Au creux de l’été, pendant l’entracte du remake de Un Éléphant, ça trompe énormément qu’a offert DSK au monde, les marchés − cela n’a pas pu vous échapper − se sont invités dans l’actualité, et pas qu’un peu. Nasdaq, Nikkei, CAC 40 se sont littéralement personnifiés. En plein mois d’août, ils ont arbitré, reculé, plongé et finalement dégringolé quinze jours d’affilée… Il n’y en a alors plus eu que pour eux : on guettait leur réveil à Tokyo, on les bordait à leur coucher à New York, on leur prenait le pouls toute la journée, on a tout fait pour les convaincre, les rassurer, on a prié pour que leur état s’améliore. Tocsin de rigueur et mini-sommet franco-allemand, rappel de troupes ministérielles au trot. Obama et Sarko ont même ressorti le téléphone rouge pour s’appeler la nuit et parler traitement de cheval.[access capability= »lire_inedits »] Toute cette sollicitude pour le symbole aveugle et sans âme de la finance mondialisée, beaucoup de bruit pour des marchés que l’argent public a déjà repêchés en 2008 car souvenons-nous qu’en renflouant les banques, ce sont bien aux marchés qui, via la titrisation, avaient permis aux dettes pourries de croître et de se multiplier, qu’on sauvait la mise.
Les avisés donneurs d’avis rappelés d’urgence des plages pour passer dans le poste nous rebattent les oreilles avec la « volatilité » de ces divins marchés. Si le terme boursier évoque le vol fantasque et poétique de l’oiseau en liberté, le dictionnaire indique mieux la fumeuse réalité : la volatilité est le « caractère de ce qui se transforme facilement en vapeur ».
Ce qui crève les yeux dans les mesures adoptées en urgence pour rassurer nos nouveaux maîtres, c’est le soin tout particulier pris par le gouvernement pour épargner le citoyen moyen, celui-là même qui, en 2008, réglait l’addition tout en servant d’alibi, puisque c’est soi-disant son épargne que l’on préservait en comblant le déficit du système financier avec l’argent public.
Les marchés n’ont pas fini de nous faire marcher et ce n’est malheureusement pas qu’un jeu de mots à 2 euros. L’austérité qui nous est infligée au retour des bains de mer n’a qu’un objectif : promettre aux marchés financiers un retour aussi rapide que possible à la croissance dont ils se repaissent. Mais, à supposer qu’elle ne soit pas au rendez-vous, qu’est-ce qui les empêchera de nous refaire une syncope ? Et d’exiger que, par de nouvelles mesures, on sacrifie cette fois le citoyen moyen sur l’autel de leur avidité ?
La croissance et le marché ont en commun de mesurer bêtement une agitation. La première mesure l’activité, qu’importe l’activité pourvu que ça s’active, le second un volume d’échanges, qu’importe ce qu’on échange pourvu que ça s’échange ! Aucun dirigeant politique ne semble s’apercevoir du fait que cette agitation s’opère désormais au détriment de la collectivité, livrant les citoyens à un piège fatal : soit la croissance les précarise et détruit leurs emplois, soit l’austérité les étrangle.
Entre la politique et la finance, il n’y a pas affrontement mais alliance
Il est abracadabrantesque que des États qui réagissent au quart de tour quand ils sont mis devant le fait accompli de la finance en déroute n’exigent rien en contrepartie et, sans même parler de sanction, ne mettent en œuvre aucune mesure convaincante pour contenir leur boulimie galopante et réglementer ou encadrer ce grand jeu de Monopoly mondialisé.
Dans les médias, on fait dans l’offuscation résignée : « Le pouvoir politique a perdu contre le pouvoir de l’argent ». En somme, la finance se serait payé la démocratie. Or, ce sont plutôt les démocraties qui ont payé pour que la finance puisse continuer sa partie. Il est étrangement naïf ou bien pernicieux de postuler que ces deux pouvoirs sont ennemis. Comme si les politiciens étaient par nature plus proches des intérêts de la masse de ceux qui les ont élus que des intérêts particuliers de ceux qu’ils côtoient tous les jours. En réalité, s’ils savent exhiber leurs muscles pour dégommer un régime encombrant ou leur belle union au moment de sauver l’outil du capital, face à leurs homologues de la finance, ce n’est pas le pouvoir qui leur fait défaut mais la volonté. Aussi ne faut-il pas tant espérer un bras de fer entre eux que se méfier de leurs alliances objectives et de leurs ententes tacites.
Les racines financières du mal restent intactes et, cette fois, le message adressé aux marchés et aux citoyens est encore un peu plus clair : le contribuable est à la disposition du lobby financier, non seulement comme main d’œuvre malléable – ça, on le savait – mais aussi désormais comme caution solidaire. Enfin, façon de parler.[/access]
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