Identité française et assimilation. Après la campagne présidentielle d’Éric Zemmour, la guerre des prénoms est relancée assez maladroitement par Gérald Darmanin. Mais comment sommes-nous devenus les champions de la haine de soi?
Interpellé par une sénatrice, notre ministre de l’Intérieur a cru bon de réfuter une « explication identitaire » des émeutes. Les émeutiers, dit-il, ne sont pas spécialement des enfants de l’immigration ; d’ailleurs il est trop tard pour légiférer sur l’immigration puisque les enfants d’immigrés sont déjà là (et après moi, le déluge) ; bien sûr la question de l’assimilation des immigrés est intéressante ; mais attention à ne pas la poser à propos des immigrés, ce serait discriminatoire. Son argumentation rappelle étrangement l’histoire du chaudron : chaudron qu’on n’a jamais emprunté, mais qu’on a rendu intact, et qui d’ailleurs avait déjà un trou lorsqu’on nous l’avait prêté ; modèle de plaidoyer, écrivait Freud, qui obéit au désir de se disculper à tout prix, en dépit de la logique et de la réalité. Mais prenons un instant au sérieux cette nouvelle affaire de prénoms, invoqués par le ministre à titre de preuve de la diversité des inculpés, et cette idée, bizarre au premier abord, d’une assimilation qui ne devrait pas concerner tout spécialement les enfants d’origine étrangère.
Bien que les vidéos ayant circulé aient pu nous convaincre que les émeutes n’étaient pas le fait de supporters anglais, les visages pâles de la “France Insoumise” ont exprimé un soutien si fervent au “désir de justice” des casseurs, pilleurs et assaillants, qu’on peut croire Gérald Darmanin sur parole : la police a bien dû ramasser quelques Kevin et autres Matteo, qui d’ailleurs ne courent peut-être pas aussi vite que Moktar ou Aminata.
Désir d’en découdre plus que de justice
Toutefois, quelles que soient les origines des émeutiers, il demeure certain que leurs coups s’exercent non seulement contre la police ou l’Etat, mais bien contre la France : ils attaquent des commissariats et des policiers, des maires et des mairies ; mais ils menacent aussi la famille des maires et des policiers ; ils brûlent des drapeaux français, détruisent des écoles et des médiathèques, symboles et lieux de la culture française, pillent et ravagent des petits commerces, organes de l’économie française, incendient la voiture de leurs voisins français, voire molestent ces mêmes voisins quand ces malheureux tentent de défendre leur voiture. Dans la déplorable litanie de ces violences et déprédations qui se sont étendues à travers tout le territoire, bien des choses n’ont qu’un très, très lointain rapport avec l’expression d’un quelconque “désir de justice”, mais tout à voir avec le désir d’en découdre avec la France elle-même. Il y a là un désir non de justice mais de la démolir, de l’humilier. Gérald Darmanin a donc tort : l’explication de ce déchaînement de violence passe bien par la question de l’identité de ce pays, par ce qu’il incarne et qu’on veut ardemment brûler. Il serait idiot de nier que l’ouverture à une immigration de masse a contribué à mettre l’identité française en tension ; il serait suicidaire de se boucher les oreilles pour ne pas entendre la haine de la France que crie une partie de cette immigration. Mais Darmanin a raison sur un point : le péril ne vient pas seulement de l’extérieur. A-t-il cru nous rassurer en remarquant que l’échec de l’assimilation était double ?
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À cet égard, les prénoms pris en exemple par le ministre sont révélateurs : Matteo ou Kevin, ce ne sont ni Pierre ni Paul ni Jacques, ni Louis, ni Philippe. Kevin ou Matteo ne sont pas des prénoms plus français que Moktar ou Aminata. Ce n’est pas un crime. Mais comment se fait-il que tant de parents, au moment de nommer leurs rejetons, puisent dans une boîte à fantasmes extra-française ? C’est que la France ne les fait pas rêver. Qu’au fond d’eux ce n’est pas à elle qu’ils voudraient s’identifier, que ce n’est pas en elle qu’ils fondent leurs secrets espoirs. Mais il y a pire que le désintérêt, l’indifférence, le désamour, l’infidélité : une partie des Français de souche excelle dans le triste sport de la détestation de leur propre patrie. Cette passion sinistre est savamment instillée, entretenue voire exacerbée par de larges pans de la classe politique et médiatique, sans compter l’école, qui en est le véritable fer de lance. Des générations de petites têtes blondes et brunes ont appris avec beaucoup d’application que notre Moyen-âge fut obscurantiste, nos rois des tyrans sanguinaires, Napoléon esclavagiste, la France colonialiste, sexiste, raciste et collabo – et plus récemment que son empreinte carbone mène le monde à l’apocalypse. Et puis c’est tout, ou presque, ce qu’ils croient savoir de l’histoire de France. Peu importe que Louis X ait publié par édit que “le sol de France affranchit l’esclave qui le touche”. Peu importe que le premier officier français d’origine africaine, Aniaba, ait été baptisé par Bossuet en 1691 (Roger Little rappelant que le préjugé de couleur n’existe pas à cette époque). Peu importe que la France ait donné l’exemple de la mixité des sexes et de la galanterie. Peu importe que Louis XVI ait tenté les réformes nécessaires, puis refusé de faire tirer sur les émeutiers de la Révolution, parce qu’il n’imaginait pas de massacrer “son peuple”. Peu importe que Joséphine Baker ait aimé la France précisément parce qu’elle y oubliait le racisme américain…
On est les champions !
Mais comment sommes-nous devenus les champions de la haine de soi ? Risquons une hypothèse qui ne sera pas tout à fait une digression. Et commençons par remarquer qu’à rebours des indignations musclées, des condamnations unilatérales de toutes les vilénies de la patrie, on minimise, bizarrement, les horreurs de la Terreur et des guerres de Vendée ; qu’on attribue la répression féroce des Communards aux “Versaillais” plutôt qu’à la “République” ; qu’on oublie que ce fut la gauche qui lança la France dans l’aventure de la colonisation sous les belles couleurs de l’œuvre de civilisation des barbares ; que Jacques Bainville alerta contre la montée en puissance de l’Allemagne et d’ Hitler sans être entendu ; que Laval ou Darlan venaient de la gauche ; que les communistes français soutenaient activement l’occupation allemande jusqu’en 1941 ; ou que “nazi” est la contraction de national socialisme. Que d’amnésies ! Que d’opportuns détournements du regard ! Quel contraste avec le féroce acharnement à ressasser d’autres détails de nos “heures les plus sombres” !
Il semble en définitive que si la gauche n’a pas fait tout de travers, elle a cette fâcheuse tendance, pour faire oublier ses propres démons, à accuser tout ce qui n’est pas elle de tous les maux, quitte à engloutir la France et son histoire dans la boue. On a longtemps ironisé sur la “bonne conscience” de gauche ; mais la litote n’atteint pas ceux qui se repaissent chaque jour d’euphémismes et d’hyperboles ; aussi la gauche feint de ne pas comprendre : comment, s’écrie-t-elle, vous me reprochez de vouloir le bien ? Il eût fallu être plus littéral, plus explicite : c’est “mauvaise conscience” qu’il fallait dire. Mais il n’est même pas sûr que cela suffise à entamer l’armure du déni. Nous en revenons à l’histoire du chaudron.
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Quoi qu’il en soit, l’image de la pilule rouge ou de la pilule bleue, empruntée au film Matrix et à la mode depuis quelque temps pour métaphoriser le réveil politique qui fait passer d’un engagement à gauche à un positionnement plus à droite, dit assez le sentiment d’endoctrinement partisan que l’on éprouve lorsqu’on s’aperçoit, tout bêtement, que les choses sont un peu plus compliquées que ce qu’on avait bien voulu nous faire croire.
Seulement avec tout ça, si la lecture ou la vie ne s’est pas encore chargée de dessiller tant soit peu vos yeux, comment aimer la France ? Et comment avoir envie de s’y assimiler, si on s’appelle Moktar ou Aminata, quand déjà tant de petits Matteo et de petits Kevin ont surtout intégré l’urgence de lui cracher à la figure ?
Redistribution aveugle
Ce n’est pas tout. Il y a le passé, mais il y a aussi le présent, et ma foi, il n’est pas jojo. Certes la France est de gauche, donc elle est généreuse. Elle s’ouvre à tous les vents, et redistribue allègrement la richesse produite par ceux qui y travaillent. Mais une redistribution impersonnelle, abstraite, manque de la chair qui encourage à la gratitude ; surtout, une redistribution aveugle aux fraudes et en partie injuste (prendre à ceux qui n’ont pas les moyens de l’exil fiscal ou de l’optimisation la moitié de la richesse qu’ils produisent pour assurer par exemple la gratuité totale des soins à tout étranger clandestin qui n’a jamais, lui, cotisé pour quoi que ce soit – tandis qu’on est soi-même si mal remboursé de ses soins dentaires – et pendant que Hollande brocarde les “sans dents”… cela paraît quand même beaucoup, même aux mieux disposés), cette redistribution se présente aux yeux de la population lucide, quelle que soit son origine, pour ce qu’elle est : une générosité folle, stupide, dont même ceux qui en profitent méprisent la folie et la stupidité.
Comme la France est de gauche, elle est aussi compatissante : elle a tant à se faire pardonner ! Elle offre donc d’innombrables chances aux délinquants récidivistes de ne plus récidiver avant de s’aviser d’une quelconque répression. Mais cette indulgence coupable ne trompe que les juges qui la pratiquent : cette mansuétude n’a rien de juste, elle est lâche et complaisante avec les coupables, humiliante et révoltante pour les victimes. Qui peut sincèrement aimer et admirer une telle “justice” ?
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La mauvaise conscience, l’absence de discernement, la faiblesse, la couardise sont laides, méprisables, détestables. Bien des Français de souche ou de cœur continuent d’aimer ce pays parce qu’ils connaissent son histoire et ses paysages, et qu’ils espèrent le voir un jour se redresser. Mais les Français de papier, qui ne connaissent ni son histoire ni ses paysages, comment pourraient-ils l’aimer ? Ceux qui la respectent ont bien du mérite, vraiment. Mais que d’autres se réjouissent de la jeter à terre et de la piétiner, il n’y a là rien d’étonnant, compte tenu du petit contentieux de la colonisation, dont nos propres gouvernants entretiennent la plaie en n’en finissant pas de se couvrir la tête de cendres. D’autres colonisateurs, à commencer par les Arabes, n’en font pas tant.
Au-delà de la férocité concrète des émeutiers, d’aucuns accusent les mondialistes progressistes (de gauche, toujours), qui rêvent la disparition des nations, de financer en sous-main tout activiste susceptible de participer à leur sabotage ; d’autres s’inquiètent des organisations islamistes qui avancent leurs pions. Que de partisans de la désintégration française ! Mais d’où que viennent les menaces, il s’agit toujours de savoir qui nous sommes, et de nous faire respecter. Pour cela il faut d’abord se respecter soi-même : tâcher d’être sensé, lucide, juste et ferme. Ne pas s’offrir à des gens qui ne vous veulent pas du bien. Ne pas dilapider l’argent, surtout celui qui vous n’avez pas gagné vous-même. Ne pas faire des risettes à celui qui vous donne des coups de pieds. Défendre l’innocent, mais pas le coupable en feignant de le croire faible. Les symboles de l’autorité ne sont plus rien quand leur contenu s’évanouit. Kevin, Mattéo, Moktar et les autres ont bien exprimé un désir de justice : enivrés mais perdus dans leur sentiment de toute-puissance face à un pays faible et poltron, ils réclament sans le savoir eux-mêmes que quelqu’un leur enseigne les limites qui structurent une société, que quelqu’un leur dise ce qu’est la France, là où ils ne voient rien. Plus ils seront nombreux, moins ils y verront quelque chose. La nature a horreur du vide. La mauvaise conscience nous a déjà fait assez de mal ; il serait temps de retrouver un peu de lucidité, de mesure et de courage.
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