Un président trop pressé et des Sages bien trop sages. L’analyse politique de Philippe Bilger.
Je l’aurais parié : le président de la République a promulgué la loi sur les retraites dans la soirée du 14 avril et elle a été publiée dans la nuit du 14 au 15 avril, à 3 heures 28 du matin. Quand la démocratie se repose, lui a veillé pour lui faire, non pas un mauvais coup mais une provocation de plus. Etait-il absolument nécessaire de précipiter ainsi le mouvement pour désigner de manière ostentatoire le vainqueur de la partie ? Après avoir lu attentivement le 14 la décision du Conseil constitutionnel pour une émission spéciale de Sud Radio, je voudrais à toute force me garder de pensées suspicieuses sur l’indépendance des neuf Sages et sur leurs possibles liens officieux avec le pouvoir avant que la décision soit officiellement rendue. En effet j’avoue avoir été surpris quelques jours en amont par l’annonce de certains médias indiquant que le gouvernement aurait laissé volontairement quelques « cavaliers » sociaux dans la loi pour que le Conseil constitutionnel ait un peu de grain à moudre. Et de fait ils ont été censurés, notamment l’index senior.
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Le Conseil constitutionnel fait preuve d’un juridisme étroit dans son argumentation
Je n’ai pu m’empêcher non plus d’analyser la démarche du président, au cours de la semaine précédant la décision, comme révélatrice d’une forte intuition sur le caractère favorable de celle-ci, de sorte que par exemple il pouvait proposer, bien avant l’heure, une rencontre aux syndicats le 18 avril. Ils l’ont d’ailleurs refusée dans l’attente du 1er mai. Ce sont des indices qui ne signifient peut-être rien ou sont sans doute, de la part d’une juridiction suprême, tellement évidents – cette relation en amont avec le pouvoir exécutif, au moins pour l’information de ce dernier – qu’il ne faudrait pas en tirer des conclusions délétères.
D’autant plus que je ne crois pas que le problème central du Conseil constitutionnel soit l’indépendance des neuf Sages au sens strict. J’espère ne pas être naïf mais je n’imagine pas que ses membres, et encore moins son président, aient été si peu soucieux de leur mission capitale à la fois juridique et démocratique pour la brader de manière vulgaire en s’assujettissant au pouvoir.
Il n’empêche qu’en écartant ce grief injurieux, on peut en revanche s’étonner du juridisme étroit et de l’éclatante tonalité conservatrice de l’argumentation développée par le Conseil constitutionnel. Pour ce qui se rapporte à l’essentiel des recours portant sur la procédure suivie pour l’adoption de la loi, en gros, ce qui est formellement constitutionnel doit être forcément validé, comme si seule comptait la lettre et non l’esprit. Cette logique a été suivie au sujet de « la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour procéder à une réforme des retraites ».
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Pas de préjudice « substantiel », dites-vous ?
Et encore davantage pour la discussion sur « la clarté et la sincérité des débats parlementaires », et sur un mode à mon sens sinon choquant du moins désincarné – le regard juridique se dépouillant délibérément de toute intelligence politique. De sorte que chacune des pistes qui aurait pu conduire à une censure était systématiquement écartée. Pourtant le Conseil constitutionnel, pour les procédures mises en œuvre, évoquait leur « application cumulative », récusait « toute atteinte substantielle » et en concluait que « leur cumul(…)n’était pas à lui seul de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure ayant conduit à l’adoption de cette loi ». Il me semble que cette approche révèle le souci du Conseil constitutionnel de s’arrêter à mi-chemin, de ne pas tirer toutes les conséquences d’un état parlementaire des lieux pourtant incontestable, en décidant pas exemple l’absence de toute atteinte « substantielle ». Qu’aurait-il donc fallu pour que cette « application cumulative » de procédures exceptionnelles au sens commun fût considérée comme créatrice « d’une atteinte substantielle » ? Il est en effet difficile de concevoir que dans la vie parlementaire un tel abus de procédures dérogatoires à la normalité d’un vote puisse être demain à nouveau imposé aux députés et aux sénateurs, ce qui conduit à s’interroger : quand donc un préjudice « substantiel » pourrait-il donc être relevé ?
Le fait que les députés de LFI aient par leur comportement collectif dévoyé mis du leur dans ces péripéties parlementaires tronquées ne rend pas moins insupportable l’atteinte qui a été causée à tous les droits des députés, toutes tendances confondues, d’avoir un débat à la fois durable et non contraint. Loin de moi l’idée de dénoncer une quelconque partialité du Conseil constitutionnel : plutôt, une crainte tellement obsessionnelle de tomber dans la politisation qu’il en a oublié qu’au nom du droit et de l’apaisement démocratique, une perception lucidement politique venant enrichir le premier et susciter le second pouvait être attendue de lui…
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Le paradoxe est qu’on pourrait imputer à cette assemblée de neuf Sages prétendus souvent partisans, non pas un déficit juridique mais une carence utilement politique. Je comprends qu’on puisse éprouver au mieux comme un sentiment d’inachèvement face à cette décision qui a permis une promulgation à toute bride abattue nocturne. Le référendum d’initiative partagée a été rejeté pour une raison sans équivoque. Le second, le 3 mai, aura-t-il la bonne fortune d’être admis ? Le président nous parlera ce soir à 20 heures. À moins d’un miracle politique, la France est loin d’être sortie de ses affres.
Attendre quelque chose ce soir : un devoir… Le plus triste, sur le plan politique, pour notre démocratie, est qu’apparemment les Français n’attendent plus rien de l’allocution du président de la République à 20 heures ce soir. Si j’en juge par les réactions de ceux qui ont été questionnés dans le journal télévisé de la 6 le 16 avril. Ils ne se disent même pas qu’elle ne pourra qu’être meilleure, plus utile, plus respectueuse et empathique, que le dernier entretien qu’Emmanuel Macron nous avait offert avec la complicité bienveillante de deux journalistes. Ils ne sont même pas sûrs d’avoir envie d’écouter le président ce soir et certains, d’ailleurs, s’en passeront. Parce que la politique ne les intéresse plus, parce que ce président décidément n’est pas le leur, qu’il les ait déçus dès le début ou au fil du temps, ou qu’ils n’éprouvent que l’unique besoin de fuir les rites et les processus de la France traditionnelle, classique pour créer du désordre et de la révolution. Pourtant – et c’est une obligation républicaine – il conviendra d’attendre, d’espérer quelque chose ce soir. Je ne parle pas du socle stable des inconditionnels, des fidèles du président mais de tous ceux qui, critiques comme moi, pourraient être tentés de jeter l’éponge citoyenne. Il ne faut surtout pas. Pratiquer le contraire du « #BoycottMacron20heures » qui est une stupidité à tous points de vue. Un miracle est toujours possible et même si ce soir le président ne nous présentera que la face discutable de son être politique, qu’importe. On doit composer avec lui comme lui n’a pas d’autre choix que de s’accommoder de nous. La seule manière de briser son autarcie si peu accordée à l’esprit profond du pays – dont la protestation constante est le rappel désespéré ou furieux qu’il existe et qu’on doit l’écouter – est de nous acharner à ne pas lui laisser le champ libre. Rendez-vous ce soir. P. Bilger. |
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