Jeudi 5 juin
Pour assister aux commémorations du D-Day, Bernard Jordan, vétéran britannique de 89 ans, a fait le mur de sa maison de retraite médicalisée. Recherché par toutes les polices du Sussex, il sera finalement localisé le soir même en Normandie, sain et sauf, au milieu de ses camarades du Débarquement.
« J’ai passé un très bon moment ! J’y retournerai l’année prochaine, si je suis encore là… », a déclaré à son retour l’espiègle fugueur du quatrième âge. Une version aussitôt démentie par Mrs McDonald, directrice de l’établissement : « Il est fatigué, il doit reprendre des forces et rester au repos. » Tu parles ! Pour l’ancien officier de la Royal Air Force, qu’importent ses petits problèmes de santé actuels ; il aurait pu mourir là-bas à l’âge de 19 ans !
L’histoire a ému tout le monde, et c’est plutôt une bonne nouvelle ; dans ce monde globalement lobotomisé, chacun garde encore au fond de soi une vague idée de ce que peut être la liberté.[access capability= »lire_inedits »]
Un D-day pas comme les autres
Vendredi 6 juin
Outre le 70e anniversaire du Débarquement, l’événement du jour, c’est la rencontre d’Obama, Poutine et Porochenko, le nouveau président d’Ukraine. Vont-ils se causer, s’ignorer, ou se tomber dans les bras sous l’œil ravi de François ? L’affaire mobilise télés et radios, toutes alignées pour l’occasion sur le modèle BFMTV : retenir le client à tout prix, quitte à meubler les temps morts par tous moyens.
L’exercice, on s’en doute, est plus périlleux encore à la radio. Faute d’image, impossible de laisser le moindre blanc à l’antenne ; sinon, les jeunes zappent et les vieux secouent leur transistor. Le moulin à paroles doit mouliner en permanence, au risque de s’emmêler les hélices.
Ainsi ai-je bien ri, malgré la solennité du moment, en allumant France Info dès mon réveil à 14 heures : « Pour assister à cette cérémonie, ils sont plus de 4000 chefs d’État et souverains à avoir fait le déplacement. » Incroyable ! Toute la galaxie est là, comme dans Star Trek !
Il faut dire que, pour l’envoyé spécial de la station, c’est vraiment le Jour le plus long : il est à l’antenne depuis 7 heures du matin, apprend-on, et jusqu’au soir. Sans compter qu’il fait grand beau et qu’à cette heure-là, ça tape…
La suite du programme, je l’ai suivie d’un œil distrait sur France 2 pendant mon brunch traditionnel, puis en lisant mes émaux et la presse − qui d’ailleurs ne parlait que de ça.
Rien à dire sur la bande-son : que du bon, de Purcell à Phil Glass en passant par Mozart et Ginger Baker. Compliments aussi à la Patrouille de France et aux anciens combattants rebaptisés « vétérans », ce qui, pour le coup, est bien légitime. J’ai moins aimé le discours de Hollande, aussi convenu que compassé. Pour de telles circonstances, Aquilino lui manque déjà, à défaut de Guaino.
Mais le pire, à mes yeux, ce fut la chorégraphie, pataudement pompeuse, outrancière jusque dans ses pudeurs et désincarnée comme un billet de 2 euros. Durant cet interminable ballet kitsch, c’était bon de voir Obama mâchouiller son chewing-gum d’un air désinvolte ! Je me suis senti moins seul.
Jean-Marie Li-Ping, tigre de papier !
Samedi 7 juin
Énième saillie du Pen, à propos des artistes qui refusent de se produire dans des municipalités FN : « On fera une fournée la prochaine fois. » Dans les médias, levée de boucliers machinale, suivie pour la première fois d’un « décryptage » de l’« affaire ».
Mais d’abord, quelle affaire ? Depuis le temps, on devrait être habitué aux provocs de Jean-Marie. La seule nouveauté, c’est que désormais le vieux lion tourne en rond dans sa cage. Mortifié de n’avoir plus l’oreille de sa lionçonne, il pousse des rugissements de plus en plus fréquents ; pas plus tard qu’il y a quinze jours, les amateurs avaient encore relevé sa boutade sur la surpopulation : « Monseigneur Ebola peut régler ça en trois mois ! »
C’est justement ça qui mérite « décryptage », figurez-vous : le passage de témoin entre père et fille. Au terme d’un subtil raisonnement inductif, la presse est unanime pour l’affirmer : le Front national, c’était mieux avant !
Primo, Marine Le Pen n’a pas formellement « condamné » les propos de son père ; elle n’a fait que les qualifier de « faute politique », c’est-à-dire stratégique. Donc, entre eux, il n’y a pas de différence d’idées ; seulement de personnalités.
Jean-Marie, ce brave homme, ne voulait surtout pas accéder au pouvoir ! C’est même pour ça qu’il multipliait les jeux de mots laids dès qu’il s’en rapprochait… Bref, le FN de papa était totalement inoffensif, et Le Pen y veillait personnellement !
Marine, qu’on se le dise, est infiniment plus dangereuse. Non seulement elle aspire vraiment au pouvoir, comme tout le monde, mais sous sa houlette le FN connaît des succès jamais vus. Le vrai péril fasciste, c’est maintenant !
Moi, je veux bien tout ce qu’on veut. Mais si vraiment les médias autorisés savaient depuis toujours ce terrible secret, pourquoi on ne nous a rien dit ? Au lieu de ça, on nous a fait trembler pendant quarante ans devant un fauve de plastique, et c’est seulement maintenant qu’il faudrait commencer d’avoir peur ? Je ne suis pas sûr d’y arriver.
Hommage énervant
Lundi 9 juin
Sortie de l’album-hommage-catastrophe La Bande à Renaud. Le pauvre ne méritait pas ça, surtout de son vivant ! Quatorze de ses titres revisités par quinze artistes, et pas n’importe lesquels. Pour reprendre les textes anars du « chanteur énervant » voici entre autres Carla Bruni, Nicola Sirkis, Raphaël et Bénabar… Et pourquoi pas Noah, Mika et Patrick Sébastien ?
Mais c’est Cœur de pirate qui décroche le pompon en s’attaquant à la plus belle chanson de Renaud, Mistral gagnant, qu’elle vide consciencieusement de son âme. Un petit chef-d’œuvre d’émotion délicate interprété par une limande-sole… Au secours !
De toute façon, comme dit le sage Bénabar, « personne ne peut chanter les chansons de Renaud mieux que Renaud. Elles sont intimes ». Mais alors, pourquoi vouloir faire moins bien à tout prix ? Parce que le prix est bon, justement, et l’affaire essentiellement commerciale.
Le pire, je l’apprends sous la plume du rock critique Charles Gautier dans « Le Plus » du Nouvel Obs : Renaud lui-même est complice ! « Il a été actif sur ce projet, il a même choisi les interprètes » et, selon un de ses musiciens, « il est fou de joie ».
« Fou de joie », vraiment, le mec qui déclarait récemment à TV Magazine : « Je suis lessivé, je m’étiole. Ce putain d’ennui m’empêche d’écrire et le manque d’inspiration me fait flipper » ?
Gautier a une autre piste : « Et si Renaud n’avait pas eu le choix ? » C’est qu’il doit encore par contrat deux albums à Universal. Là, ça en fait déjà un ! Et pour peu que ça marche, boum : on balance un vol. 2, et le tour est joué !
Si c’est ça je comprends, à défaut de pouvoir approuver cette entreprise d’auto-salopage. Simplement, pour ceux qui aiment vraiment l’ami Séchan et les albums de reprises, je conseillerais plutôt Renaud chante Brassens.
Valls visionnaire
Samedi 14 juin
Manuel Valls : « La gauche peut mourir ! »
On est bien d’accord.
Les paras au champ-de-mars
Samedi 21 juin
Fête de la musique ! À titre exceptionnel, j’ai décidé d’aller voir ça au Champ-de-Mars. D’abord, figurez-vous, c’est à deux pas de notre futur ex-logement de la Ville de Paris à siège éjectable. (Ah, je n’ai pas fini de le regretter, ce « luxueux HLM avec vue imprenable sur la tour Eiffel », comme disait Libé dans son langage d’agence immobilière véreuse.)
Mais ce qui m’a décidé en vrai, c’est le programme : « Les Armées fêtent la musique ». L’espace d’un soir, 200 musiciens de toutes armes ont délaissé leur répertoire traditionnel pour un « walk on the civil side » : variétés, pop et même rock ! Le tout accompagné d’un « show laser » sur la façade de l’École militaire, « présentant ce haut lieu militaire parisien sous un angle différent ». Alléchant, non ?
Six heures de spectacle en tout… mais c’est que j’ai une chronique à boucler, moi ! J’ai donc choisi la séquence binaire, celle que je préfère. En garant mon vélo, avant même d’apercevoir la scène, je suis déjà plongé dans une ambiance mili-mais-cool : « Bonsoir ! Nous sommes l’orchestre des parachutistes de Toulouse ! » dit la voix du leader de ce rock band pas comme les autres… « Et tout de suite, un petit medley des années 80 ! »
Ici, pas de déguisements à la Shaka Ponk, le look est plutôt uniforme : nuque courte, chemise blanche à épaulettes et cravate noire sur pantalon beige. L’essentiel, c’est que musicalement, ils assurent, les bidasses.
Sur le plan visuel, la bombe explosera aux premiers riffs de Hot Stuff. Soudain, surgit sur scène une sous-off fatale qui nous balance une version épicée de la chanson des Stones, à faire regretter la carrière des armes… Allez, il y a encore de la belle jeunesse !
François contre mafia
Dimanche 22 juin
En visite en Calabre, le pape condamne solennellement, devant 250 000 fidèles, la ‘Ndrangheta, synonyme d’« adoration du mal et de mépris du bien commun ». « Ne les laissez pas vous voler l’espoir, s’exclame-t-il. Les mafieux ne sont pas en communion avec Dieu ! Ils sont excommuniés ! »
Par un apparent paradoxe, trois mois plus tôt, François tenait, dans une homélie au Vatican, un tout autre discours. C’est qu’il s’adressait là personnellement, paternellement, aux mafieux et à leur (éventuelle) conscience : « Il n’est pas trop tard pour éviter l’enfer […] Vous avez un papa et une maman ! Pensez à Dieu, pleurez un petit peu et convertissez-vous ! » C’est pas mignon, ça ?
L’Église du Christ condamne le péché, mais elle ne veut pas la mort du pécheur. La vie éternelle, c’est à la carte : on se juge soi-même, et il n’est jamais trop tard pour se repentir. Reste qu’on imagine mal, dans Les Affranchis, Joe Pesci, Ray Liotta et De Niro tombant soudain à genoux dans un sincère acte de contrition… C’est qu’ils n’ont pas vu la fin du film.
Impressions de Rio
Mercredi 25 juin
Équateur-France (examen d’entrée en huitièmes.)
Depuis deux ou trois ans, par glissements progressifs, notre fils est devenu un fanatique de football. D’abord il y eut l’abonnement à BeinSport, puis un deuxième abonnement à Canal, rien que pour la chambre de Monsieur. Muni de ces deux pass, Bastien fait régulièrement profiter toute la maisonnée de ses cris de joie ou de dépit – sans parler de ses recommandations aux joueurs et admonestations aux arbitres.
Du coup, il m’a fallu apprendre quelques rudiments (théoriques, et même pratiques) de ce sport pour garder un sujet de conversation avec lui, en attendant qu’il vienne spontanément me questionner sur la place du nonsense dans ma Weltanschauung.
Bien sûr, l’obnubilation footistique de mon fils n’a fait que s’aggraver avec la Coupe du monde ; ça, même moi je peux le comprendre. Autant l’intérêt du mercato globish entre clubs vendus et joueurs achetés m’échappe totalement, autant, dès que la France s’approche vaguement de la finale, je déroulède le drapeau !
Tel que vous me lisez, j’étais sur les Champs le soir de la victoire de 98, comme Fabrice à Austerlitz. Tout le monde était content et, sans aller jusqu’à reprendre en chœur « Et ils sont où, les Brésiliens ? », j’ai trouvé cet unanimité patriotique plaisante, quoique vaguement superficielle.
Bastien, c’est le contraire ! C’est ce sport qu’il aime d’abord, avec le cas échéant une préférence pour la France, ou l’OL ou le PSG dans d’autres circonstances. Et si par hypothèse les Bleus n’allaient pas jusqu’en finale, je gage qu’il aurait tôt fait de les oublier pour « supporter » un autre pays, le traître !
En attendant, depuis le début de la Coupe, c’est un bon patriote : à chaque match où la France est engagée, il va le voir avec ses amis dans un bar spécialisé du quartier, pour profiter de l’ambiance. Il a bien raison ; chez nous, ces soirs-là, c’est plutôt calme. Entre deux buts historiques, aimablement signalés avant le replay par les hurlements des voisins, chacun vaque à ses occupations. Frigide téléphone à son ordinateur, Constance regarde Devious Maids, et moi je vous écris… Qui perd son temps ?
Ce mercredi donc, avant que Bastien n’aille au troquet avec ses potes, je lui demande son analyse de la situation ; je la lui fais même répéter, le temps de noter en attendant de comprendre : « L’équipe de France ne peut être éliminée ce soir que si elle perd par 4 buts d’écart face à l’Équateur, et que dans le même temps la Suisse bat le Honduras par 5 buts d’écart. »
Sur le coup, je suis bluffé : mon fils n’a jamais aussi bien parlé ! Mais c’est aussi la première fois qu’il lit un quotidien et, question culture, L’Équipe vaut bien Le Monde.
Si j’ai bien compris, sauf catastrophe, les Bleus ne risquent pas grand-chose ce soir. Analyse confirmée par les commentaires a posteriori des foutologues d’iTélé ; d’après eux, c’est même cette absence de pression qui explique que nos gars ne se soient pas donnés à fond (Vous avez vu comme je progresse vite ?).
Bien entendu, je n’ai pas manqué d’interviewer mon fils dès son retour du Moka :
– « Alors, 0-0 contre l’Équateur, tu en dis quoi ?
– L’important, c’est qu’on soit qualifiés, et premiers du groupe…
– Pas de regrets quand même ?
– Oh si ! On a eu des tas d’occasions de la mettre au fond, mais on n’a pas réussi à concrétiser… »
Bien sûr, je n’ai rien dit à Frigide.
Mauvais anniversaire!
Samedi 28 juin (1914)
Assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois et premier mort de la Première Guerre mondiale.
14-18 ? Une effroyable et absurde guerre civile européenne, qui se soldera par la sortie de l’Histoire de notre Vieux Continent. L’ami Zemmour l’a lui-même écrit ; ça ne l’empêche pas, dans une récente chronique du Fig Mag, d’emboucher la trompette patriotique pour rendre hommage à « ces millions d’hommes qui ont accepté le sacrifice suprême […] pour défendre leur civilisation, leur art de vivre, celui que leur avaient légué leurs ancêtres. »
Si c’était ça le but, c’est raté, et Éric le sait aussi bien que moi. Sans la « Grande Guerre », pas de bolchévisme, de fascisme, de nazisme ni de Deuxième Guerre mondiale, comme son nom l’indique. La nostalgie a des limites.[/access]
*Photo: Alain ROBERT/APERCU/SIPA.00684058_000026
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