Éric : prénom scandinave d’origine protogermanique – de ainaz, « un seul », et rikaz, « chef ». Hapsatou peut remercier le Seul Chef. Jusqu’au 18 septembre, son prénom n’était que le soleil des plateaux. Depuis qu’Éric, renfourchant un vieux dada, a taquiné Hapsatou, les voilà gagnante-gagnant. Hapsatou superstar et Destin français best-seller : 11 000 cierges à saint Média !
Tant de bousin à l’écran et sur la toile que la glose a noyé la chose. Le prénom. Autrefois, dit Éric, on se prénommait Johann à Berlin, John à Londres, Giovanni à Rome, Juan à Madrid, Ivan à Moscou, Yannis à Athènes et Corinne à Paris. Et alors ? C’est pas vrai ? Le premier compositeur adulé dans notre pays se prénommait Giovanni Battista. Né à Florence, il plut à Louis XIV qui le chargea d’un projet politique supercostaud : imposer l’opéra français dans une Europe soumise à l’opéra italien. Par jugeote et par stratégie, le Roi-Soleil a couronné un Italien champion de l’art national. Ainsi Giovanni Battista Lulli devint-il Jean-Baptiste Lully. Reconnaissant, le baladin immigré prénomma son aîné Louis.
C’était la règle. La même règle qui a transformé Jacob, fils du juif allemand Isaac Offenbach, en le plus Jacques des Jacques. Ou Fryderyk en Frédéric Chopin. Règle qui s’appliquait encore quand les parents d’Ivo Livi et de Sergio Reggiani fuyaient Mussolini. Sergio est devenu Serge, Ivo Yves Montand. Et ce 9 novembre, nous fêtons tous ensemble les cent ans de la mort de Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky, fils sans père d’une réfugiée lituanienne, né à Rome, intégré à sa France d’adoption au point de devenir un poète fou de sa langue et de s’engager dans la Grande Guerre avant d’avoir obtenu la nationalité, ayant choisi pour nom son dernier prénom en VO : Guillaume Apollinaire.
Éric regrette ce bon vieux temps. Il a le droit, surtout qu’il ne se cache pas : nostalgique, réac, tout lui va. Mais trouve-t-il vraiment que Raymonde ou Marie-Antoinette seraient mieux portées par Hapsatou qu’Hapsatou ? Et à qui veut-il faire croire que Natalie (avec ou sans hache) est plus heureuse que Natacha ? Le prénom a fait comme le marché, il s’est mondialisé. Pas depuis Mitterrand. Au moins depuis la Libération. Est-ce que Jean-Philippe Smet a attendu la loi de 1993 pour s’adorer en Johnny ? Ou Claude Moine en Eddy Mitchell ? Ou Annie Chancel en Sheila ? Ils rêvaient d’Amérique, ils se la sont injectée par voie nominative. Même avant l’occupation, madame Bouchet et monsieur Lang ont baptisé leur fils Jack, pas Jacques. « L’Amérique, l’Amérique, si c’est un rêve, je le saurai », chantait Joe Dassin, qui se prénommait Joseph.
Eh oui, un rêve. Le prénom est le rêve d’un réel appelé « nom ». Souvenir d’un aïeul, tatouage identitaire, drapeau fantôme, terre promise au Sud ou au Far-Ouest, en Bretagne (et des Maelis et des Maewenn) ou en Provence (et des Maguelonne et des Magali), à table (Cumin, Pistache) ou au ciel (Nuage, Radar), une agence de voyages où tous les vols seraient gratuits.
Enfin ! qu’Éric sèche ses larmes. Nos maires ont empêché des jumeaux de s’appeler Bâbord et Tribord. À Valenciennes, la petite Ella a échappé à Nutella. Et Jamel Debbouze a prénommé son fils Léon. « Ça m’a valu les foudres de ma communauté. Mais c’est le truc le plus fort que j’aie fait politiquement », dit Jamel.