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Chasseur de magazines

La chronique dominicale de Monsieur Nostalgie


Chasseur de magazines
Vieux numéros de "20 ans" et "Lui". DR.

Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, journaux, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour ce dimanche, il a choisi de nous parler de la presse magazine française. Il a beaucoup fouillé dans ses archives personnelles et déniché quelques pépites (interview, reportage, enquête, etc…) dans 20 ans, l’Echo des Savanes, Lui, Elle ou le mensuel A Suivre


Je suis tombé dans le papier, très tôt. J’en ai même fait mon métier. À vrai dire, j’aime autant la presse en kiosque que la « grande » littérature. La lecture des magazines dit de loisirs aura guidé toute ma jeunesse provinciale. Je suis venu aux Hussards, aux surréalistes et aux futuristes par l’entremise de revues récréatives. J’ai appris à écrire dans Bicross Magazine, Tennis de France et Moto Verte. On ne guérit jamais de cette enfance avec papier glacé, la tête penchée sur la presse spécialisée. 

La politique et la marche du monde ne m’intéressent que si elles sont maquettées entre l’essai d’une voiture de sport et une collection de maillots de bain. J’ai toujours préféré le superficiel à l’existentialisme des rédactions parisiennes. L’actualité est d’un ennui mortel. Par contre, se replonger dans les magazines datant des années 1970/1980 est aussi salutaire qu’épousseter les résidences secondaires au début du printemps. On s’aère l’esprit, on se libère, on apprend mille choses et on s’amuse franchement. 

A ne pas manquer, notre numéro de l’été: Causeur 125: En première ligne dans la guerre des idées, Notre jeunesse

Dans des titres considérés comme ineptes par les gens sérieux, on est fasciné par leur richesse de contenu, la pertinence de leurs interviews et une fraîcheur qui semble avoir disparu de nos médias militarisés. Se divertir n’est pas un crime. Qui pourrait croire que dans 20 ans, entre un reportage sur l’orgasme masculin et une sélection de « pulls tout pulpeux », on tombe sur une interview folle de Véronique Sanson d’octobre 1972 ? La journaliste l’interroge sur les prénoms. La chanteuse répond : « Pour moi, les gens ressemblent à leurs prénoms. Il y a les Martine, par exemple, des garces. Elles se ressemblent toutes. Petites bourgeoises qui ne pensent qu’à se faire épouser et à avoir des gosses. Oh… et puis les Marie-Dominique, pleines de boutons, brunasses et toujours à faire des coups en-dessous. Dans les restaurants, j’imagine le prénom des gens, et leur vie. On se trompe rarement, c’est marrant… ». On aime Véronique pour cette dinguerie-là. Un an auparavant, toujours dans 20 ans (numéro d’août 1971), le regretté Wolinski mettait les points sur les « i » et faisait la leçon aux donneurs de morale qui l’accusaient de récupération politique car le dessinateur officiait en même temps au Journal du Dimanche et à Charlie Hebdo. Sa réponse était sans appel : « Si j’accepte de travailler dans un journal de grande diffusion, c’est d’abord parce que je veux gagner assez d’argent pour vivre correctement en élevant mes enfants, ensuite parce que les dessins qui paraissent dans certaines publications ultra-politisées et confidentielles ne s’adressent qu’à des gens déjà convertis. La « grande presse » touche la masse, et c’est au moins aussi intéressant qu’une prétendue élite intellectuelle de gauche qui se veut pure mais se trouve mal placée pour donner des leçons ». Voilà, c’est envoyé ! 

La presse magazine d’alors, contrairement à celle d’aujourd’hui, cherchait le contre-pied, et non l’asservissement aux mêmes idées. Dans Elle du 6 juillet 1981, Monica Vitti opérait un tournant stratégique dans sa carrière, à 44 ans, se détachant ainsi des rôles sensuels et dramatiques qui lui collaient à la peau. Elle revendiquait le nez rouge comme sa vocation avouant qu’elle avait eu « son premier succès involontaire » au théâtre, à l’adolescence : « Pour un rôle que je croyais profondément dramatique ; eh bien, toute la salle s’est écroulée de rire ! J’étais très vexée. Aujourd’hui, c’est ce que je veux, les rires du public ». On ne sacralisait pas tellement le cinéma comme le prouve l’entretien hilarant accordé à Martin Veyron en 1985 dans L’Echo des Savanes pour l’adaptation de sa BD L’Amour propre au cinéma. L’intervieweur s’étonne que Claude Zidi, le producteur, lui ait confié la réalisation alors qu’il n’avait jamais mis les pieds sur un plateau. « Vous savez, la production payait directement les techniciens, les comédiens, il n’y avait aucun risque que je dépense les sous avec des filles ou au bistrot » rétorquait-il, aussi désabusé que Bernard Lermite, son double de papier. 

A lire aussi, du même auteur: Alors, on lit quoi cet été ?

Dans le mensuel A Suivre dédié à l’illustration en 1978, Hergé, le créateur de Tintin, évoquait ses goûts littéraires à François Rivière. Celui qui fut un grand lecteur de Balzac, Flaubert, Stendhal, Dostoïevski et Dickens avait évolué. En 1978, « il y a quelque chose de décisif, c’est la psychologie des profondeurs de Jung. Lui m’a orienté vers les philosophies qui ne sont pas seulement des idées et des mots, mais que je ressens dans tout mon être » disait-il. De toutes mes collections, j’ai un faible pour les Lui avec Sophie Favier nue en relief mais surtout pour les confidences de star. En 1986, Irène Blanc avait passé trois jours avec Chaban « pressenti » comme Premier ministre de la cohabitation qui donnait une définition (de normand) du gaullisme : « Le gaullisme n’envisage pas la vie sans liberté mais pas non plus la liberté sans justice sociale […] Si le tout-Etat est inacceptable et finalement meurtrier, le sans-Etat est destructeur ». Sardou, en janvier 1983, était plus direct sur son rôle d’homme public : « Je n’aime pas la foule, j’ai même horreur de la foule. Je suis à l’envers de ce que je fais. […] Dans ce métier, on est toujours en représentation, on fait gaffe à ne pas grossir, on fait gaffe à être aimable, on fait gaffe à tout. Et moi, il y a des moments où j’ai pas envie de faire gaffe ! ». Vive les vieux journaux !

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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