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Premier tour des élections législatives: le chant du cygne du moment macroniste

Même la mécanique bien huilée du "front républicain" contre le RN semble cassée


Premier tour des élections législatives: le chant du cygne du moment macroniste
© Adrien Fillon/ZUMA Press Wire/Sh/SIPA

Jusqu’où le RN peut-il monter ? La question inquiète les sortants au point que des rumeurs de tractations secrètes circulent concernant une éventuelle et inédite coalition. Au lendemain du premier tour, Emmanuel Macron n’est même pas parvenu à imposer une position claire sur la question des désistements à son propre camp. Analyses.


En dépit d’une résistance partielle en nombre de voix, nous avons assisté à l’écrasement du bloc présidentiel qui a été pris entre l’impitoyable marteau de la droite incarnée par le Rassemblement national et l’enclume de la gauche. Confus et déconnecté, le macronisme finit recroquevillé sur ses bases les plus réduites, concentré dans la France du granite chère au politologue André Siegfried. Cette dissolution précipitée voulue par Emmanuel Macron aura réduit son action à un septennat, forme de retour à la normale historique de la Vème République, car le président ne peut plus l’emporter. Tout juste peut-il encore essayer d’empêcher son adversaire du Rassemblement national d’obtenir une majorité absolue, qui, si elle ne lui est pas encore acquise, lui tend plus que jamais les bras… Les enseignements d’un scrutin historique.

Le Rassemblement National et la gauche LFIsée : les seuls à avoir encore des baronnies locales

Dans un contexte de polarisation de la vie politique, le scrutin majoritaire à deux tours favorise les offres politiques les plus marquées au premier tour. On a pu le constater avec les élections de 38 députés du Rassemblement national le 30 juin au soir, parmi lesquels se trouvaient de nombreux cadres connus du parti bénéficiant de la mention « vus à la télé ». Citons notamment des personnalités médiatiques comme Marine Le Pen elle-même, Sébastien Chenu, Laure Lavalette ou encore Julien Odoul. Le Rassemblement national dispose désormais d’une série de fiefs d’où il est indéboulonnable. Majoritairement situés dans le nord, le nord-est et le sud-est du pays, ils sont aussi présents en Gironde avec Edwige Diaz, en Occitanie avec Nicolas Meizonnet ou Aurélien Lopez-Liguori. Ces baronnies sont autant de points d’ancrage et de progression pour la formation menée par Jordan Bardella, irradiant sur les territoires limitrophes.

Une même réflexion peut être formulée à l’égard de La France Insoumise qui dispose de circonscriptions extrêmement fidèles, quasiment toutes comprises dans les banlieues parisiennes dites « rouges ». Les cadors de La France Insoumise, proches de Jean-Luc Mélenchon, ont pour la plupart déjà validé leur ticket pour le Palais Bourbon, à l’image de Sébastien Delogu, Clémence Guetté, Danièle Obono, Carlos Bilongo ou Bastien Lachaud. Ce fut bien plus difficile pour les sbires candidats à leur réélection dans des circonscriptions rurales ou périurbaines. Une personnalité importante telle que celle de Fabien Roussel, actuel dirigeant du Parti communiste, en a fait les frais. Gagnant in extremis en 2022 dans une circonscription du Nord qui place Le Pen en tête à tous les scrutins nationaux depuis 2012, le communiste a été sèchement éliminé dès le premier tour par Guillaume Florquin du Rassemblement national. Dans une enquête publiée par Libération[1], le témoignage d’un habitant indique bien ce qui a présidé au choix des électeurs de la 20ème circonscription du Nord : « J’aurais bien voté Roussel, c’est communiste depuis 60 ans ici. Mais je n’aime pas les gens de LFI quand ils parlent, ils sont agressifs et vulgaires, à la limite du manque d’éducation ».

Dans la première circonscription de la Somme, François Ruffin a pareillement fait les frais de la stratégie communautariste et agressive de La France Insoumise. En ballotage défavorable derrière Nathalie Ribeiro-Billet, le porte-parole de Picardie Debout est une de ces victimes collatérales de la fuite en avant mélenchoniste qui continue de profiter au Rassemblement national, bien installé dans les anciennes circonscriptions ouvrières de la gauche en rassemblant d’anciens électeurs de la gauche modérée, du Parti communiste, mais aussi du centre et de la droite. Un tour de force qui a commencé entre 2007 et 2012 et qui atteint aujourd’hui son plein potentiel, dans le nord comme dans certains départements du sud (Hérault, Gard et Vaucluse).

Des revers de fortune du scrutin majoritaire à deux tours : un « front républicain » inefficace et anachronique ?

Longtemps cruel pour le Rassemblement national, le scrutin majoritaire à deux tours pourrait devenir son principal atout. En 2022, déjà, le parti de Marine Le Pen avait surpris en faisant élire 88 députés sous ses couleurs, bénéficiant notamment d’importants reports de voix des électeurs centristes dans les duels l’opposant à des candidats de LFI, mais aussi du découragement d’une partie des électeurs de gauche quand il leur était sommé de voter pour des candidats sortants de la majorité honnie. Cette énorme progression avait d’ailleurs empêché Emmanuel Macron d’obtenir une majorité absolue, conduisant deux ans plus tard à la situation que nous connaissons présentement. Avec la participation en hausse, le Rassemblement national est passé de 4.248.626 voix en 2022 au premier tour des élections législatives à 10.628.312 voix – en incluant les candidats présentés par Éric Ciotti – en 2024. En regardant dans le détail des circonscriptions, il n’est pas rare de trouver des candidats qui ont littéralement triplé leur score de 2022, passant par exemple de 7 000 électeurs en leur faveur à 21 000 dès le premier tour. C’est une performance colossale qui indique la mobilisation fervente des électeurs de ce bloc, mais aussi l’arrivée d’anciens abstentionnistes et d’électeurs du centre et de la droite. Le Rassemblement national est donc un vote porteur d’espoir pour un tiers du corps électoral, considérant par ailleurs qu’il a encore des réserves puisque Marine Le Pen avait enregistré plus de 13 millions de voix au deuxième tour de l’élection présidentielle 2022.

De l’autre côté, la gauche a aussi progressé du fait de la participation accrue. Elle passe ainsi de 5.826.202 suffrages exprimés à 8.974.463 sous son incarnation actuelle du Nouveau Front Populaire, et ce en dépit d’immenses dissensions qu’elle exhibe constamment au public depuis trois semaines.

Emmanuel Macron à Paris, le 20 juin 2024. © Dylan Martinez/AP/SIPA

Quant à la majorité dite présidentielle, elle « gagne » quelques électeurs, ou disons plutôt qu’elle en perd moins que prévu avec une participation en hausse, puisqu’elle compte 6.425.525 voix contre 5.857.561 en  2022. Dominé par la gauche, le bloc présidentiel se retrouve donc en fâcheuse posture dans de nombreuses circonscriptions, régulièrement troisième des triangulaires avec le Rassemblement national en tête et le Nouveau Front Populaire en seconde position – par ailleurs souvent représenté par un candidat insoumis, ce qui complexifie encore grandement leur tâche.

Reste que le « danger » de la situation, qui voit le Rassemblement national très près d’obtenir une majorité absolue, a fait réviser les plans d’un camp présidentiel écrasé dans un étau. Ainsi, la doctrine du « ni-ni » qui aurait très sûrement prévalu avec un bloc de droite moins puissant est désormais remplacée par une stratégie de désistement généralisée afin de diminuer le futur contingent de députés du Rassemblement national. Quasiment tous les candidats du bloc présidentiel arrivés en troisième position se désisteront si le Rassemblement national est en mesure de gagner, sans même un regard pour l’identité et les idées des candidats du Rassemblement national auxquels la gauche sera confrontée. Il faut bien dire qu’Emmanuel Macron avait très mal calculé son coup. Il est fort à parier que lui et ses conseillers ont jugé que la gauche partirait désunie sans La France Insoumise avant de dissoudre, ce qui aurait mécaniquement augmenté le nombre de ballotages favorables au camp présidentiel qui avait en 2022 plus de chances de l’emporter contre le Rassemblement national que n’en avait la gauche. Dans des départements comme l’Isère, par exemple, on constate que la majorité augmente en voix par rapport à 2022 (bien moins que le RN qui dans ce type de circonscriptions double ou triple) et se retrouve troisième de peu derrière la gauche, avec souvent des Républicains à 6 ou 7 points. En fait, le pari d’Emmanuel Macron aurait pu réussir si le NFP n’avait pas été jusqu’à La France Insoumise et s’il avait mieux négocié son coup avec Gérard Larcher. Le niveau d’impréparation des « stratèges » élyséens est, à dire vrai, assez comique.

Car, rien n’indique que leurs électeurs se reporteront sur la gauche dans le cadre de duels avec le Rassemblement national. Au contraire, dans certains territoires où le centre est sociologiquement de droite, le rejet d’une gauche extrémiste qui a, selon les propres mots des proches du président de la République, « bordélisé » la France durant deux ans, est immense. Comment expliquer à un électeur lambda du centre que Madame Laure Lavalette est plus « dangereuse » pour ses intérêts bien pensés que Monsieur Louis Boyard ? C’est totalement absurde. Si à gauche, les électeurs suivent généralement les consignes, en dehors d’une partie de l’électorat insoumis et trotskiste qui en toute logique marxiste ou complotiste ne fera pas de différences entre les partis soumis selon eux à la « bourgeoisie », les électeurs dépolitisés de l’astre mort macroniste n’auront sûrement pas ce type de préventions dans toutes les circonscriptions qui n’ont pas une culture politique foncièrement hostile au parti de Jordan Bardella.

Et ce d’autant plus que le facteur local a très peu joué dans ce scrutin du 30 juin. Les électeurs s’étant en moyenne déterminé à 75 % selon des critères de politique nationale, comme l’indique un sondage Harris. De quoi mettre en danger d’éminentes personnalités politiques comme Charles de Courson, Laurent Wauquiez ou Emmanuelle Ménard.

Le Rassemblement national aura-t-il une majorité absolue ?

« Aucune voix ne doit aller au Rassemblement National ! », a indiqué Loïc Signor, ancien journaliste de CNews et candidat malheureux aux législatives face à Louis Boyard, dans une vidéo. Est-ce là le fond d’une pensée ou un mouvement tactique ? Possiblement les deux. Mais surtout de la tactique. Le macronisme joue ici sa survie politique. Tous aux abris est en réalité le maître-mot, et quoi de mieux que d’agiter une menace fasciste théâtrale pour sauver quelques dizaines de sièges capitaux pour ne pas perdre la main sur Matignon, quitte à défaire les promesses d’hier et les accusations formulées contre La France Insoumise ? Ce n’est donc pas que la « peur » qui aura motivé 208 candidats (127 du NFP et 75 d’Ensemble) à se désister, mais bien l’idée qu’il ne faut pas donner les clés du pouvoir à l’union de la droite menée par le Rassemblement national, de peur qu’il ne les rende pas…

L’outrance est telle que des rappeurs ont diffusé un morceau dévoilant leur fond de pensée où, entre hommages appuyés à Kadyrov et Poutine, dénonciation des « Francs-maçons » derrière le Rassemblement national, et autres insultes lancées à Marine Le Pen, ils appellent au « barrage » contre les « racistes ». Comment des gens du centre droit et même de la gauche modérée, parfois appartenant à des loges du reste, font-ils pour assumer sans suer pareils soutiens conspirationnistes et rétrogrades ? Se rendent-ils compte qu’ils représentent les véritables idées des électeurs qui ont fait élire au premier tour quelqu’un comme Monsieur Delogu ? Quand on dîne avec le diable, il faut se munir d’une longue cuillère. La France Insoumise sera pour très longtemps le boulet du camp qui se prétend celui de la « raison », effrayant à juste titre les honnêtes gens. Même ceux qui sont peu enclins au soutien envers le Rassemblement national feront un choix, et le plus souvent au détriment de cette gauche extrême.

Il s’agit, concernant le centre, d’une vision à très courte vue. De fait, il n’est absolument pas garanti que les électeurs suivent ces injonctions qui les agacent de plus en plus fortement. Ensuite, si tant est que la manœuvre fonctionne, en dépit de son caractère outrancier, il est aussi possible qu’elle ne fasse que courroucer encore plus fortement les Français à long terme. Les électeurs du Rassemblement national auront la légitime impression d’avoir été bernés et pourront considérer que leur vote leur aura été confisqué. Cela aura pour conséquence de renforcer leur détermination mais aussi peut-être demain de leur agréger de nouveaux électeurs sortis de l’abstention, surtout si le gouvernement issu de ce « Front populaire » improvisé et plus opportuniste que jamais se désagrège rapidement du fait de ses contradictions internes et n’agit pas sur les problèmes qu’a relevés la formation de Jordan Bardella. Puisqu’il sera sûrement de centre-gauche, dans une telle hypothèse, il y a fort à parier que ce soit le cas. En outre, les électeurs les plus sensiblement politisés du centre et de la gauche pourraient être dégoûtés et eux-mêmes finir par plonger dans l’abstention de longue durée. La suite au prochain épisode ! On peut en tout cas d’ores et déjà tirer notre chapeau à Emmanuel Macron.


[1] https://www.liberation.fr/politique/a-saint-amand-les-eaux-fabien-roussel-et-le-dernier-bastion-communiste-du-nord-emportes-par-la-vague-du-rn-20240701_FD22ZESKMBHHLI2NIHNNLYNUVI/



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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