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Presque mort pour presque rien ?


Presque mort pour presque rien ?

Le 17 novembre, un lycéen tente de s’immoler par le feu dans un couloir de son lycée, à Bordeaux.
Comme les journalistes n’ont presque rien, alors ils parlent en boucle de ce « suicide par immolation dans les couloirs du lycée », changent un verbe, affinent un adjectif : il faut que ça tourne. D’autres sans doute font le pied de grue devant l’appartement des parents, photographient les copines, pistent les copains ; quelques camarades choqués pour entretenir le buzz, cela fait patienter. Ils ne savent rien mais ils actualisent, espèrent un détail, guettent un indice. Un drame ça s’organise. Les cellules psychologiques et les déclarations de ministres, trop vu et revu ! Alors que faire d’une immolation quand même les parents tardent à venir face caméra dire qu’ils ne comprennent pas, qu’ils souffrent mais qu’ils espèrent ? C’est quoi ces parents ?

Il faut que ça tourne ! Il faut envisager des clés, échafauder des pistes, ajouter des adverbes. Pas de responsable ? Pas la moindre vidéo retrouvée au domicile qui expliquerait ce geste par un désarroi existentiel ? Ca sonne bien l’existentiel, ça change du social qui fait tourner en rond, la perte de sens c’est important, sans oublier l’influence des jeux vidéos.
À défaut d’une vidéo, pas de trace écrite d’un enfer sentimental ? Le nomadisme amoureux, ses nouveaux codes et ses risques, c’est bon ça pourtant. Ou une implication ethno-dérapante? Ce n’était pas, comme certains disent sans honte, un jeune n’en pouvant plus de l’infâme racket islamique ? Ni un jeune issu de la Diversité la plus prometteuse en but au mépris de Français trop propres sur eux ? Même pas un gay en proie aux brimades ou un minoritaire quelconque soumis aux préjugés des bandes ?…
Peut-être que si après tout, il ne faut pas perdre espoir trop vite, il y aura bien un clan pour rebondir et faire son miel.

Que faire d’une immolation qui n’incite même pas à discuter d’une loi à l’Assemblée, qui ne permet pas de faire de l’Histoire, d’invoquer les mânes de Jan Palach, de parler du patriotisme qui a changé de forme, ou bien de la fragilité de l’adolescence, cette période où « la rupture est un appel », ou encore de gloser sur l’insécurité, « plaie des lycées », voire tout simplement de donner quelques idées aux pros du stand-up, oh bien sûr quand l’émotion sera retombée, hein !, quelque chose sur les gens qui ont besoin d’avoir chaud, qui font feu de tout bois, il faudrait creuser un peu …

Ils ne savent pas pourquoi mais ils sauront : le fait divers finira par rendre gorge. En attendant ils réécrivent en plus sombre ou en plus didactique, ils ajoutent un adverbe, changent un synonyme, contactent des spécialistes du désarroi et des sommités du risque. Ils espèrent surtout que ce ne soit pas un accident, ce serait trop bête, non il faudrait une motivation qui permette des débats et des photos, et puis si ça tourne mal au CHU de Bordeaux, il sera toujours temps de se rabattre sur le système hospitalier français qui part en vrille.

Une immolation, ça sert à quoi ?



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Ludovic Maubreuil est né en mai 1968. Hôte de diverses revues (Eléments, La Revue du Cinéma, Le Magazine des Livres), il collabore en outre au site collectif Kinok (www.kinok.fr). Il est l'auteur de Bréviaire de cinéphilie dissidente (Alexipharmaque, 2009)

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