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Premier ministre, un sacré bon job


Premier ministre, un sacré bon job

Quatre semaines durant, France 5 nous propose tous les lundis à 20 h 35 une visite (aller-retour, heureusement) dans « L’Enfer de Matignon ». Une série documentaire de Raphaëlle Bacqué et Philippe Kohly, dans laquelle douze Premiers ministres – y compris l’actuel – nous racontent leur expérience «infernale».

Relations forcément conflictuelles avec le Président et même avec son gouvernement ; pressions de la rue, de l’opinion et surtout des médias… Bref, un métier de chien – que tous s’accordent à qualifier plus élégamment de «fonction la plus difficile de la République».

Mais alors pourquoi donc accepter cette « fonction sacrificielle » (Cresson), cet « enfer gestionnaire » (Rocard), cette « machine à broyer » (Raffarin, ou ce qu’il en reste après broyage).

En deux phrases, Balladur, qui sait de quoi il parle, résume subtilement le paradoxe du Premier ministre de la Ve : « Il faut vraiment une âme d’apôtre, voire de martyr, pour accepter de jouer un rôle pareil. Moyennant quoi, je n’ai jamais entendu dire que qui que ce soit ait refusé. » Rien que pour cette délicieuse litote je souhaiterais, avant de mourir, prendre au moins avec Edouard Balladur un thé (léger).

De fait, l’enfer de Matignon ressemble à celui de ma religion : on y entre par « libre choix » (Catéchisme abrégé de S.S. Benoît XVI, Cerf, 2005 ; 1ère partie, deuxième section, chapitre II, #212), et même « en pleine autonomie » (ibid, #213).

Pourquoi ? Parce que La nature humaine est ainsi faite : qui n’a pas besoin de son hochet, de sa béquille ou de sa drogue (amour, gloire, beauté, blé ? ) Pour un homme de pouvoir, difficile de résister à la tentation d’en avoir toujours plus. Même si en l’occurrence, comme le montre ce documentaire, une nomination à Matignon ressemble le plus souvent à une promotion-sanction, voire à un limogeage au sens militaire du terme. Depuis Georges Pompidou, combien sont-ils, parmi les anciens Premiers ministres, à avoir transformé l’essai en atteignant leur but, c’est-à-dire celui de tous les vizirs : être calife à la place du calife ? Zéro ! Ou plutôt un, le seul précisément qui ait refusé de témoigner : Jacques Chirac. Bref, il peut parfois arriver que l’enfer de Matignon mène au Paradis élyséen – mais autant jouer au loto.

Ce doc n’en est pas moins passionnant, par ce qu’il nous donne à voir du microcosme politique et de sa violence (pouvoir et ambitions, fidélité et trahisons). Et puis, au fil des épisodes (il en reste deux, que je ne saurais trop vous recommander), on découvre qu’il y a quand même plusieurs séjours dans cet Enfer-là.

Le plus doux – et le plus rare – est bien sûr celui où règne, entre le Premier ministre et son mentor élyséen, une sorte d’«Entente cordiale» dépourvue d’arrière-pensées (ou presque, comme dans l’Autre).

Tel fut le cas des couples Barre-Giscard, Fabius-Mitterrand et Juppé-Chirac. Malheureusement, à y regarder de plus près, ce genre d’idylle finit mal en général : dans les pleurs et les grincements de dents de naufrages électoraux.

Deuxième cas de figure : le président aime bien son Premier ministre, O.K., mais comme on aime un fusible : quand il saute, on le remplace sans état d’âme excessif. Tels furent notamment, sous Mitterrand, les sorts de Mauroy et de Cresson, sans parler de Bérégovoy.

Pour ceux d’entre vous qui ont connu la série télé Mission impossible, la comparaison s’impose : « Bien entendu, si vous échouez, nous nierons avoir eu connaissance de vos agissements. »

Et puis il y a le « baiser de la mort » : je t’embrasse pour mieux t’étouffer (Mitterrand avec Rocard), je t’invite… à te faire manger tout cru (Giscard avec le petit chaperon Chirac, heureusement bien chaperonné à l’époque).

Enfin il y a la fameuse cohabitation, bombe à retardement des institutions de 58 modifiées 62. Là au moins, les choses sont claires. Entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement, pas de querelle larvée : c’est la guerre ouverte ! Chirac-Mitterrand (86), Balladur-Mitterrand (93), Jospin-Chirac (97)… Qu’ils le veuillent ou non, aussi courtois soient-ils, ces gens se retrouvent de par leur fonctions respectives dans la situation du duel de western : « Hey, cowboy ! Cette ville n’est pas assez grande pour nous deux ! »

Reste à savoir où classer l’expérience Fillon-Sarkozy. En attendant que l’Histoire tranche, je dirais au jugé : sans doute un peu dans les trois premières catégories, compte tenu des variations saisonnières. Et même dans la quatrième catégorie, tout bien réfléchi ! Avec cette pléthore de ministres socialistes, ne dirait-on pas un gouvernement de cohabitation ?



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