Santé publique et hôpital apparaissent paralysés par l’étatisation et les 35 heures. Bien que la France sorte d’une pandémie qui a mis en avant les difficultés du secteur, le sujet de l’hôpital passe pour l’instant dans le débat public largement après les questions liées à la sécurité, à l’immigration ou désormais à l’international – avec la guerre en Ukraine. Pourtant, des changements structurels s’imposent.
La campagne présidentielle de 2022 se déroule sans débat de fond. C’est un paradoxe. Nous sortons du variant Omicron et déjà on prépare les bureaux de vote. Pourtant les sujets de la santé publique et de l’hôpital n’ont quasiment pas été abordés. Serait-ce que les résultats de la France sont satisfaisants? Pas vraiment, si nous les comparons aux meilleures nations, qu’il s’agisse de la pandémie ou de la qualité des soins. Serait-ce que la classe politique refuse de considérer ce qui marche ailleurs en Europe et manque d’audace ? Cette hypothèse mérite qu’on s’y arrête.
Grande Sécu, Tout État et Grand Sparadrap, des programmes dont l’ambition est au-dessous de l’enjeu
La gauche soutient la grande sécu. C’est la mise en place d’un monopole, plus étendu et incontrôlable encore que celui de la CNAM. Le tout sans personne pour évaluer les résultats. Les exemples étrangers indiquent pourtant que la grande sécu conduirait à des résultats détériorés en matière de qualité et de coût des soins en raison de la gravité des dysfonctionnements existants. Des questions formulées par le think tank Terra Nova comme “Combien sommes-nous prêts à dépenser pour notre santé ?”, “à chacun selon ses besoins”, dans une « perspective démocratique” n’apportent aucun début de solution. Car à la fin, ces énoncés nous ramènent toujours à la logique de moyens. Or, la plupart des pays d’Europe démontrent le contraire, ni la réponse à la pandémie ni la qualité des soins ne sont directement corrélées aux dépenses. Les pays européens et singulièrement la France dépensent déjà beaucoup. Il faut faire mieux avec moins. En revanche, l’accent mis à gauche sur une organisation sanitaire au contact des populations est fondé. Reste à bâtir cette organisation régalienne.
Le tout Etat, c’est le projet technocratique de Valérie Pécresse. Il fait de l’État et de nos deniers l’exécutant et le payeur des réformes alors même qu’il est ruiné, que les structures de soins sont étouffées par la réglementation, comme l’ont montré l’impréparation, l’indéfinition des rôles et l’incapacité à se projeter au contact des populations durant la pandémie. L’autre limite de cette approche est le manque de médecins, d’infirmières et d’aide-soignantes disponibles sur le marché du travail. Nous assistons même au contraire à un reflux. Devant les difficultés rencontrés par ces professions (contraintes extrêmes, faibles salaires nets, formations en panne, bureaucratie…), une partie des soignants font une grève à la Ayn Rand, un mouvement qui touche par ailleurs aussi d’autres couches de la société, c’est ce qu’on appelle the great resignation [1]. Certains démissionnent, d’autres changent de pays, de mode d’exercice ou de durée de travail. Bref il y a de moins en moins d’heures disponibles pour la médecine clinique, pour les soins effectifs. Or, il y aurait un moyen d’ouvrir plus de lits en laissant le choix aux soignants de travailler 39 heures – soit 11,4% d’heures de soins en plus. Et il y a un moyen de sortir l’hôpital de sa crise itérative, en mettant en place un statut d’entreprise publique libérée de la bureaucratie, des statuts et de la paralysie. Pour autant, Valérie Pécresse affiche des intentions qui vont dans le bon sens : “innovation, accès au marché, marché unique européen, simplification…”. Mais si l’État demeure seul aux manettes, ces bonnes intentions s’évanouiront.
Tuyauterie bureaucratique et tensions
Le Grand Sparadrap, c’est le choix de ce quinquennat. Il devrait se poursuivre car il est peu risqué. Ajouter des milliards lors de conférences médiatisées, les voir disparaître dans les tuyauteries bureaucratiques, calme la tension sociale. Compléter les choses de ci de là par touches paramétriques, c’est ce qui a prévalu depuis 40 ans. Ces réformettes ne changent rien. Elles ont l’avantage de n’effrayer ni les syndicats, ni les médecins attachés au statu quo, ni les patients qui sont nombreux à croire encore qu’ils bénéficient du « meilleur système de santé du monde », alors que c’est un lointain passé. Il n’est pas anecdotique de rappeler que pendant la pandémie certains Français sont allés en cure thermale, se sont fait tester plus que de besoin, ont consommé des transports médicaux alors que les moyens de transport collectifs et individuels n’ont jamais été aussi développés, ont été en arrêt maladie au lieu d’être en télétravail et ont consommé au total beaucoup plus de biens médicaux; ces dépenses n’ont pas servi à soigner. En matière de consommation médicale, les prélèvements obligatoires doivent rembourser les soins utiles pour les maladies. Il faut faire ce choix de l’essentiel, or c’est la redistribution qui a prévalu.
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La droite nationale est avant tout étatiste. Pour ses deux candidats, l’Etat doit rester le décideur, le payeur et même le contrôleur du système. En revanche, ils posent la question de la fraude à l’Assurance maladie, qui, combinée aux dépenses inutiles permettrait si on s’y attaquait, ne serait-ce qu’en les réduisant de moitié, de rétablir les comptes et d’investir.
Pour Marine Le Pen, l’Aide Médicale d’État est un puits sans fond qu’il faut supprimer. Le poids financier de cette offre réservée aux clandestins est insoutenable pour un pays dont le système hospitalier est en difficulté. L’AME a dépassé le milliard d’euros de dépenses sans aucune maîtrise de l’Etat. La France n’a plus les moyens d’une telle générosité universelle, qui contribue par ailleurs à attirer toujours plus d’immigrés pour des raisons médicales. Simplement il faut proposer un dispositif pour gérer les urgences médicales de ceux qui sont déjà sur notre sol. Éric Zemmour veut réduire la fraude à l’Assurance maladie. Il veut aussi décharger les médecins des tâches administratives devenues “presque un second temps plein”. Ce sujet, qui concerne aussi les infirmières, est un des moyens permettant de retrouver des heures de soins au chevet des patients. Il faudra une innovation organisationnelle poussée pour y parvenir. Il entend supprimer les Agences Régionales de Santé “devenues des agents comptables peu utiles dans la gestion de la pandémie”. Là, il se démarque du tout Etat, ce qui peut permettre l’avènement d’une réelle autonomie des établissements publics ou privés. Ces objectifs sont ambitieux et certains sont tenables sur un quinquennat. Pour autant, il faudra bien accepter que des tarifs Sécu identiques pour tous et partout seront insoutenables d’un point de vue économique. Et que c’est bien là une cause majeure du départ des soignants de certaines zones.
Mesures marginales et changement structurel
Il y a dans tous ces programmes d’excellentes idées, mais les effets escomptés sont marginaux tant ils évitent tout changement structurel. En santé publique on retient chez Emmanuel Macron la tentative avortée de bâtir une organisation sanitaire. Les brigades d’Edouard Philippe auraient été une pierre fondatrice. Cependant, le changement était profond et les adversaires de tout ce qui est efficace, régional et adaptable trop nombreux. Il faudra y revenir.
Rétrospectivement deux causes principales sont liées aux difficultés de la médecine française, les 35 heures et les ARS. D’une part il est impossible de faire fonctionner 24h/24 h une organisation complexe comme un hôpital sauf à avoir à faire face à des coûts insoutenables. D’autre part, le besoin d’un Préfet régional de santé n’est pas fondé mais coute très cher.
Enfin nous avons un devoir de vérité : les ressources humaines et financières pour la santé sont fortement contraintes car les moyens alloués existants sont déjà considérables en France. Comment améliorer l’utilisation de nos ressources? Par l’innovation statutaire, organisationnelle et financière. Deux piliers relèvent de l’État. Dans le système de soins, l’hôpital public gagnera à être libéré des contraintes tutélaires et réglementaires en devenant responsable de sa gestion et de ses missions. Une entreprise publique, obtenant des résultats mesurables, équilibrant son bilan, voilà la solution qui a fait ses preuves ailleurs en Europe. En amont du système de soins, la santé des populations dépend d’une nécessaire organisation sanitaire agile et adaptable. Installée dans les régions, sans coûts fixes élevés mais avec des technologies numériques avancées et un recours gradué aux moyens de cette fonction régalienne, une telle organisation sanitaire doit être rapidement bâtie et entrainée à agir. Débattons des solutions plutôt que de nous affronter sur des principes !
[1] https://hbr.org/2021/09/who-is-driving-the-great-resignation
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