lucet omnibus, disait-on quand la messe était encore en latin, et, aujourd’hui, le soleil brille tout autant pour André Rieu que pour Itzhak Perlman, pour Les Prêtres que pour The Priests. Que le ciel, Jean-Michel Di Falco, et les techniques hyper-pointues des studios d’enregistrement, en soient donc loués !

Mais je ne saurais trop mettre en garde nos ecclésiastiques, parvenus au sommet de la notoriété et du hit-parade, contre le destin funeste qui a frappé leurs collègues ayant, naguère,

franchi le Rubicon séparant la musique paroissiale de la scène profane. Le premier d’entre eux, le père Aime Duval, jésuite de base, était devenu une star internationale dans les années 1950 et 1960, en grattant sa guitare et en chantant des bluettes de sa composition racontant les misères de la vie, ou de pauvres hères trouvaient, à la fin, consolation dans le Christ.

Il serait aujourd’hui bien oublie si son ami Georges Brassens ne l’avait immortalise dans Les Trompettes de la renommée : »Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente/Avec le père Duval, la calotte chantante/ Lui le catéchumène, et moi l’énergumène/ Il me laisse dire“merde”, je lui laisse dire “amen” » !

Emporté dans le tourbillon des tournées, des nuits folles et des matins blêmes, Aimé Duval sombra dans la dépression et l’alcoolisme, avant de se récupérer in extremis en fuyant le showbizz.

L’histoire de la «nonne chantante», dite «soeur Sourire», alias Jeanine Deckers, religieuse dominicaine belge, est encore plus tragique. Entrée dans les ordres en 1959, elle charmait ses consœurs du couvent en composant de petits airs entrainants, sur lesquels elle plaçait des paroles édifiantes. En 1963, les bonnes soeurs estimèrent qu’il n’était pas charitable de garder ces trésors pour elles seules, et décidèrent de proposer au peuple ce mode de prédication récréative que saint Dominique eut certainement approuve… Bingo ! Sa chanson Dominique« Dominique, nique, nique… » – devient un tube mondial.

J’ajoute (souvenir personnel) que ses paroles connurent un succès fulgurant dans les cours de récré grâce à l’arrivée massive des jeunes Pieds-Noirs en métropole, et à l’introduction concomitante du verbe «niquer» dans le vocabulaire courant. Dominique fut éditée et diffusée par le label Philips, qui roula dans la farine les braves sœurs belges : la multinationale néerlandaise se goinfrait 95 % des droits et en laissait royalement 5 % à la congrégation. Jeanine Deckers ne vit pas la couleur d’un centime de franc belge, ayant fait vœu de pauvreté et d’obéissance. Or, quelques années plus tard, sa vocation vacille, et elle découvre que ses pulsions homosexuelles ne sont pas compatibles avec la vie cloitrée. Cohabitant avec une amie thérapeute d’enfants autistes, elle subsiste tant bien que mal en donnant des cours de guitare et en travaillant auprès de jeunes handicapés. Mais le fisc belge, ne croyant pas une seconde que l’ex-nonne ait abandonné ses mirifiques droits d’auteur à la collectivité, soupçonne la fraude, et lui réclame avec insistance l’impôt du sur les sommes considérables produites par la vente de ses disques. La congrégation, bonne fille, lui reverse une partie des miettes laissées par Philips, mais c’est bien insuffisant pour satisfaire le moloch fiscal. Quant à Philips, sa réponse aux suppliques de celle qui fit les choux gras de la firme fut, en substance, un bras d’honneur aussi batave que grossier. Désespérées, ayant sombre dans l’alcool, Jeanine Deckers et sa compagne Annie Pecher (cela ne s’invente pas) se suicidèrent ensemble le 29 mars 1985.

Alors, MM. Les Prêtres, croyez-en un vieux mécréant qui ne vous veut que du bien : n’écoutez pas les sirènes de la gloire, et surtout demandez à Di Falco de vous montrer les comptes, tous les comptes ![/access]

Mai 2015 #24

Article extrait du Magazine Causeur



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