Poutine et ses drôles de dames


Poutine et ses drôles de dames

poutine femen meurtreIl n’est pas certain que les moins de vingt ans aient tout compris, mais enfin, ce fut une belle fête, l’endroit où il fallait être quand on fait partie des grands de ce monde. Obama, Poutine, sa Gracieuse Majesté Elisabeth II et son ébouriffante collection de chapeaux, David Cameron, Angela Merkel et quelques autres : pour le soixante-dixième anniversaire du D-Day, une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement étaient invités, vainqueurs et vaincus se donnant la main pour sceller la grande réconciliation planétaire sur l’autel du « Plus jamais ça ! ». Comme l’a justement remarqué l’excellent Guillaume Erner sur France Inter, il est peu probable que la belle jeunesse à laquelle se sont adressés tous les discours sache pourquoi le président ukrainien était convié en même temps que son grand frère ennemi russe – tout simplement parce qu’une proportion notable des civils et des soldats soviétiques tués pendant la guerre étaient ukrainiens….

On laissera cependant aux commentateurs plus avisés le soin d’analyser le vaudeville diplomatico-gastronomique orchestré autour de quelques bonnes tables parisiennes en marge de ces festivités, de disséquer les poignées de mains échangées et les rencontres qui n’ont pas eu lieu, pour s’intéresser à une question autrement plus palpitante : Poutine et les femmes ou, plus précisément, Poutine, Valérie Trierweiler et les Femen.
Je vous le concède, les Femen peuvent être très énervantes avec leurs provocations à deux balles, par exemple quand elles déboulent à Notre Dame dépoitraillées, conformément au dress-code qui les a rendues célèbres ; elles sont carrément dégoûtantes quand elles urinent collectivement et publiquement sur le portrait de Poutine, comme elles l’ont fait le 1er décembre. Reste qu’elles sont un rêve de journal télévisé et de journal tout court. Grâce à elles, en effet, on peut afficher des seins nus à la « une », bonne conscience féministe en prime. Aujourd’hui, on peut donc se délecter de la photo de l’une d’elles, seins à l’air comme il se doit, massacrant Poutine à coups de pieu sous le regard égaré de François Hollande, Barack Obama et Juan Carlos. Toutefois, si la dame et ses gracieux attributs sont bien réels, les chefs d’Etat ne sont que des effigies de cire puisque la scène s’est déroulée jeudi au Musée Grévin. Ajoutons que le dragon terrassé par la belle ressemble plus à Claude François qu’au chef de la Sainte Russie, mais bon, cela doit être un problème d’éclairage.

À vrai dire le coup du musée Grévin n’est pas de première fraîcheur. Les militants nationalistes qui, en 1980, avaient enlevé la statue de Georges Marchais pour l’abandonner dans la fosse aux ours du Jardin des Plantes – fine allusion à l’ours soviétique – étaient un peu plus rigolos que nos belles, même s’ils ne disposaient pas d’arguments aussi convaincants. N’empêche, en termes d’agit-prop, ce n’est pas si mal vu : si les Femen s’étaient contentées de publier un communiqué furieux contre Poutine, cela n’aurait guère passionné les foules. Mais en offrant aux fleurons de la « grande presse » – dont Causeur…– un excellent alibi pour appâter le chaland avec des filles à poils, comme des tabloïds de bas étages, nos amazones ont inventé l’actu-porno : c’est sexy, c’est pour la bonne cause et ça marche !

Certes, les raisons de critiquer vertement Poutine – et même plus – ne manquaient pas bien avant qu’une erreur de traduction le fasse passer, en plus du reste, pour un sacré mufle. Lorsque, dans le cours du long entretien qu’il a accordé jeudi à TF1, il a été interrogé sur les propos de Hillary Clinton qui, toute en nuances, l’avait comparé à Hitler, le président russe n’a pas répondu, comme on l’a d’abord dit « Il ne faut pas débattre avec les femmes », mais « Il est toujours préférable de ne pas se disputer avec les femmes ». Or, quelle que soit notre envie de le dépeindre en monstre, de tels propos relèvent plutôt de la galanterie à l’ancienne que de la goujaterie. Bien sûr, Valérie Trierweiler ne s’est pas embarrassée de telles subtilités. L’ex première girl-friend et reine du tweet s’est sentie obligée de faire savoir à la France qu’elle était bien contente de ne pas avoir à serrer la main de l’ours russe. Information du plus haut intérêt, semble-t-il, puisqu’elle a été « retweetée » des centaines de fois et abondamment commentée – on attend désormais les réflexions de Julie Gayet sur la nouvelle politique de la Banque centrale européenne.

En attendant, elle n’est jamais contente, l’ex-première chipie de France. Voyez-vous, elle trouve qu’on en a trop fait avec ses états d’âme anti-Poutine alors que quand elle se fend d’un tweet pour dire que c’est bien triste qu’il y ait des enfants malades, tout le monde s’en fiche. En somme, elle fait son intéressante pour qu’on parle d’elle et quand on parle d’elle, elle fait sa sucrée, allez comprendre.
La morale de l’histoire, c’est que si vous rêvez d’être célèbre, il est inutile de vous donner la peine d’accomplir de grandes choses, surtout si vous êtes une femme. Essayez plutôt d’être la femme ou l’ex de : avec un tel titre de gloire, vous n’aurez même pas besoin d’enlever le haut.

Photo : Twitter d’Inna Schevchenko https://twitter.com/femeninna



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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