Vladimir Poutine est l’homme du moment. La journaliste russe Svetlana Alexievitch s’en désole dans Le Monde : « Il a misé sur les instincts les plus bas, et il a gagné. Même s’il disparaissait demain, comment ferions- nous pour échapper à nous-mêmes ? » La cause est entendue. Voilà un dictateur, puisqu’il a su façonner son peuple à son image, comme Dieu. Oui, mais un dictateur de quelle sorte ? Ubu moscovite, Big Brother post-soviétique ou Picrochole en Crimée ? La façon dont Vladimir Poutine a joué sa partie en Ukraine rappellerait plutôt, au moins sur le plan de la méthode, le Grand Forestier de Jünger dans Sur les falaises de marbre : « C’était là justement un trait magistral du Grand Forestier : il administrait la frayeur par doses légères, qu’il augmentait peu à peu, et dont le but était de paralyser la force de résistance. Le rôle qu’il jouait dans ces troubles savamment préparés à l’abri de ses forêts était celui d’une puissance d’ordre. »[access capability= »lire_inedits »] Le Grand Forestier, en subtil homéopathe de la terreur, devient ainsi le recours d’un chaos qu’il crée lui-même : « Le Grand Forestier ressemblait ainsi à un médecin criminel qui d’abord provoque le mal, pour ensuite porter au malade les coups dont il a le projet. »
Mais Vladimir Poutine est aussi vu par d’autres, de façon radicalement différente, comme un grand homme d’État. Ainsi a-t-on pu être surpris d’entendre l’ancien chancelier Schröder, si européen, saluer la politique de son « ami » : « Détester n’est pas un critère en politique ! La politique doit être rationnelle. Beaucoup de problèmes dans le monde, la Syrie, l’Iran ou l’Ukraine, ne peuvent être résolus qu’avec la Russie. » C’est que Schröder est un réaliste qui adopte le point de vue d’un Voltaire dans Le Siècle de Louis XIV. Voltaire, ennemi de l’absolutisme, a tout de même estimé que le Roi-Soleil avait ses mérites qui pourraient bien, aussi, être ceux de Poutine : « Il commença par mettre de l’ordre dans les finances, dérangées par un long brigandage. La discipline fut rétablie dans les troupes, comme l’ordre dans les finances », ce qui eut pour conséquence de délivrer « la cour des factions et des conspirations qui avaient troublé l’État pendant tant d’années ».
Alors, Grand Forestier ou Roi-Soleil, Poutine ? En tout cas, avec son allure d’espion sorti d’un livre d’Ian Fleming, il est assurément une figure romanesque, ce qui mérite d’être salué tant cela est rare chez les chefs d’État aseptisés de notre temps.[/access]
*Photo : AP21550793_000001. Mikhail Klimentyev/AP/SIPA.
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