Sur fond de contre-offensive ukrainienne et de sabotage des gazoducs NordStream, Vladimir Poutine officialise l’annexion par référendums de quatre oblasts ukrainiens. À cette occasion, le chef du Kremlin prononce un discours violemment anti-Occidental. Entretien avec Gabriel Robin, journaliste et essayiste.
CAUSEUR. Alors que la contre-offensive ukrainienne progresse, Poutine officialise l’annexion par referendum des oblasts de Donestk, Lougansk, Zaporijia et Kherson. Comment analysez-vous cette décision ?
GABRIEL ROBIN. La Russie a annexé 4 oblasts alors que des combats sont toujours en cours sur certains de ces territoires. La contre-offensive ukrainienne a progressé, notamment à Lyman, qui a été reprise samedi dernier. La Russie qui avait prétendu que son armement était supérieur et plus sophistiqué voit son artillerie mise à mal par l’armement de l’OTAN.
S’il comprend ces échecs, Poutine tente de les faire oublier. Peut-être aussi est-il mal informé par ses états-majors. C’est ce qui s’était produit au commencement de la guerre, lorsque le chef du Kremlin avait surestimé le nombre d’Ukrainiens pro-russes.
Ces annexions présagent-elles une implantation durable de la Russie ?
Ces referendums d’annexion illégaux se sont tenus dans des oblasts qui ont été dépeuplés. Les quorums de votants s’élèvent à 100 000 personnes sur des territoires à 1,8 million d’habitants. Le vote a été organisé sans aucun respect ni de la constitution ukrainienne, ni du droit international. Nous sommes face à des referendums purement truqués qui n’ont aucune réalité juridique.
Il est peu probable que la Russie puisse se maintenir durablement sur ces territoires, l’invasion russe ayant provoqué l’ethnogenèse définitive du peuple ukrainien. La Russie est en train de vivre la deuxième phase de l’éclatement de son empire soviétique. C’est un processus comparable à ce que nous avons vécu au sortir de la Seconde Guerre Mondiale avec la décolonisation.
Le pouvoir russe ne souhaite pas négocier et ce jusqu’au-boutisme pourrait se payer en interne. Nous avons rarement vu dans l’histoire de l’Europe une telle quantité d’hommes fuir alors que leur pays en envahissait un autre.
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Comment analyser les diatribes de Poutine contre l’Occident lors de son discours au Kremlin ?
Ce discours lui permet de faire diversion à ce qui se passe concrètement en Ukraine. Il s’agit d’une guerre d’invasion, d’une agression néocoloniale. Il est d’ailleurs paradoxal que Poutine ait évoqué le « colonialisme occidental » tout au long de son discours.
Le discours de Poutine était composé de deux parties. La première s’adressait aux alliés directs de la Russie, certains pays africains, musulmans ou asiatiques. Poutine s’est appuyé sur la diabolisation de l’Occident présenté comme la puissance coloniale et hégémonique.
La seconde partie du discours était plutôt adressée aux opposants internes de l’Occident, avec tout un volet conservateur assez amusant quand on examine en détail le « traditionalisme » russe. La GPA est légale en Russie et le taux d’avortement est deux fois supérieur à celui de la France. Poutine a évoqué le narcotrafic occidental, alors qu’il y a beaucoup plus de consommateurs de drogues dures en Russie que dans le reste de l’Europe ; le taux d’alcoolisme y est aussi très important. Le traditionalisme mis en avant par Poutine lors de son discours n’est donc qu’un décorum.
Ce discours fera écho chez certaines personnes malheureusement. Je pense que nous devons, malgré nos défauts, défendre et protéger ce que l’on est. C’est à nous de nous redresser, de lutter contre les formes de décadence et de relativisme qui s’opèrent chez nous. Notre société a renoncé à défendre et à protéger ce qu’elle est et a oublié le sens de son histoire. Mais ce n’est pas en faisant des concessions à une dictature post-soviétique que nous résoudrons les choses. Au contraire, la chute n’en sera que plus terrible.
Poutine a frappé au bon endroit pour exciter à la fois les diasporas qui vivent en Europe, très sensibles au discours décolonial et les franges conservatrices de la population occidentale. Il sait aussi que ce type de discours s’installera plus facilement aux États-Unis où une majorité démocrate et progressiste est au pouvoir. Cela aurait été plus délicat si Trump ou un républicain avait été à la tête du pays.
Les sanctions dans le secteur énergétique étaient-elles pertinentes au vu des bénéfices historiques réalisés par Gazprom ce premier semestre ?
Les sanctions sur l’énergie n’étaient pas comprises dans le paquet de sanctions initial. La Russie a fait du chantage à l’Europe en exigeant qu’elle paye le gaz russe en roubles. Les Chinois continuent de signer des contrats avec la Russie en euros, preuve qu’eux-mêmes n’ont pas confiance dans la monnaie russe.
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Sans s’avancer sur l’identité des responsables, quels pourraient être les intérêts respectifs des Russes et des Américains dans la mise en œuvre du sabotage de Nord Stream ?
Il faut souligner en premier lieu que Nord Stream 2 était à l’arrêt, ce n’est donc pas l’événement qui modifiera le cours de cette guerre. De plus, il est impossible de déterminer qui est à l’origine du sabotage pour le moment.
Si les États-Unis étaient responsables, cela leur permettrait de montrer aux Russes qu’ils sont déterminés à aller jusqu’au bout pour les couper de l’Europe. Mais les Américains ne semblent pas avoir beaucoup d’intérêts dans ce sabotage car ils pourraient apparaître comme des diviseurs et affaiblir ainsi le soutien européen à l’Ukraine. Ils pourraient aussi s’aliéner le concours des Norvégiens dont les fournitures de gaz seraient susceptibles d’être menacées par une riposte russe rendue légitime par le sabotage. Les Américains pourraient se brouiller avec l’Allemagne qui est leur premier partenaire en Europe. Finalement, la Russie paraîtrait presque menacée par les États-Unis, ce qui justifierait quasiment son invasion de l’Ukraine.
S’il s’agit de la Russie, cela peut être un moyen pour elle d’inciter l’Union Européenne à se rebeller contre les Américains en les accusant à tort d’avoir coupé le gaz à l’Europe. Le sabotage permettrait à la Russie de rompre définitivement et symboliquement les liens qu’elle entretient avec l’Europe. Cet acte s’inscrirait dans le cadre du discours d’annexion de Poutine qui sonnait comme une déclaration de guerre à l’Occident.
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