La crise est devenue un marathon. Qui va craquer le premier ?
La guerre en Ukraine entre déjà dans sa troisième semaine. Or, si concernant les précédents conflits dans cette région, on parlait du général Hiver, aujourd’hui, il faut parler des deux autres : les généraux Horloge et Calendrier. La question est maintenant l’endurance. Par ailleurs, nous disposons enfin d’informations concernant la Chine et la manière dont ses dirigeants voient la situation.
Après que l’armée russe ait engagé la quasi-totalité des forces qu’elle avait concentrées près de l’Ukraine à la veille de la guerre, le rapport de force purement numérique entre armées russe et ukrainienne n’est pas particulièrement en faveur des Russes. Ce fait est probablement l’une des raisons expliquant la lenteur de l’avancée russe sur tous les fronts.
Pause tactique, beaucoup de pertes humaines
Selon les informations disponibles, ces derniers jours, les Russes n’avancent presque plus. Il semblerait qu’ils consacrent de plus en plus de moyens à la sécurisation de leurs lignes de communication et plus généralement à l’amélioration des performances de leurs échelons logistiques. Il s’agit donc, en toute probabilité, d’une « pause » tactique imposée aux Russes par le déroulement inattendu des opérations (de leur point de vue). Rien ne corrobore en revanche la thèse selon laquelle l’opération russe se déroule en général comme prévue ou que son rythme indique une volonté d’épargner les vies et les infrastructures ukrainiennes.
Quant aux pertes, les chiffres ukrainiens (12 000 soldats russes morts au combat) semblent largement exagérés et l’information publiée par l’Etat-major russe (plusieurs centaines de morts) parait elle aussi très peu fiable. Les Britanniques et les Américains avancent le chiffre de 5000 ou 6000 morts côté russe, et d’à peu près la moitié côté ukrainien. C’est beaucoup (les guerres en Afghanistan ont couté à l’armée rouge 26 000 hommes en dix ans et à la coalition menée par les États-Unis 3 500 morts en vingt ans), mais pour le moment ces pertes n’affectent qu’à la marge la capacité des deux armées à se battre. En revanche, les pertes russes pourraient avoir un effet sur l’opinion publique dans ce pays un peu plus tard et avec des conséquences qu’il est impossible à prévoir.
Une guerre qui pourrait durer
Le Pentagone a annoncé le déploiement des deux batteries sol-air Patriot à Rzeszów, ville située à l’est de la Pologne, non loin de la frontière ukrainienne, sur la route reliant Lviv. L’aéroport de cette ville polonaise joue un rôle important dans l’effort de l’OTAN pour aider l’armée ukrainienne. Et les photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux nous apprennent que des armes inconnues précédemment dans l’arsenal ukrainien – notamment des missiles anti-char – font leur apparition sur le champ de bataille. De ce côté-là, la logistique a l’air de marcher.
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L’Ukraine ne s’est pas écroulée. Ses forces armées résistent si bien qu’elles ont déjà imposé aux Russes une autre guerre, très différente de celle qu’ils avaient planifiée. Mais les forces ukrainiennes font face à une pression énorme, les troupes sont fatiguées, il n’y pas de réserves et les problèmes de logistique s’aggravent.
Quant aux Russes, le temps presse. Malgré leur indéniable supériorité globale, cette guerre traîne en longueur, coûte cher et aspire d’importants moyens humains et logistiques. Politiquement aussi, plus le conflit dure plus l’image de la puissance russe se dégrade et avec elle sa dissuasion conventionnelle. Or, c’est le principal atout de la politique internationale de Moscou. Et justement, c’est sur ce point que les choses se compliquent.
Les Chinois préoccupés
Mardi dernier, William Burns, le directeur de la CIA, a déclaré que le dirigeant chinois Xi Jinping aurait été « déstabilisé » par les difficultés rencontrées par la campagne militaire russe en Ukraine. Selon lui, Xi n’apprécie pas tellement que l’initiative guerrière de Poutine rapproche les États-Unis et les pays européens. « Je pense que le président Xi et les dirigeants chinois sont un peu déstabilisés par ce qu’ils voient en Ukraine », a-t-il déclaré lors d’une audition devant la commission du renseignement du Sénat des Etats-Unis. La CIA croit que les Chinois « n’ont pas anticipé les difficultés importantes que les Russes allaient rencontrer ».
Pékin a certes refusé de condamner l’invasion russe et une porte-parole du gouvernement a même déclaré lundi que l’amitié entre les deux pays restait « solide comme le roc », mais le lendemain mardi, Xi a appelé à la « retenue maximale », qualifiant la crise lors d’un sommet vidéo avec Emmanuel Macron et Olaf Scholz de « profondément préoccupante ».
William Burns a également déclaré devant des élus de la Chambre des représentants que les dirigeants chinois s’inquiétaient que leur association étroite avec le président Poutine ne porte atteinte à la réputation de la Chine. Il a ajouté qu’à Pékin on s’inquiète des conséquences économiques mondiales de la crise et de la tournure des évènements, à un moment où la Chine est déjà confrontée à des taux de croissance annuels plus faibles que par le passé…
Surprises
Plusieurs questions concernant la Chine restent sans réponses pour le moment et notamment concernant ce qu’a dit exactement Poutine à Xi début février pendant leurs rencontres lors des JO d’hiver ? Lui a-t-il annoncé une action comme celle lancée en Crimée et au Donbass, après les JO de Sotchi en 2014 ? Quelle a alors été la position de Xi ? Et, bien évidement, la grande question qui demeure est de savoir ce que va à présent faire la Chine.
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Pékin va-t-elle jouer le rôle que lui destine la Russie, c’est-à-dire le partenaire commercial et stratégique capable d’atténuer et contourner les sanctions occidentales contre Moscou ? Et si oui, à quel prix ?
Sans donner une réponse satisfaisante, un communiqué de l’agence de presse russe Interfax publié hier permet de mieux comprendre la situation. Selon ce communiqué, Valery Kudinov de la Rosaviatsia chargée du maintien de la navigabilité des avions (c’est l’Agence russe de l’aviation civile), a déclaré que la Chine avait refusé de fournir aux compagnies aériennes russes des pièces de rechange pour leurs appareils. Ce refus intervient à la suite de l’interruption de l’approvisionnement de composants par Boeing et Airbus.
A la liste de plus en plus longue des surprises désagréables de ces deux dernières semaines, il semble donc que Moscou va devoir ajouter le manque d’enthousiasme chinois pour l’aider.
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