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Prenez le bus à impériale avec Claude Rich!

"L’or du duc" de Jacques Baratier, 1965 (DVD Les Films du Paradoxe)


Prenez le bus à impériale avec Claude Rich!
D.R.

Une comédie poétique de Jacques Baratier (1918 – 2009) qui réunit la fine fleur du cinéma français des années 1960 en DVD


Il n’y a pas que King Charles qui circule en bus à impériale à London, Claude Rich conduit le sien à Paris dans « L’or du duc », un film inédit en noir et blanc de 1965 qui ressort en DVD grâce aux soins prodigués par « Les Films du Paradoxe ». Une version restaurée, trouvaille exhumée, résurrection tant attendue, miracle du patrimoine comme le cinéma d’alors pouvait en produire. 


Troubadour existentiel

Entre la comédie musicale et le divertissement lunaire, Claude Rich, toujours aussi altier et funambule, incarne un duc désargenté, pourvu d’une famille nombreuse, dix enfants exactement, qui ne consent pas à travailler pour subvenir aux besoins de ce ménage aristo-bohème. Dans le détachement primesautier, Rich est indépassable d’insolence gamine, il vole sur l’écran, se moque des contingences matérielles, vit sa vie en apesanteur et sourit béatement, confiant dans sa destinée. Ce troubadour de l’existence hérite d’un bus à impériale, autrement appelé bus double decker, de couleur rouge comme il se doit, aussi haut que Big Ben et assez peu maniable dans les rues étroites de Montmartre. Le duc ignore cependant que le bus est en or massif, ce qui suscite la convoitise de certains et tend le ressort comique de ce film parfois chanté, parfois trop écrit, délicieusement rétro et bringuebalant aux accents surréalistes. Paris a revêtu sa blouse grise, le décor urbain et les péripéties de ce voyage intérieur sont propices aux gags visuels, nous sommes au cirque et au music-hall ; le dialogue oscille entre un populisme élégant et une abstraction revendiquée. « L’or du duc » n’entre dans aucune case, c’est pourquoi il doit être vu pour dépoussiérer nos esprits de tant de lourdeurs. Il aurait certainement charmé Jacques Audiberti (1899 – 1965), compagnon de route du réalisateur qui avait adapté son roman La Poupée en 1962. À la mort de l’écrivain, son autre ami Claude Nougaro avait écrit ce quatrain qui résume assez finement la dinguerie qui se dégage de ce long-métrage inconnu des radars télévisuels :

Ensuite, tout le monde débloquait comme lui
c’était le type même qui vous désengage
La vérité du jour explosait dans la nuit
comme un tuyau d’arrosage    

Entre Tati et la nouvelle vague

Le charme de ce film insolite réside dans le choix des acteurs. Un casting fou, populaire et spirituel, virevoltant et émouvant, où chaque vedette vient proposer un mini-sketch et montrer toute l’étendue de son talent. Ça démarre par un Pierre Brasseur déguisé en radja, il joue ici l’oncle fortuné de Claude Rich, sa tête est surmontée d’un turban diamanté, il est libidineux à souhait et férocement drôle lorsqu’il crie « Déshéritons ! Déshéritons ! » à son majordome vénal interprété par un Jacques Dufilho à la mécanique comique aussi huilé que les Bugatti de son garage personnel. Et puis, c’est un défilé permanent d’acteurs pendant 94 minutes, j’ai même cru apercevoir Geneviève Page, non créditée, me semble-t-il. Était-ce un mirage ? « L’or du duc » baguenaude entre le cinéma burlesque de Tati et les soubresauts de la nouvelle vague, on y perd le nord facilement. Claude Rich est accompagné dans cette cavalcade par une mère de famille tout à fait respectable et innocente, aimante et le cœur sur la main. 

L’immense Monique Tarbès, née en 1934, déploie ici une sensibilité mélancolique et un joli brin de voix. Nous pensons souvent à elle depuis qu’elle a tenu le rôle de dame pipi dans « Tendre poulet » de Philippe de Broca, son aplomb parigot et son timbre éclatant sont divins. Font également une apparition fugace : Danielle Darrieux en bourgeoise faussement distante, Christian Marin en gendarme bucolique, Jean Richard en notaire à vélo, Pierre Repp en vendeur de tissus, Annie Cordy en concierge, Noël Roquevert en général à la retraite ruiné, Jean Tissier en liftier ou encore le magnifique Jacques Jouanneau en chiffonnier des faubourgs. Et il y a même Elsa Martinelli aussi désirable qu’un songe d’été. 

L’or du duc de Jacques Baratier – DVD Les Films du Paradoxe



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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