Sous la direction de Jean Robert Raviot, professeur de civilisation russe contemporaine à l’université de Nanterre, cinq universitaires viennent de publier à la documentation française un ouvrage intitulé Russie : vers une nouvelle guerre froide ?
Des cartes avec la faucille et le marteau
L’ouvrage ne répond pas à la question du titre, mais donne au lecteur les moyens de le faire. Ce n’est pas du luxe. En ces temps de russophobie galopante, beaucoup de ceux que l’on nous présente comme les meilleurs esprits en viennent à perdre les pédales, et le gouvernement français dans une surenchère imbécile pousse à la tension, voire à l’affrontement. La presse mainstream, abdiquant souvent toute déontologie, nous assène que Donald Trump est un agent russe, François Fillon une marionnette de Vladimir Poutine, et que le référendum italien a été truqué par des hackers soviétiques. Certains journaux en viennent à publier des cartes ou la Russie est en rouge ornée d’une faucille et d’un marteau jaunes. Face à cette passion atlantiste déraisonnable, il est difficile de ne pas réagir sommairement en se situant sans nuance sur le terrain de la défense unilatérale du grand pays. Pour ce qui me concerne, c’est d’autant plus facile que la Russie est une vieille histoire : celle de la fascination pour un peuple assez incroyable au sein duquel cohabitent la civilisation la plus raffinée et la plus grande brutalité – surtout pour lui-même.
La chute de l’URSS, une humiliation
Patrie de la littérature, de la musique, de la danse, de la peinture, la Russie a cependant supporté, et plus souvent qu’on ne croit, soutenu un régime brutal de paranoïa mortifère, accepté les sacrifices de la guerre civile, du stalinisme et les plus abominables, ceux de la Grande Guerre Patriotique. Il y a eu ensuite l’effondrement de l’URSS et l’humiliation ce qui au bout du compte, fait suffisamment pour que l’on n’ait pas envie d’en rajouter et de continuer à insulter ces gens à partir d’une vision déplaisante et frisant le racisme, du moujik brutal indigne de la civilisation occidentale.
Pour je crois, bien connaître cette histoire, pour avoir tant de fois rencontré ce peuple, lorsque qu’on le met stupidement en cause je réagis affectivement car ma Russie est celle du poète Alexander Blok en 1920 dans un poème prémonitoire : « La Russie est un sphinx heureuse et attristée à la fois et couverte de son sang noir. » Pas sûr que cela puisse emmener très loin, j’en conviens.
Merci par conséquent à Jean Robert Raviot et à son équipe de m’avoir « objectivé » la Russie post-Union soviétique, de l’avoir débarrassée des fantasmes et des ignorances que ses partisans et adversaires partagent souvent. Dans la nouvelle donne géostratégique mondiale qui se dessine à la suite de l’élection de Donald Trump, de l’inévitable défaite de la fausse gauche russophobe en France, la lecture de ce petit ouvrage est indispensable. On y trouvera une analyse perspicace et sans complaisance de l’histoire des 25 dernières années, débarrassée des oripeaux de la propagande atlantiste, mais aussi une approche de ce qu’est la Russie aujourd’hui. Pas un État-nation territorial comme nous le connaissons et le vivons nous-même mais un « post-empire ».
Un post-empire
Et ceci est essentiel, surtout qu’accompagné d’une étude de ce qu’est le «poutinisme » cela permet d’éviter de rester dans la caricature, fruit de la diabolisation ou de l’adulation de Vladimir Poutine, positions symétriques et sans intérêt. Mais, nous disent les auteurs, la Russie a désormais, et de nouveau une stratégie de grande puissance – ce qui ne veut pas dire impérialiste. Et nous décrivent les outils et les armes qui sont les siens pour la mener. Dans sa conclusion, Jean Robert Raviot nous rassure en répondant nettement à la question posée dans le titre du livre : « or cette nouvelle guerre froide, par les excès verbaux auxquels elle donne lieu, relève davantage du domaine de la rhétorique que d’une véritable confrontation militaire et politique. » Tant mieux, mais profitons de cet indispensable petit bouquin pour nous doter des moyens permettant de comprendre que si la Russie a toujours balancé entre ce que l’on appelle « l’occidentalisme russe » est une orientation « eurasiatique », si elle peut être incontestablement un partenaire difficile, notre intérêt et de revenir à une forme d’amitié avec elle. Pour compléter cette lecture ou avant de s’y mettre, nous avons pensé qu’il pourrait être intéressant d’interroger Jean-Robert Raviot pour mettre l’accent sur ce qui nous apparaît essentiel. Merci à lui de nous avoir fait profiter de son savoir et de sa vision équilibrée.
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