Etats-Unis : le Sud agonise


Etats-Unis : le Sud agonise

Prénom Etats-Unis Racisme Confédéré

Le bruit et la fureur se sont emparés des Etats-Unis à la suite des attentats perpétrés à Charleston par un jeune suprématiste blanc. De nombreuses questions se sont posées auxquelles on tente de répondre à la même vitesse que celle des balles du tueur. Le mythe d’un Sud raciste, rétif à la modernité, profondément coupé de la moitié nord des Etats-Unis, a repris place dans le discours médiatique. En brandissant le drapeau confédéré, Dylan Roof a introduit les représentations de la guerre de sécession dans cet imaginaire d’un Sud « Dixieland » désespérément raciste et arriéré. Déjà, des voix s’élèvent pour interdire le drapeau de la Confédération.

Sans nier l’existence des phénomènes extrémistes, on peut néanmoins se poser la question de l’existence d’un espace culturel « sudiste » correspondant aux Etats américains qui ont fait sécession en 1861. Ce monde, que Faulkner pensait né d’un traumatisme lié à la guerre de Sécession, et qui sous-tendait le cliché d’un Sud raciste et dangereux pour les personnes de couleur, existe-t-il toujours ? Une étude italienne parue il y a un mois tente d’y répondre en s’intéressant à l’évolution des prénoms des nouveaux-nés aux Etats-Unis.

Cette analyse originale, produite par des physiciens italiens de l’université Sapienza, s’ajoute à une longue série d’études culturelles portant sur des données sociologiques triviales. Létude des races des chiens adoptés, le succès des chansons populaires, ou même, pour l’antiquité, les décorations des poteries archéologiques s’est montrée très utiles pour saisir les contours d’une culture et plus efficace que l’analyse des phénomènes « sérieux » comme la politique. Pour déterminer les contours d’une civilisation, d’un espace culturel homogène, ces phénomènes apparemment dérisoires sont, paraît-il, d’une certaine efficacité. Armés de cette méthodologie, nos physiciens se sont concentrés sur le choix des prénoms. Ce choix étant très intime, ils l’ont jugé moins soumis aux effets de mode et plus stable dans le temps. Leur idée n’est pas de suivre des prénoms précis – compter les Scarlett d’un côté, les Meg et Jo de l’autres – mais de mesurer, état par état, quels sont les prénoms les plus fréquemment attribués aux filles et aux garçons. Même si les noms à la mode changent, ils ne changent pas partout de la même façon et au même rythme.

Jusqu’aux années 1960, la récurrence des prénoms dessinait un véritable clivage entre le Nord et le Sud, une véritable frontière statistique entre deux moitiés d’un pays qui s’étaient fait la guerre. À partir des années 1970, cette frontière invisible s’est effritée. Avec deux blocs côtiers, et au milieu un bloc « Midwest ». Quand on y regarde de plus près, on voit le Texas et la Floride « dériver » hors de l’ancienne « Dixie » pour rejoindre les blocs des deux côtes, la Géorgie et la Virginie suivant doucement le mouvement.

Si les chercheurs se refusent à interpréter leurs données, on ne peut s’empêcher de reconnaître les phénomènes décrits en 1970 par Alvin Toffler dans son Choc du futur, notamment un brassage de population et un effacement des passés. Le Texas, avec son pétrole et son économie florissante, et la Floride, avec ses immigrés hispaniques et ses retraités, illustrent la métamorphose profonde de certains territoires. Ainsi, le Sud, autrefois porteur d’une culture homogène, est en pleine implosion.

Ni la guerre de sécession, ni les deux guerres mondiales n’ont pu réaliser en un siècle ce que les révolutions consumériste, individualiste, sexuelle et médiatique conjuguées ont accompli en à peine deux décennies. Comment donc expliquer cette irruption de violence et surtout l’imaginaire qui lui sert d’arrière-plan ? L’invocation d’un imaginaire sudiste digne d’Autant en emporte le vent par l’auteur des attentats serait un appel vain à une culture en perdition. Quant à la violence elle-même, il faut rappeler que les tueries de masse sont récurrentes et probablement liées à d’autres pathologies profondes de la société américaine. Si Columbine n’est pas Charleston, ces deux tueries ont provoqué un nombre de morts très voisin…

*Photo : WikiCommons

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