Pourquoi je suis d’accord avec Eric Zemmour au sujet de l’origine des prénoms.
La « querelle des prénoms », déclenchée il y a quinze jours par l’échange houleux entre Éric Zemmour et Hapsatou Sy sur le plateau de « Salut les terriens ! », a suscité en moi un souvenir douloureux. J’ai décidé de raconter cette histoire maintenant dans l’espoir qu’elle alimente le débat au moment où les esprits se sont un peu calmés.
Robert, un prénom familier
Mon frère s’appelait Robert. Quoi de plus ordinaire comme prénom français. Dans mon esprit, le prénom Robert (comme le mien, Pierre) fait partie du paysage qui fut le décor de ma vie. Le village, le clocher, l’école, la langue, les livres, mes parents… Et donc ce prénom, pour moi, était évidemment familier à tout le monde en France. Dans les dernières semaines de sa vie, mon frère fut hospitalisé. Ancien danseur classique, il avait eu des moments de « gloire », une certaine célébrité, au moins familiale. Avec le temps, tout ça était loin. Il vivait seul et je me suis beaucoup occupé de lui, retrouvant en quelque sorte une fraternité de l’enfance.
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Lorsque j’ai fait les démarches à l’hôpital pour qu’il soit admis, j’ai subi un choc affectif inverse de Madame Sy. La secrétaire a bien noté son nom. Mais, pour le prénom, elle me l’a fait répéter deux fois, puis m’a demandé de le lui épeler ! Ce n’est pas seulement qu’elle ne connaissait pas l’orthographe de ce prénom (dans ce domaine on peut s’attendre à tout aujourd’hui) mais il semble qu’elle en ignorait même l’existence. Tout à coup, j’étais propulsé dans un autre monde, éjecté de mon pays, de mes repères. Il existait des gens à qui le prénom « Robert » ne disait absolument rien. Les gens à qui je devais en quelque sorte confier une partie de ma vie, de qui sans doute j’espérais une sorte d’empathie, de confraternité, ces gens étaient étrangers à mon monde. Je ne pouvais rien en espérer, ni en bien ni en mal.
Nous ne parlons plus la même langue
Nous n’étions pas du même monde, nous ne parlions pas la même langue, celle qui est tissée de souvenirs et de références communes. Mon univers familier n’existait plus. Bien sûr, tout ce que mon frère avait pu représenter pour nous, cette dame ne pouvait le savoir, mais sa réaction était comme un effacement rétroactif. Mon univers, mon histoire, ma famille, tout était aboli puisque ce prénom si familier (le terme est vraiment le bon) n’était devenu qu’un mot bizarre que l’on se fait dicter.
Pour reprendre l’aphorisme lacanien « les non-dupes errent » – « le nom du père » -, j’ai le sentiment d’avoir vécu un « non-du » frère. Voilà pourquoi je suis d’accord avec Zemmour. Le remplacement culturel est un déracinement pour les autochtones.
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